Véhicules électriques ? Pourquoi pas mais à condition d’avoir de l’électricité !

Promouvoir les véhicules électriques est incompatible avec le développement des énergies éolienne et solaire. Évidemment, les politiciens veulent les deux.

Ce 8 juin 2022, le Parlement européen a voté en faveur de la proposition de la Commission européenne d’interdire en 2035 au plus tard la vente de véhicules thermiques y compris pour les camionnettes et les hybrides. L’Italie est parvenue à obtenir une dérogation pour les voitures de luxe et de sport (Maserati, Ferrari). Le Conseil de l’UE doit à présent adopter la proposition. La volonté de se passer de pétrole et surtout du diesel russe favorise cette décision malgré la dépendance chinoise qui pointe sur les batteries et les matériaux qui les composent.

Les voitures électriques sont de plus en plus présentes dans nos rues. Tout comme on distingue immédiatement un mouton noir dans un troupeau, on observe au premier coup d’œil une automobile 100 % électrique. Rappelons que le véhicule électrique a précédé celui thermique. Henri Ford et Thomas Edison étaient amis et siégeaient dans leurs conseils d’administration respectifs. Edison était convaincu que le véhicule électrique allait l’emporter, mais il a finalement dû concéder la victoire à son ami qui avait misé sur le véhicule thermique. Ce n’est qu’avec le développement des batteries Li-ion que le véhicule électrique a pu rebondir. Pour l’anecdote, rappelons que c’est la compagnie pétrolière Exxon (aujourd’hui ExxonMobil) qui a découvert cette batterie lorsqu’il fallait d’urgence trouver des alternatives au pétrole à la suite des crises du pétrole des années 1970.

Une réalité… limitée

Il s’agit pour l’instant d’un marché de niche, essentiellement poussé par des mesures fiscales qui bénéficient aux entreprises, parce que les véhicules électriques sont plus chers à la construction et donc à l’achat. Feu Serge Marchionne, PDG de Fiat-Chrisler, avait carrément déclaré lors du Salon de l’auto à Détroit de 2014 « n’achetez pas mes véhicules électriques, car je perds 10 000 euros par voiture ». Celles-ci bénéficient de déductions fiscales diverses, totalement discriminatoires vis-à-vis de la population qui ne peut pas, dans sa très grande majorité, se payer de tels véhicules chers.

Luc Chatel, le président de la Plateforme automobile (PFA), qui regroupe la filière automobile française a déclaré sur BFM Business :

« Je ne sais pas si nous aurons les clients pour ces voitures électriques, qui coûtent 50 % plus cher que les thermiques. On a déjà du mal à vendre des voitures aujourd’hui ».

En moyenne dans l’UE, dans plusieurs pays européens l’acheteur d’une voiture électrique reçoit plusieurs milliers d’euros. Cette opportunité de marketing lui donne une image verte qui est bienvenue vu la hargne envers le monde des entreprises. On est en droit d’ailleurs de se demander si tous les avantages présents et annoncés seront compatibles avec l’état déplorable des finances publiques, d’autant que plus de véhicules électriques signifient aussi moins de ventes de produits pétroliers et donc de revenus par les diverses taxes sur ceux-ci.

Selon l’association européenne des constructeurs et importateurs d’automobiles (ACEA), il y a 243 millions de voitures à combustion interne en 2021. Comme la Commission européenne prévoit que 15 millions de nouveaux véhicules vendus à partir de 2035 seront électriques, les émissions de CO₂ du secteur routier ne diminueront que de 2 % par an. Et l’impact sur les émissions totales de GES sera inférieur à 1 %. Par ailleurs, il y a plus de 28 millions de camionnettes en circulation dans l’UE qui consommeront beaucoup d’électricité à cause du poids de la charge transportée. Il ne vous aura pas échappé que la décision du Parlement ne concerne pas le transport routier…

L’ACEA considère :

« Malgré une augmentation des immatriculations ces dernières années, les voitures à motorisation alternative ne représentent que 4,6 % du parc automobile total de l’UE. 0,8 % de toutes les voitures circulant sur nos routes sont des hybrides électriques, tandis que les véhicules électriques à batterie et les véhicules hybrides rechargeables ne représentent chacun que 0,2 % du total ».

La Chine apprécie

Selon moi, l’argument du manque d’autonomie du véhicule électrique n’est pas recevable, car la grande majorité des trajets peut très bien se satisfaire de l’autonomie actuelle, d’ailleurs en croissance. Mais d’autres inconvénients, bien plus sérieux, vont freiner l’illusion de la Commission européenne et du Parlement européen d’imposer l’abandon des véhicules thermiques en 2035 : manque de métaux rares, contrôle de ceux-ci par la Chine ce qui nous fait basculer d’une dépendance pétrolière vers une plus grande, perte de main-d’œuvre importante dans la construction automobile notamment en Pologne.

