Batteries à charge rapide : les limites de la physique

(Article de Pierre Allemand initialement paru dans Contrepoints)

Il faut abandonner l’idée de recharger la batterie d’une voiture électrique en moins de 5 minutes : la physique dit non. 

On ne compte plus les annonces triomphales proclamant que la nouvelle batterie XZZ Plus (ou autre) va enfin résoudre le problème de la capacité et de la recharge rapide qui va rendre la voiture électrique aussi performante que le véhicule thermique classique avec un temps de recharge de moins de 5 minutes et une capacité kilométrique égale ou supérieure aux 800 km d’autonomie de la plupart des véhicules diesel d’aujourd’hui.

Et nos journalistes spécialistes de la question, voyant que les voitures électriques qui demandaient 24 heures de charge au début de l’époque moderne, ont vu leur temps de charge possible passer rapidement à 12 heures, puis 6 heures, et sembler se réduire rapidement au fil du temps, affirment, sûrs d’eux : les 5 minutes sont pour bientôt !

Eh bien non, répond le physicien. Il existe une barrière, invisible mais bien présente.

LA RECHERCHE SUR LES BATTERIES

La recherche tous azimuts sur les batteries est très probablement le sujet qui a déjà mobilisé le plus de ressources de recherche dans le monde depuis plusieurs dizaines d’années. Et cela sans résultat vraiment probant : le saut technologique déterminant n’a jamais eu lieu (on pourrait s’étonner de cet acharnement, mais cela sort du sujet d’aujourd’hui).

On dit aussi que les nouvelles batteries sont le projet dont la période initiale de développement a duré le plus longtemps (150 ans ?). La raison en étant que la physique s’oppose obstinément à la découverte de batteries électriques douées de performances comparables à celles d’un modeste carburant issu de fossile.

Le défi est simple à énoncer, mais difficile à atteindre.  Il s’agit de créer une batterie possédant les caractéristiques suivantes :

  1. Capable de stocker autant d’énergie que celle contenue dans le réservoir d’un véhicule diesel classique, soit 60 litres de fuel, ou 48 kg.
  2. Rechargeable en moins de 5 minutes (temps d’un plein moyen).
  3. Ces deux premières performances ne diminuant pas pendant toute la durée de vie du véhicule.
  4. Restant entière (solidité) pendant toute la durée de vie du véhicule.

 

Malgré la formidable masse des recherches, les batteries actuelles (2020) sont encore éloignées de ces performances. Ajoutons qui plus est que la physique limite clairement les possibilités d’innovation dans ce domaine.

Le problème essentiel, jamais d’ailleurs évoqué clairement par les constructeurs, vient de la caractéristique numéro 2. Pour le comprendre, il faut examiner ce qui se passe dans le tuyau d’une pompe lorsqu’on fait le plein de carburant.

Je veux parler du débit énergétique, c’est-à-dire de la quantité d’énergie qui doit transiter, pendant le temps du plein ou de la charge, soit dans le tuyau, sous forme de carburant, soit dans le câble de recharge sous forme d’électricité.

Pour satisfaire à la condition numéro 2, il faut pouvoir faire passer dans le câble de recharge du véhicule électrique, une quantité d’énergie équivalente à celle qui transite par le tuyau, et c’est là que le bât blesse.

UN DES OBJECTIFS EST IMPOSSIBLE À ATTEINDRE

Voici pourquoi :

Le carburant diesel classique contient une énergie libérable par combustion de 44 mégajoules soit 12,2 kWh par kilo (référence).

Le plein (60 litres, soit 48 kilos) d’un réservoir de véhicule diesel contient donc une énergie libérable totale de :

12,2 x 48 = 585,6 kWh

Notons que la capacité1 des batteries équipant les voitures électriques actuelles est d’environ 50 kWh, soit de l’ordre de 10 fois moins que la valeur à atteindre ci-dessus et que la Tesla modèle 3 pourrait être équipée d’une batterie de 100 kWh, soit de l’ordre de 5 fois moins que cette valeur.

Cependant, il faut aussi tenir compte du rendement des opérations. D’après Wikipédia, le rendement global d’un véhicule thermique sur autoroute serait seulement de 20 % du carburant aux roues. L’énergie réellement utilisable à partir du plein est donc seulement de :

585,6 x 0,2 =117,1 kWh

Le rendement d’un véhicule électrique sur autoroute, toujours selon Wikipédia, est nettement meilleur : il serait de 74 % de la batterie aux roues, rendement qu’il faut encore multiplier par le rendement de la recharge de la batterie qui serait de 85 %.

