L’Europe doit repenser ses politiques vertes déficientes

(Article de Pieter Cleppe initialement publié dans Contrepoints du 2 Avril 2022)

En raison des graves conséquences de la guerre, un consensus se dégage sur le fait que les politiques énergétiques et environnementales de l’UE ont besoin d’une révision fondamentale.

La guerre de Poutine en Ukraine a bouleversé la politique énergétique européenne. Comme l’a affirmé le professeur Samuele Furfari, qui a été pendant plus de 35 ans un haut fonctionnaire à la direction générale de l’énergie de la Commission européenne, l’UE « a ignoré sa propre stratégie de diversification de l’approvisionnement énergétique », ne parvenant pas à mettre en œuvre ses propres plans conçus en 2000, pour lesquels M. Furfari a été le principal communicateur au sein de la Commission.

Au moins, il y a maintenant un consensus pour ne plus être excessivement dépendant de la Russie pour l’approvisionnement en énergie, qui est un phénomène artificiel, causé par les politiques environnementales de l’UE ayant impliqué une promotion des sources d’énergie peu fiables, comme l’énergie éolienne et solaire. En fin de compte, ces politiques ne sont pas bénéfiques pour l’environnement, non seulement parce que l’énergie solaire et l’énergie éolienne présentent également des aspects négatifs pour l’environnement, mais aussi parce que leur manque de fiabilité nécessite l’utilisation du gaz comme source d’énergie de secours, étant donné les interdictions et les restrictions imposées au charbon et à l’énergie nucléaire.

Pourtant, la bataille pour des politiques énergétiques plus raisonnables et plus respectueuses de l’environnement n’est pas encore terminée.

La Belgique va inverser sa sortie du nucléaire, même si elle ne gardera ouverts que deux de ses sept réacteurs. Un futur gouvernement belge pourra alors rouvrir les autres réacteurs.

Au Japon, une nette majorité est désormais favorable à la réouverture des centrales nucléaires qui avaient été fermées après le tremblement de terre et le tsunami qui ont frappé une centrale nucléaire.

En Allemagne, pour l’instant, les Verts ont réussi à empêcher la prolongation des trois centrales nucléaires encore en activité au-delà de la fin de cette année. Ils sont même prêts à rouvrir des centrales à charbon polluantes afin de pouvoir professer leur foi dogmatique anti-nucléaire. Pourtant, la pression sur les Verts s’accentue.

Des sanctions sévères ont été imposées à la Russie par les nations occidentales et leurs alliés. Il n’est pas certain qu’elles fassent changer d’avis Poutine. Si les Ukrainiens méritent de la sympathie et peut-être même un soutien en armement – avec des limites raisonnables, pour éviter que les pays européens ne soient entraînés dans la guerre – pour leur combat courageux, on peut se demander si les Européens ne s’infligent pas des blessures pour rien, au cas où la Russie poursuivrait son agression malgré les sanctions. Quoi qu’il en soit, se concentrer sur la réduction de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie pourrait être beaucoup plus efficace.

Pour l’instant, l’Allemagne empêche que les sanctions soient étendues au commerce du gaz avec la Russie. C’est judicieux, étant donné que le plan de la Commission européenne pour devenir indépendant du gaz russe est déficient. L’Allemagne est maintenant ouverte à l’abandon progressif du pétrole et du charbon russes d’ici à la fin de 2022, a suggéré le chancelier Scholz, tandis que son ministre des Affaires étrangères a promis de mettre fin à la dépendance vis-à-vis du gaz russe.

Les affaires courantes à Bruxelles, ou une remise en question des expériences vertes ?

Alors que l’Europe se débat avec la question de l’adaptation de ses politiques énergétiques à la nouvelle réalité géostratégique, certaines affaires courantes de l’UE continuent tout simplement. Comme si la restriction du commerce avec la Russie ne suffisait pas, les initiatives de l’UE qui étaient préparées avant la guerre sont poursuivies comme si rien ne s’était passé.

L’une d’entre elles est le mécanisme d’ajustement aux frontières pour le carbone (Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, en anglais Carbon Border Adjustment Mechanism, CBAM), qui équivaut en réalité à un tarif climatique protectionniste de l’UE, que la présidence française de l’UE vient de réussir à faire soutenir par les États membres, pour le plus grand plaisir du président français Macron, désireux de brandir le drapeau du protectionnisme pendant sa campagne de réélection.