Mais comme on vient de le dire, on va vendre encore d’ici 2035 des véhicules thermiques pour les raisons déjà évoquées. Mais si les constructeurs européens, qui possédaient une supériorité technologique dans le secteur de l’automobile, vont anticiper la vente des véhicules électriques, ils vont produire de moins en moins d’automobiles thermiques et ce seront donc nos concurrents, chinois et indiens, qui viendront vendre leurs véhicules thermiques bon marché chez nous pour ceux qui ne peuvent se permettre d’acheter un véhicule électrique.

Après la destruction de tant de nos industries par le dumping des Chinois qui eux ne s’occupent guère des émissions de CO2, cette course trop rapide et sans garde-fous va détruire ce qui reste de l’industrie européenne. Que les écologistes ne s’en préoccupent pas n’est pas surprenant, puisque moins il y a d’industrie, pour eux, plus on sauvera les ressources naturelles. Mais que le reste des députés européens n’aient pas compris cette élémentaire réalité laisse pantois.

Le problème fondamental de l’électrification du transport

Le moteur électrique est très efficace et la consommation d’énergie d’un véhicule électrique est donc relativement faible. Faisons ce calcul pour l’UE, mais les résultats sont similaires pour tous les États membres.

Il y a 253,5 millions de voitures dans l’UE qui parcourent en moyenne 15 000 km par an. Selon l’ACEA, il y a 10 millions de véhicules neufs par an. Si les 10 millions vendus en 2023 devenaient tous électriques de manière linéaire avec le temps, nous aurions 64 millions de voitures électriques en 2035. Si le nombre total ne change pas, avec l’interdiction des véhicules thermiques d’ici 2035 on peut estimer qu’en 2035 il y aura 64 millions de véhicules électriques et 170 millions de véhicules thermiques.

Avec une consommation unitaire de 20 kWh/100 km (en moyenne entre 12 et 25 kWh, moins pour les véhicules légers et plus pour les lourds et selon la conduite), la consommation totale sera de

0,2 × 15 000 × 64 millions = 192 TWh.

Par rapport à la demande totale d’électricité de l’UE, qui est de 2900 TWh, l’électricité consommée représentera 7 % de la consommation électrique de l’UE, ce qui semble tout à fait raisonnable. Ce n’est qu’à terme que les 235 millions de véhicules devenus tous électriques que la consommation sera de

0,2 × 15 000 × 235 millions = 705 TWh

soit un quart de la production actuelle d’électricité. Mais s’il fallait ajouter la consommation supplémentaire en hiver, les pertes dues au transport de l’électricité et les pertes à la recharge, soit 20 à 30 % au total, selon modèle et mode de recharge, on est plus proche du tiers de la consommation actuelle que du quart.

Même si tous ne chargeront pas en même temps, il faut certainement des capacités de surproduction additionnelles aux 705 TWh. Ces calculs indiquent l’énergie qui sera effectivement consommée, qu’il faudrait théoriquement produire en continu pour assurer le kilométrage prévu. Au moment de la recharge, la puissance demandée est nettement supérieure et l’utilisation des véhicules n’est pas « lissée » dans le temps.

Le tableau ci-dessous présente les mêmes données pour un ensemble de pays. On peut observer que des pays comme la Pologne ou même l’Italie auront des défis majeurs à relever, car leur capacité électrique actuelle est plutôt faible par rapport aux besoins futurs possibles pour satisfaire l’électrification du parc automobile.

Impact des véhicules électriques sur le système électrique par 100 % d’électrification du parc automobile

 VéhiculesÉlectricité installéeDemande à terme
 millionkm/aCapacité installée GWGénération TWhConsommation TWH% de la production
Belgique5,617 36122,386,11923 %
France32,415 968133,1561,510318 %
Espagne22,415 803103,8275,67126 %
Italie37,316 587114,2295,212442 %
Pologne20,715 96742,8170,46639 %
EU-27253,515 000948290076126 %
UK32,511840104,8322,847724%
USA25119 80111174286,699423 %
Japon61,85163306950647 %

Un développement significatif des véhicules électriques ne peut s’envisager que si l’on construit de très nombreuses nouvelles centrales électriques. C’est d’ailleurs indispensable si l’on désire éviter tout risque de blackout majeur lors d’une recharge simultanée d’un grand nombre de véhicules.