Pour une comparaison équitable avec un véhicule électrique, il faut donc diviser les 117,1 kWh ci-dessus par le produit des rendement VE (moteur et recharge), et l’énergie devient :

117,1 / (0,74 x 0,85) = 186,2 kWh

L’énergie calculée ci-dessus doit être transférée par la pompe dans le réservoir en 5 minutes.  La pseudo-puissance2 correspondant au transport dans ce temps de la même quantité d’énergie dans une hypothétique batterie à rechargement rapide (5 minutes, soit 1/12ème d’heure) sera donc de

186,2 x 12 = 2 234 kilowatts, soit environ 2,2 MW3

Cette valeur est plus proche de la puissance d’un transformateur de moyenne puissance  alimentant plusieurs centaines de foyers, que de celle d’une installation domestique (environ 12 kW pour un grand logement).

Notons que comme il s’agit de transférer une quantité d’énergie électrique d’un générateur à une batterie, et cela dans un temps donné, le résultat de la division de la quantité d’énergie par le temps correspond bien, dans ce cas, à la puissance électrique du générateur de recharge.

C’est une quantité d’énergie électrique importante qui doit être transférée dans un temps relativement court. Pour fixer les idées, sous une tension de 500 volts continus4, le câble de liaison entre la station et la batterie devrait supporter une intensité de 4400 ampères, ce qui apparait assez irréaliste.

En effet, même en admettant que la batterie soit modifiée pour pouvoir recevoir une charge sous 500 volts continus et 4400 ampères et que l’on puisse installer une borne de recharge fournissant ces caractéristiques, la puissance demandée (plus de 2 mégawatts) est telle que cette borne ne pourrait être installée que dans certains sites précis et peu nombreux et qu’il ne serait pas question d’installer deux bornes au même endroit, ce qui correspondrait à une puissance de 4,4 MW.

Le câble capable de supporter les 4400 ampères demandés devrait, d’après les données de l’abaque p 14 (référence) être une barre de cuivre de 225 x 20 mm pour pouvoir supporter l’intensité avec un échauffement limité à 30°C au-dessus de la température ambiante. Ce genre de dispositif poserait des problèmes quasi insolubles quant à la connexion proprement dite (qualité des contacts) ainsi qu’au positionnement précis du véhicule par rapport à la barre d’alimentation.

Reconnaissons que ces contraintes sont telles qu’elles éliminent à la fois l’existence possible de stations de recharge régulièrement réparties le long des routes, mais également celle d’une configuration des batteries et des systèmes de liaison capables de supporter ces contraintes.

BATTERIES : LES SOLUTIONS ENVISAGEABLES

Remplacer le cuivre par de l’argent.

L’argent étant le plus conducteur de tous les métaux, on peut espérer diminuer la contrainte dimension du conducteur en remplaçant le cuivre par de l’argent. Hélas, les différences de résistivité entre les deux métaux sont faibles (cuivre : 1,72 µohm.centimètre, argent : 1,59 µΩ.cm. (référence : CRC Handbook of Chemistry and Physics 46th edition).

Ce remplacement peut modifier au mieux de quelques pourcents les dimensions des conducteurs, sans amélioration fondamentale.

Utiliser la supraconductivité.

Il est possible de transporter un courant de 4400 ampères dans un matériau supraconducteur maintenu à une température inférieure à sa température critique par une circulation d’azote liquide = -195 °C. Comme la résistance d’un tel conducteur est nulle, ses dimensions peuvent être telles que le conducteur soit souple.

L’inconvénient majeur du système est l’obligation de maintenir le conducteur à sa température de fonctionnement, ce qui impose une lourde station de réfrigération à très basse température.

De plus, cette solution ne peut pas être étendue facilement aux conducteurs internes du véhicule, ce qui restreint l’avantage de la supraconductivité.

Se contenter d’approcher, sans les atteindre les objectifs critiques.

  • La charge totale de la batterie est beaucoup plus difficile a atteindre qu’une charge partielle à 75 % ou même 50 %. En effet, dans ces cas, la valeur de l’énergie à transporter est multipliée par 0,75 ou 0,50, ce qui permet de réduire l’intensité dans les mêmes proportions : on passe à 3300 ampères (75 %) ou 2200 ampères (50 %).
  • On peut se contenter de 10 minutes de temps de recharge, au lieu de cinq. L’intensité passe alors à 1650 A pour 75 % de charge et 1100 A pour 50 % de charge.
  • On peut accepter une capacité de la batterie divisée par deux (292,8 au lieu de 585,6 kWh, ce qui correspond encore à trois fois la capacité de la batterie de la Tesla 3. On arrive alors à 550 ampères, valeur qui devient réaliste avec les moyens actuels.
  • Cette valeur peut encore être divisée par deux pour arriver finalement à 275 ampères, si on accepte de monter la tension de recharge à 1000 volts.

 

Il est probable que c’est vers cette troisième solution que les constructeurs vont se tourner, en oubliant les objectifs initiaux et en acceptant une autonomie réelle réduite (300 ou 400 km ?) et un temps de recharge de 10 minutes qui devient réaliste si le nombre des stations de recharge est important, et qu’on les trouve partout, ce qui est rendu possible par l’abaissement des contraintes.

