Le gouvernement du Qatar, qui est riche, semble bien être coupable d’acheter des élus du Parlement européen et peut-être même des fonctionnaires de la Commission européenne, dans le but de promouvoir l’image ou les intérêts du Qatar. C’est très vilain, et des dizaines de milliers de journalistes et de politiciens s’indignent, condamnent, menacent.
M. Jeremy Grantham est un spéculateur anglo-américain milliardaire, admirateur du GIEC et de Greta Thunberg. Le montant des actifs qu’il gère est estimé à plus de 100 milliards d’euros. Il a créé une Fondation pour la protection de l’environnement. Cette Fondation a généreusement arrosé des universités réputées (Imperial College London, London School of Economics) et des ONG environnementales puissantes (Greenpeace, Sierra Club, WWF), et s’en vante. Elle va plus loin, et prône l’achat de politiciens.
Le 27 mars 2019, à Copenhague, M. Grantham faisait une conférence sur le climat à une assemblée de banquiers, très respectables comme tous les banquiers danois. Il leur expliqua que les investissements dans les énergies renouvelables imposées et subventionnées par les gouvernements étaient particulièrement rentables (on peut être militant et soucieux des taux de rentabilité). Et il les invita à suivre son exemple en ces termes :
« Que faire, direz-vous ? Vous devez influencer vos responsables politiques – investir dans les élections, et acheter des politiciens. Je suis heureux de dire que nous le faisons beaucoup à la Fondation Grantham – seulement des politiciens verts. »
Il y a au moins trois différences entre la corruption selon M. Grantham et selon le gouvernement du Qatar.
La première est que M. Grantham a la corruption glorieuse. Il ne cache nullement ses achats de politiciens. Il s’en vante. Il les donne en exemple. Et il le fait à des conférences publiques, au grand jour. Si l’hypocrisie est l’hommage que le vice rend à la vertu, comme le dit La Rochefoucauld, M. Grantham n’est absolument pas un hypocrite. Par contraste, les représentants du Qatar ont la corruption honteuse. Ils conduisent leurs actions dans l’ombre, en transportant des valises de billets dans les rues de Bruxelles. Ils nient leurs actions, même lorsqu’ils sont pris la main dans le sac. On dirait qu’ils en ont honte.
Une deuxième différence est que la corruption climatique de M. Grantham est totalement acceptée par les banquiers, les médias et les opinions publiques, alors que la corruption qatarie soulève une indignation unanime et forte dans ces mêmes médias et opinions (sauf peut-être chez les mêmes banquiers, qui ne se manifestent guère).
Comment expliquer ce deux poids deux mesures ? La raison en est peut-être que les médias jugent les auteurs plutôt que les actions. Dans la concussion de M. Grantham, ils voient la main d’un gentil défenseur du climat, et ils ferment les yeux sur la concussion. Dans la corruption qatarie, ils voient la main d’un méchant autocrate médio-oriental, et ils dénoncent courageusement la corruption. Un cynique (pas nous) penserait que les financiers du climat ont tellement désinformé qu’ils ont gagné l’opinion à leur cause, alors que les Qataris n’ont pas (ou pas encore) assez bakchiché pour obtenir ce résultat. Comme dit à peu près notre bon Lafontaine : selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de presse vous rendront blancs ou noirs.
La troisième différence est que la corruption qatarie est étatique et classique, alors que la corruption climatique est privée et moderne. Un pays A qui paye des ressortissants politiques ou journalistiques d’un pays B plus ou moins concurrent, voilà qui est vieux comme le monde. Au 19ème siècle, la Grande Bretagne le faisait d’une façon systématique, au moyen de ce qu’on appelait la « cavalerie de Saint George », les pièces d’or anglaises à l’effigie du saint en cavalier. La Russie tsariste n’était pas en reste. Le Qatar s’inscrit donc dans une tradition banale, et d’importance probablement limitée.
La corruption pratiquée et préconisée par M. Grantham est moderne. Elle est le fait de groupes privés mus par l’idéologie ou/et par l’intérêt. Elle est une forme de lobbying perfectionné et multiplié. Elle n’agit pas directement, mais indirectement. Elle ne vise pas les dirigeants, mais l’opinion en général. Elle ne cible pas principalement le portefeuille des élites, mais l’information (la désinformation) des institutions. Elle est plus subtile, et de ce fait plus efficace. Bien entendu, M. Grantham n’est pas un cas isolé, mais bien la partie émergée d’un iceberg. Le milliardaire aime bien les serrements de ceintures, la sienne, et plus encore celles des autres.
C’est ainsi, par exemple, que les croisés de la lutte contre le CO2 viennent d’obtenir une grande victoire au MEDEF : l’organisation patronale française préconise officiellement de rémunérer les dirigeants de nos entreprises en fonction de leur engagement en faveur de la défense du climat. Vous faites plus pour le climat, nous souhaitons que vos assemblées générales vous augmentent. Cela ressemble diablement à de la corruption. Les sommes en jeu sont considérables, et rendent dérisoires les pourboires qataris.
Une réponse
En fin de compte le Qatar c’est assez marrant…