De plus, ces nouvelles centrales doivent fournir de manière non aléatoire c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas dépendre des énergies renouvelables intermittentes (éolienne et solaire), particulièrement faibles ou nulles la nuit tandis que les recharges seront plus volontiers nocturnes. C’est-à-dire qu’elles devront être, soit des centrales au gaz naturel, soit des centrales nucléaires (ou des centrales au lignite en Allemagne puisqu’ils ne veulent plus de centrales nucléaires). Or, on connaît les difficultés que la construction de ce type de centrale soulève. En tout état de cause, pour des raisons de sécurité et pour éviter le déclenchement du système électrique, des dispositions doivent être prises pour fournir la puissance requise à tout moment, car le système électrique doit être fiable à 100 % à tout moment. Si le monde politique entend développer sérieusement le véhicule électrique, au lieu de débuter par l’interdiction de la vente des véhicules thermiques en 2035, il doit commencer par convaincre la population qu’elle doit accepter un nouveau système électrique avec une capacité installée nettement supérieure à celle existante composé de centrales au gaz ou bien nucléaire (ou au lignite en Allemagne).

Durant les heures creuses (de 21 h à 6 h), la capacité disponible peut compenser en partie le surplus de puissance, mais cela nécessite un contrôle strict afin d’éviter une surcharge du réseau. C’est assurément une bonne chose du point de vue macroéconomique d’augmenter le facteur de charge c’est-à-dire de faire fonctionner le plus possible les centrales électriques — y compris pendant la période qui est aujourd’hui celle des « heures creuses » c’est-à-dire lorsque la capacité installée est sous-utilisée parce que la demande est faible, mais cela n’est pas possible avec les centrales à production intermittente.

Certes, avec le temps, un smart grid (les réseaux intelligents) pourra en partie relever ce défi, mais cet objectif est encore loin d’être atteint. On en parle depuis si longtemps, et rien ne change. Afin d’absorber plus d’électricité variable et intermittente, le réseau électrique bien qu’il soit déjà « intelligent » devrait évoluer afin d’être en mesure d’absorber le caractère aléatoire à la fois de la génération électrique et celui de la demande croissante des consommateurs. Le smart grid doit être accompagné d’une gestion intelligente de nos consommations c’est-à-dire de n’utiliser de l’électricité que lorsque le vent et le soleil décident d’en fournir. Quand on observe que l’on parle d’efficacité énergétique et d’économie d’énergie depuis un demi-siècle et que le comportement humain continue à préférer son confort, on est en droit de s’interroger sur cette possibilité. En fait, on compte sur l’informatique afin de pallier les comportements humains qui ne sont pas toujours vertueux, mais ce ne sera qu’avec une tarification intelligente qu’on pourra y parvenir.

J’ai déjà écrit sur cette difficulté qui ne peut être éclipsée afin de poursuivre l’électrification du transport automobile. Un lecteur a répondu que l’« on peut s’arranger ». J’en conviens, c’est-à-dire en contrôlant la vie des gens qui ne pourront recharger leur voiture que lorsqu’un algorithme les y autorisera. On commencera par essayer d’étaler les charges au cours de la journée, mais en tenant compte que, dans leur grande majorité, ces voitures seront chargées la nuit (pour des raisons de commodité, mais également parce que la demande de courant de nuit est plus basse qu’en journée).

Une demande de cuivre en forte croissance

Selon PFA, en France, les 60 000 bornes de recharge aujourd’hui devraient passer d’ici 2030 à environ un million. Pour alimenter en électricité ce nombre croissant de stations de charge (privées ou publiques), il faudra installer partout de nouveaux câbles électriques permettant de transporter en basse tension la puissance mentionnée ci-devant afin d’éviter tout déclenchement du circuit électrique dans la zone concernée.

Ce n’est pas un problème compliqué, mais il sera extrêmement coûteux car le cuivre utilisé pour fabriquer les câbles est cher ; on peut le remplacer par l’aluminium avec des câbles de plus grosse section mais sa production qui demande beaucoup d’électricité n’existe pratiquement plus dans l’UE à cause de la politique climatique. De plus, il faudra ouvrir les rues et les trottoirs pour installer ces câbles plus puissants. En outre, il faudra construire de nouvelles lignes électriques à haute tension pour transporter plus d’électricité vers les centres de distribution. Ces coûts supplémentaires pour le réseau électrique doivent logiquement être payés par tous les consommateurs d’électricité (citoyens et industries), ce qui signifie une augmentation du prix de l’électricité supplémentaire à celle en cours. Cela pose un problème éthique : même les personnes qui ne conduisent pas un véhicule électrique devront payer plus cher leur électricité. C’est la raison pour laquelle le Commission a proposé un Fonds Social Climat qui de toutes les façons sera alimenté par l’impôt et l’emprunt c’est-à-dire par tout le monde.

