(Article de Philippe Charlez initialement publié dans BV du 26 Juin 2022)
Le 10 novembre 2019, Élisabeth Borne alors ministre de la Transition écologique et solidaire défendait « un scénario 2050 100% renouvelables développé dans la programmation pluriannuelle de l’énergie ». Fraichement nommée par Emmanuel Macron Première ministre chargée de la Planification écologique, elle a annoncé récemment un objectif tout aussi critiquable : « sortir des énergies fossiles à l’horizon 2050 avec une volonté de radicalité dans l’action tout en portant les transformations nécessaires avec pragmatisme et dans la concertation ».
L’approche d’Élisabeth Borne est ce que nous appelons un « agenda inversé ». Elle se donne un objectif a priori irréalisable (il y aura encore au moins 30% de fossiles dans le mix énergétique français à l’horizon 2050 !) recherchant a posteriori les moyens techniques et économiques pour y arriver quitte à utiliser la radicalité s’ils s’avèrent impossibles à réaliser. Etonnant de la part d’une femme ingénieur de haut niveau (une X-Ponts !) mais classique en politique où cet artifice est couramment utilisé surtout sur le long terme. Aujourd’hui âgée de 61 ans, Elisabeth Borne fêtera ses 90 bougies en 2050 !
Les agendas inversés foisonnent dans le domaine climato-énergétique où les échéances sont volontairement déconnectées des agendas politiques « court-termistes ». Ainsi, en est-il des Accords de Paris et de l’objectif non contraint des 1,5°C décrété lors de la COP21. Sans moyens, sans base juridique et surtout sans programme l’accord était dès le départ totalement irréaliste et n’avait aucune chance d’être réalisé. Loin de l’infléchir, les émissions de GES (hors effet Covid-19) se sont accrues de 3,5% depuis 2015. (BP Statistical Review 2020).
Les députés européens se sont accordé ce mercredi 8 juin sur un agenda inversé visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (par rapport aux niveaux de 1990) d’au moins 55% d’ici à 2030 et à parvenir à la « neutralité carbone » d’ici à 2050. Sur les trente dernières années, les émissions européennes de carbone ont été réduites de 22% (un record à l’échelle mondiale), soit en moyenne de 0,7% par an. Pour satisfaire l’objectif de 55%, il faudrait réduire la valeur 2019 de 4,3% par an (BP Statistical Review 2020). Un objectif inaccessible « sauf à mettre en place dans chaque État membre des moyens coercitifs vis-à-vis de l’économie et des populations ».
La mesure phare proposée est l’interdiction à partir de 2035 de vendre au sein de l’UE des véhicules neufs équipés de moteurs diesel, essence ou hybride. Compte tenu de la durée de vie estimée à 15 ans d’une voiture thermique, le parc 2050 serait alors totalement décarboné (électricité voire hydrogène). Ce nouvel agenda inversé est plus que critiquable sur bien des plans.
Le coût sera exorbitant pour l’industrie automobile européenne. Devant restructurer complètement toutes leurs chaînes de fabrication, les constructeurs automobiles seront inévitablement tentés de délocaliser leurs activités dans des pays où la main d’œuvre est plus économique,
De nombreux composants majeurs des voitures électriques (batteries, piles à combustible) sont fabriqués dans le sud-est asiatique avec des métaux rares non présents sur le continent européen. Cette double dépendance pourrait encourager un peu plus la délocalisation des activités, les constructeurs souhaitant se rapprocher des producteurs de composants,
L’organisation territoriale de l’usage extensif de la voiture électrique est aujourd’hui loin d’être résolu. Le problème n’est pas seulement la fabrication des véhicules. Il faut aussi distribuer l’électricité. Or de nombreuses grandes métropoles européennes n’y sont pas adaptées : comment recharger quotidiennement votre voiture quand vous habitez au sixième étage d’un immeuble parisien ?
Cerise sur le gâteau, le bilan carbone de la mobilité électrique peut s’avérer, dans bien des cas, plus catastrophique que celui d’une voiture thermique. D’une part la fabrication des batteries est très émettrice de CO2, d’autre part de nombreux mix électriques européens (Allemagne, Pologne, République Tchèque) restent très carbonés.
J’en prends le pari, fondé sur un agenda inversé aussi stupide qu’irréaliste, le green deal européen se soldera par un échec total, comparable à celui à l’Energiewende allemand. Mais, comme pour madame Borne en 2050, pas d’inquiétude pour Madame von der Leyen. En 2035, elle profitera tranquillement d’une retraite bien méritée !