CONCLUSION

Ces petits calculs de coin de table montrent que les batteries des voitures électriques sont assez loin des performances d’un simple réservoir de carburant diesel.

Par ailleurs, il faut se résigner au fait qu’elles ne pourront tout simplement pas les atteindre, non pas pour des raisons liées aux batteries elles-mêmes, mais pour des raisons de puissance de distribution. Il faudra réduire nos ambitions. Et le véhicule électrique pour tous n’est probablement pas pour demain, ni même pour après-demain.

 

Article publié initialement le 14 août 2020.

  1. La capacité d’une batterie est la quantité d’énergie électrique qu’elle est capable de restituer après avoir reçu une charge complète, pour un régime de courant de décharge donné, une tension d’arrêt et une température, définies. Elle est souvent mesurée (incorrectement) en ampèreheure, unité qui n’est pas une unité d’énergie. ↩
  2. Transférer (et non pas consommer) une certaine quantité d‘énergie en un certain temps t peut se noter E/t et a donc la dimension d’une puissance. On peut appeler pseudo-puissance le résultat de cette opération. ↩
  3. Attention, il ne s’agit pas d’une vraie puissance, mais du résultat de la division d’une énergie exprimée en kWh par un temps exprimé en heures. Le résultat s’exprime donc en kW et possède la dimension d’une puissance, mais il exprime une vitesse de transfert d’une énergie, et non une puissance. ↩
  4. Tesla et Porsche envisagent des bornes de recharge capables de recharger un véhicule en « une poignée de minutes » ce qui nécessiterait, d’après l’article en référence, une puissance d’alimentation de 600 kW. ↩

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4 réponses

    1. Remarques que vous jugez de bon sens mais qui restent très théorique et totalement éloignées de la réalité d’un parcours de longue distance… en thermique comme en VE.
      Vouloir à tout prix transposer ce qu’on connaît à une nouvelle technologie, c’est regarder par le petit trou de la lorgnette.

  1. Je ne comprends pas le but de votre article…

    1) La batterie n’a pas besoin de stocker autant d’énergie que le réservoir d’essence car le rendement de la chaine de propulsion est bien meilleur (vous l’évoquez plus tard).
    2) Je constate que le moindre arrêt en thermique sur l’autoroute dure 15 minutes (je n’ai pas envie de faire de mon trajet un marathon). On peut donc retenir une hypothèse 3 fois moins exigeante.
    3) Certaines batteries sont en 800 V, ce qui permet de limiter les problèmes liés à l’ampérage.
    4) Je ne connais personne capable de rouler sans pauses jusqu’à l’épuisement de son réservoir d’essence… Il y aura, sur des trajets de 800 km, minimum 2 pauses physiologiques, dont une pour s’alimenter.
    Donc votre raisonnement scientifique reste très théorique et utilise des postulats qui sont, en application pratique, critiquables et qui biaisent le résultat.

    Il se trouve que j’ai acheté un VE il y a 2 ans et je me suis intéressé aux temps de mes longs trajets (je fais régulièrement 850 km) :
    Là où je mettais 8h45 porte à porte en thermique, je mets entre 8h55 et 9h00 en VE à la même vitesse moyenne et sans rien changer à mes habitudes. Sur ce trajet, seul 1 arrêt m’est imposé par la voiture et il dure 12 minutes. Les 2 autres me permettent de prendre un café (départ matinal) et le repas du midi. Dans ces 2 cas, la voiture est prête avant moi…

    Par contre, en échange de ces 10 à 15 minutes perdues (3% du temps de trajet…), j’ai énormément gagné en fatigue (silence de fonctionnement) et en plaisir de conduite (couple et réactivité de l’électrique). Alors que j’étais très réticent à l’origine, je ne reviendrai en RIEN sur une thermique.

    J’espère que cet article n’était pas un moyen supplémentaire de dénigrer ce mode de propulsion dont les avantages (confort, agrément, économie, écologie) sont TRES supérieurs aux inconvénients.

    Cordialement.

    1. Je ne cherche évidemment pas à convaincre les quelques milliers de convaincus d’avance : je sais que c’est parfaitement impossible.
      Par contre, je m’adresse aux nombreux millions de Français qui cherchent une information objective et qui essaient de se prémunir contre une publicité plutôt pernicieuse qui cache soigneusement les inconvénients au profit d’avantages hypothétiques. C’est une des caractéristiques des publicités, et heureusement, de nombreuses personnes s’en doutent.
      Le VE trainera toujours l’inconvénient d’une charge longue. On peut toujours dire que ce n’est pas grave. Mais on ne peut pas prétendre que cet inconvénient n’existe pas.

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