L’Allemagne manipule l’Europe avec son plan hydrogène

Les ambitions énergétiques de l’Allemagne laissent planer des interrogations sur la faisabilité de son plan hydrogène. En substituant les importations de gaz de schiste et ‘naturel’ à l’hydrogène, le pays cherche-t-il à contourner les véritables objectifs climatiques ? Michel Gay examine comment l’Allemagne jongle avec les subventions, les ressources et les engagements européens pour assurer sa transition énergétique.

L’Allemagne annonce la construction de presque 24 gigawatts (GW) de centrales « à hydrogène » qu’elle veut faire subventionner par l’Union européenne.

En réalité, ces centrales fonctionneront principalement au gaz « de schiste » importé des États-Unis, puis ensuite au gaz « naturel » de Russie (c’est toujours du méthane) quand les relations politiques avec l’Europe seront meilleures dans quelques années.

L’Allemagne gruge les Européens

Le 1er août 2023, le ministre de l’Énergie et la Protection du Climat, Robert Habeck a annoncé qu’un accord de principe a été trouvé avec la Commission européenne sur les conditions-cadres relatives aux aides d’État (subventions) pour la construction de 23,8 GW de futures centrales électriques à hydrogène qualifiées de « climatiquement neutres »…

Comme il est impossible que les quantités d’électricité nécessaires à la production d’hydrogène et de « e-carburant ou e-fuel » (carburant de synthèse avec de l’hydrogène et du CO2) à partir des énergies renouvelables soient disponibles, nos « partenaires » allemands useront de leur position dominante dans l’Union européenne pour déclarer qu’à l’impossible nul n’est tenu afin de justifier cette nouvelle arnaque.

Il est indispensable que notre gouvernement mette son veto à ce projet allemand qui pue l’entourloupe. Il lui reste aussi la possibilité de s’opposer au pipe-line d’hydrogène en provenance du sud de l’Europe voire du Maghreb (et qui devra traverser la France) si notre nucléaire continue à faire l’objet d’obstruction illégitime par l’Allemagne et quelques autres pays.

De quoi s’agit-il ?

Après avoir supprimé environ 20 gigawatts (GW) de nucléaire bas carbone (17 réacteurs), l’Allemagne comptait sur les énergies renouvelables intermittentes (EnRI) pour les remplacer.

Mais les productions fatales de ces dernières étant insuffisantes, ce pays a conservé son parc pilotable au gaz et au charbon qui reste indispensable en soutien, en plus de moyens de stockage et de flexibilité de la demande, pour suppléer l’intermittence de la production de l’éolien et du photovoltaïque.

Et l’Allemagne a même augmenté sa production d’électricité provenant de la lignite extraite de son sous-sol pour compenser cette intermittence.

Pour masquer l’échec de sa transition énergétique (Energiewende) et obtenir en plus des subventions de l’Union européenne, l’Allemagne a donc imaginé ce projet ubuesque de 24 GW de centrales électriques, dites « à hydrogène ».

En réalité, ce sont des centrales à gaz capables de brûler aussi de l’hydrogène, mais qui doivent être subventionnées, car leur fonctionnement intermittent en complément des productions elles-mêmes intermittentes des EnRI, va limiter leur rentabilité.

Après l’abandon du nucléaire mi-avril 2023, et son intention de sortir du charbon « dans l´idéal » (??) en 2030, la production pilotable d’électricité de l’Allemagne reposera sur les centrales à gaz dont la capacité est insuffisante pour satisfaire ses besoins.

La construction de nouveaux moyens pilotables au gaz est donc nécessaire pour garantir sa sécurité d’approvisionnement. Elle crée ainsi un écran de fumée avec le « gaz vert » hydrogène pour masquer l’utilisation du méthane qui, après tout, est aussi un gaz !

Dans cet objectif, l’Allemagne prévoit, dès 2024, de lancer des appels d’offres pour près de 9 GW de nouvelles centrales à gaz censées fonctionner dès le départ à l’hydrogène.

Toutefois, l’Association fédérale de l’économie énergétique et des eaux (BDEW) a déclaré que les décisions finales d’investissement ne seront prises que si une exploitation économique est rendue possible par des « conditions-cadres appropriées ».

Et d’où viendrait l’hydrogène consommé dans ces centrales « à gaz » ?

Le gouvernement allemand veut faire de l’hydrogène un pilier de son système énergétique neutre en carbone.

Un Plan de déploiement national de l’hydrogène doté de 9 milliards d’euros a été adopté en 2020 pour développer au moins 10 GW d´électrolyseurs d’ici 2030, et produire jusqu’à 28 térawattheures (TWh) d’hydrogène « vert ». Selon l’Allemagne, l’électricité requise serait majoritairement produite par des éoliennes en mer… Les promesses n’engagent que ceux qui y croient !

