(Article de Philippe Charlez initialement publié dans Boulevard Voltaire du 16/02/22)
Le discours qu’Emmanuel Macron a délivré à Belfort, le 10 février 2022, annonçant la construction de six réacteurs nucléaires EPR 2, représente un virage à 180° au regard de ses engagements énergétiques de 2017, mais il est l’un des plus clairs de son quinquennat.
Suite à la flambée des prix de l’énergie et en particulier de celle du gaz depuis l’été dernier, le président de la République a pris acte que la décarbonation de la société devrait en priorité s’appuyer sur la génération électrique nucléaire, considérant au passage « qu’une stratégie misant sur un seul type d’énergie (c’est-à-dire renouvelables) serait une impasse ». Il en va à la fois de la sécurité électrique de la France que les renouvelables ne pourront jamais assurer seuls (ils nous ont délivré moins de 3 % de l’électricité au cours du mois de janvier), mais aussi des futurs prix de l’électricité (le prix du gaz compte pour 90 % dans le prix du MWh électrique, contre moins de 5 % pour l’uranium).
La décarbonation n’est toutefois que le pilier le plus visible de la transition énergétique. Le second dont on parle moins s’appelle « sobriété énergétique » et repose sur la réduction de notre consommation énergétique dans l’habitat, les transports et l’industrie où des gisements considérables d’économies existent. Emmanuel Macron ne l’a pas oublié dans son discours en déclarant que « pour atteindre ses objectifs climatiques, la France doit en trente années baisser de 40 % sa consommation d’énergie ».
L’économiste Christian Saint-Étienne avait donc vu juste en tweetant, après le discours du Président, que personne ne relayait « le chiffre clé de son propos : la baisse programmée de 40 % de notre consommation d’énergie qui rend impossible la réindustrialisation et la hausse du niveau de vie ».
Il y a toutefois une différence notable entre décarbonation et sobriété énergétique.
Alors que la croissance économique peut, en théorie, se passer de carbone (il suffit de remplacer l’ensemble des énergies fossiles par des énergies décarbonées), elle ne peut en revanche se passer d’énergie. Il existe donc un seuil de consommation énergétique sous lequel la croissance économique n’est plus possible. Pour l’anticiper on ne peut se contenter de la notion trop simpliste de sobriété énergétique.
Il est indispensable d’introduire le concept d’intensité énergétique qui rapporte la consommation d’énergie primaire d’une région ou d’un pays à sa production de richesse. S’exprimant en kWh/dollar, il traduit la quantité d’énergie requise pour produire une unité de richesse. Plus l’intensité énergétique est faible, plus l’économie d’un pays s’avère performante.
Depuis le début du XXe siècle, l’intensité énergétique mondiale est passée de 7 kWh/dollar à moins de 2 kWh/dollar. Cette remarquable baisse cache toutefois une forte hétérogénéité géographique : tous les pays de l’OCDE se situent bien en dessous de la moyenne mondiale, tandis que la plupart des pays émergents ont une intensité énergétique bien supérieure. Ainsi, pour produire un dollar de richesse, la France et l’Allemagne consomment un peu moins de 1 kWh et la Grande-Bretagne 0,8. En revanche, pour produire ce même dollar de richesse, la Russie consomme 5 kWh, l’Inde 3,5 et la Chine 3.
Ces fortes disparités s’expliquent en partie par la désindustrialisation des pays de l’OCDE au profit des services. Toutefois, compte tenu du poids moyen de l’industrie dans la production de richesses nationales (< 30 %), la différence s’explique surtout par l’inefficacité des systèmes énergétiques des pays émergents (habitat mal isolé, parc de voitures mal entretenu, outil industriel obsolète).
Les tendances mondiales montrent que la valeur seuil de l’intensité énergétique se situe autour de 0,6 kWh/dollar. En considérant pour la France une croissance économique de 1 % par an au cours des 30 prochaines années, cette valeur minimale pourra s’accommoder d’une réduction maximale de la consommation d’énergie de l’ordre de 21 %.
En d’autres termes, le chiffre de 40 % de réduction avancé par Emmanuel Macron dans son discours s’avère totalement incompatible avec la poursuite d’une croissance économique minimum mais aussi d’une potentielle réindustrialisation que la plupart des candidats ont intégrée à leur programme. Et que dire des scénarios extrêmes de l’ADEME (-54 % et -56 %) et de celui du groupe NEGAWATT (–65 %) sur lequel Jean-Luc Mélenchon a construit sa stratégie énergétique. Bien des scénarios font donc de la décroissance sans le dire !