Le CBAM prévoit une nouvelle taxe sur les importations d’acier, au moment même où les entreprises de construction de l’UE préviennent que la construction pourrait s’arrêter en raison de la pénurie d’acier. Et croyez-le ou non : malgré les pénuries massives d’engrais, l’UE va également imposer un tarif supplémentaire sur ces produits, qui sont déjà soumis à des droits antidumping européens et qui sont essentiels pour l’approvisionnement alimentaire.

Au moins, le CBAM semble être une exception. Une fois encore, le président français Macron a appelé à un ajustement de la politique alimentaire phare de l’UE, ou Farm to fork qui implique de nouvelles restrictions sur l’agriculture. Le commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski, a également promis que la Commission réexaminerait cette stratégie ainsi que celle pour la biodiversité, afin de déterminer si ces politiques peuvent encore garantir la sécurité alimentaire de l’Europe dans les circonstances actuelles.

Pour l’instant, l’Allemagne et Frans Timmermans, le commissaire européen chargé du climat, s’opposent à un tel revirement. Mais face à une crise alimentaire mondiale, comme le prédisent de nombreux experts, les choses pourraient changer, d’autant que le secteur alimentaire européen est tributaire des importations de gaz.

Les biocarburants et l’huile de palme à la rescousse ?

Le projet de l’UE d’éliminer progressivement les biocarburants d’ici à 2030 pourrait également être remis en question à cet égard. Les prix de l’huile de tournesol montent en flèche à la suite de l’agression russe, étant donné que la Russie et l’Ukraine sont toutes deux des producteurs clés. En conséquence, certains fabricants britanniques ont dû passer d’urgence à l’huile de colza raffinée.

Mais selon la chaîne de supermarchés Iceland :

« Il y a certaines recettes où le seul substitut viable à l’huile de tournesol, soit en raison de ses propriétés de traitement, soit pour des questions de goût, s’avère être l’huile de palme ».

En conséquence, la chaîne est revenue sur son interdiction de l’huile de palme, en tant qu’ingrédient pour par exemple les frites surgelées ou le poisson pané. L’entreprise a ainsi souligné qu’elle n’utiliserait que de l’huile de palme certifiée durable.

Il convient de noter que cela ne devrait pas être trop difficile, car selon l’ONG Global Canopy les chaînes d’approvisionnement en huile de palme font un bien meilleur travail que les entreprises d’autres secteurs lorsqu’il s’agit de prévenir la déforestation.

Selon WWF :

« La meilleure chose à faire est de soutenir l’huile de palme durable et d’éviter les boycotts, car nous savons que les substitutions avec d’autres huiles végétales peuvent entraîner des dommages environnementaux et sociaux encore plus importants. »

Par ailleurs, on craint de plus en plus que l’Europe ne soit à court de diesel suite à l’invasion de l’Ukraine. Selon une estimation, elle ne disposerait que d’environ 40 jours de réserve de ce carburant crucial dans ses stocks. Les biocarburants reposant sur l’huile de palme originaire de Malaisie et d’Indonésie – géostratégiquement fiables – pourraient alors s’avérer une proposition intéressante.

De même, l’hypothèse selon laquelle les biocarburants provenant de cette partie du monde entraîneraient une déforestation excessive – qui est à l’origine de l’élimination progressive prévue – semble tout à fait erronée, car tout dépend simplement de la provenance de l’huile de palme concernée. Selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la déforestation n’est pas aussi problématique en Asie qu’en Afrique et en Amérique du Sud. Dans un rapport récent, le World Resources Institute, ou WRI a même spécifiquement désigné l’Indonésie et la Malaisie comme des points d’espoir pour les forêts.

Conclusion

Avant même l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une crise énergétique et alimentaire majeure se profilait déjà. Elle était dûe aux retombées de la crise de covid, mais aussi à des années d’expériences politiques à grande échelle en Europe en matière d’approvisionnement énergétique. En raison des graves conséquences de la guerre, un consensus se dégage sur le fait que les politiques énergétiques et environnementales de l’UE ont besoin d’une révision fondamentale. Ce besoin ne fera que se faire plus pressant.

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