Le cabinet d’étude McKinsey estime à 30 GW au moins le manque de moyens pilotables en Allemagne à l’horizon de 2030. Ce cabinet d’experts doute que les conditions pour la construction des nouvelles centrales soient remplies en temps voulu. Notamment, la bascule vers un hydrogène « vert » à un prix raisonnable reste incertaine, voire illusoire.

La capacité nationale de production d’énergies éolienne et solaire (estimée à environ 100 TWh en 2030) ne suffira pas à couvrir le besoin d’électricité pour la production d’hydrogène dont les importations seront indispensables, comme les importations de gaz méthane aujourd’hui.

Des éoliennes en mer ou des importations d’hydrogène produit par des panneaux solaires depuis des pays ensoleillés lointains représentent des hypothèses politiques et financières risquées. Et si ces problèmes sont, un jour lointain, résolus, les centrales censées fonctionner à l’hydrogène « vert » auront été amorties depuis longtemps avec du gaz naturel… Et le (mauvais) tour sera joué au détriment de tous les autres pays de l’Union européenne !

Obtenir « à tout prix » des subventions européennes

L’Allemagne souhaite que les subventions pour les futures centrales « à hydrogène » s’intègrent dans le cadre des projets de décarbonation de l’Union européenne, ce qui garantirait un montant d’aide plus important.

Or, actuellement en Allemagne, il n’existe pas de production significative d’hydrogène vert idyllique, et il n’y en aura pas avant longtemps, et peut-être jamais.

Environ 60 TWh d’hydrogène « gris » (fabriqué à partir de gaz naturel suivant le procédé de vaporeformage) sont produits pour l’industrie.

La part d’hydrogène « vert » produit par électrolyse est seulement d’environ 5 % (2 à 3 TWh), principalement pour la chimie à forte valeur ajoutée, car cet hydrogène pur coûte cher, contrairement à l’hydrogène « gris ».

Mais comme il est difficile d’obtenir de l’Union européenne des subventions pour construire des centrales à gaz, l’Allemagne les baptise « centrales à hydrogène ».

Malgré la pression de l’Allemagne, la Commission européenne estime toutefois que ce projet de construction de nouvelles centrales à gaz serait nuisible au climat, et ne peut pas être considéré comme une volonté d’élimination progressive des combustibles fossiles.

Pour défendre son projet fumeux, l’Allemagne avancent que ses objectifs climatiques ne seront pas atteints si les chantiers de nouvelles centrales à hydrogène ne sont pas rapidement mis sur les rails.

Pourquoi les Allemands n’y ont-ils pas pensé plus tôt lorsqu’ils ont détruit leurs 17 réacteurs nucléaires ?

Le nucléaire français fait de l’ombre à l’Allemagne

Les Allemands craignent que le nucléaire français souligne l’échec de leur energiewende fondé sur les EnRI et accentue la fragilité de leur projet « hydrogène ».

Ils utilisent donc leur position dominante en Europe pour imposer leurs vues, quitte à mentir en niant l’évidence pour préserver leurs intérêts. Plus c’est gros, plus ça passe ?

Même en fonctionnant seulement avec un facteur de charge de 50 % en complément des EnRI, la puissance de 24 GW envisagée fournirait 100 TWh d’électricité par an. Mais pour produire l’hydrogène nécessaire à leur fonctionnement, il faudrait produire par ailleurs (nucléaire ? gaz ? éolien ? solaire ?…) au moins 300 TWh d’électricité en incluant les pertes et les rendements.

Qui peut se permettre d’engloutir 300 TWh d’électricité pour produire 100 TWh d’électricité ?

Il est toujours permis de rêver, c’est bien agréable.

Mais si les subventions pour ces centrales à gaz « dites à hydrogène » sont attribuées par l’Europe, il s’agira de la deuxième arnaque du siècle réussie par l’Allemagne, après avoir fait croire que les énergies éolienne et solaire pouvaient assurer son avenir énergétique !

Pendant ce temps, la France bataille pour que l’Union européenne l’aide financièrement à prolonger ses centrales nucléaires (émettant moins de carbone (4 g CO2/kWh) que l’éolien ou le solaire), et à en construire de nouvelles.

L’Allemagne et la Commission européenne sont en train de tuer l’Europe sous les yeux ébahis des Européens.

Le bourrage de crâne de l’opinion publique par l’Allemagne, via des officines et des médias, ainsi que l’incompréhensible aveuglement (volontaire ?) de nos dirigeants sont hallucinants.

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3 réponses

  1. La cause anthropique originelle du réchauffement est l’importation d’énergie dans la biosphère.
    Il faut réapprendre à nous satisfaire des énergies renouvelables issues de la biosphère, ce qui signifie frugalité et partage, donc révolution philo-écologique.
    Les systèmes à faible rendement ou trop complexes sont voués à l’échec.

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