Tout cela est de l’ordre du possible. Mais le danger de déclenchement du réseau électrique (blackout) est trop élevé pour prendre des risques. Les conséquences économiques d’un tel déclenchement rapporté par le prof Ernest Mund sont telles que je conseille vivement de ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Le véhicule électrique possède des atouts en matière de pollution atmosphérique (SO₂ et NOx), mais aussi des inconvénients géopolitiques et environnementaux (particules fines et CO2 à la source de production de l’électricité si ce n’est pas l’énergie nucléaire qui la génère). Mais quoi qu’il en soit, un développement autre que de niches passe par la construction de centrales non intermittentes.

Ce n’est assurément pas une solution pour pénaliser le pétrole

Bien que la proposition de directive de la Commission européenne d’abandonner l’automobile thermique soit bien antérieure à la guerre en Ukraine et donc aux sanctions contre le pétrole russe, il est évident que la volonté de se passer de l’or noir de l’Oural a fortement contribué à convaincre les députés européens à adopter cette proposition.

Mais est-ce que pour autant cela va pénaliser le pétrole mondial ?

Ce ne sera pas le cas, car actuellement, l’UE ne représente que 11,5 % de la consommation mondiale de pétrole et on a vu qu’en 2035 il y aura deux tiers des automobiles en circulation qui seront encore thermiques. Au contraire, moins de pétrole vendu en Europe impliquera davantage de pétrole pour ceux qui continueront à l’utiliser, ce qui sera la grande majorité du monde. Les pays en développement qui sont à peine électrifiés vont-ils abandonner les véhicules thermiques ? Moins de la moitié de la population africaine est connectée au réseau électrique et ceux qui le sont ne peuvent en profiter que pendant quelques heures.

Subventionner les véhicules électriques servira à libérer du pétrole que quelqu’un d’autre peut consommer à un prix inférieur. Partant, du point de vue macroéconomique, le bannissement des véhicules thermiques dans l’UE va pénaliser notre macroéconomie de multiples façons, y compris par un manque de compétitivité de notre système de transport routier. La conséquence de la décision européenne sera en plus d’un prix de l’électricité très élevé, une pénalité ultérieure par rapport aux concurrents dans un monde globalisé.

Les politiques ne doivent pas jouer aux ingénieurs

En paroles claires, promouvoir les véhicules électriques est incompatible avec le développement des énergies éolienne et solaire. Évidemment, les politiciens veulent les deux, ce qui est impossible. Mais eux ne s’embarrassent pas de considérations techniques.

Le principe de base d’une politique saine est la neutralité technologique. Ce fut vrai pendant longtemps à la Commission européenne, mais depuis que la politique climatique prime toutes les autres (y compris celle agricole !) les erreurs stratégiques s’accumulent. Faut-il rappeler l’interdiction du gaz de schiste dont l’UE est la principale importatrice aujourd’hui, le fiasco des biocarburants, le prix de l’électricité qui explose alors qu’était annoncée sa forte baisse ?

Les grandes mutations technologiques ne se sont jamais faites « sur ordre » de l’État ou de l’UE ni dans des délais courts de mise en œuvre. Il a fallu une quarantaine d’années de transition entre l’apparition des locomotives électriques à caténaire et la disparition totale des locomotives à vapeur (pour l’anecdote, la société de chemin de fer belge se vantait sur des placards en 1967 que le « train polluant n’existe plus »). Le Minitel français a été viable environ 25 ans avant de disparaître totalement.

Comme le secteur automobile de l’UE génère environ 7 % du PIB et emploie 10 % de la main-d’œuvre manufacturière, la menace pour l’économie et l’emploi de l’UE (notamment en Espagne et en Pologne) est sérieuse, mais ne semble pas inquiéter les députés européens. Ils estiment que cette destruction d’emplois sera compensée par la construction de batteries. Cela reste à voir, car les principaux composants de la voiture (moteur, boîte de vitesses, différentiel, etc.) sont à forte intensité de main-d’œuvre. Penser que le véhicule électrique va remplacer le moteur à combustion interne comme les mécaniciens ont remplacé les maréchaux-ferrants, c’est prendre un grand risque. Le remplacement de ces derniers n’a pas été décrété par l’État, mais imposé par le marché. Le marché aurait dû décider si le véhicule électrique doit supplanter le thermique, mais la course à la diabolisation du CO₂ est plus forte que le marché.

Lorsque le marché exercera des représailles — comme il est en train de le faire actuellement étant donné les errements de ce qu’on ne devrait même pas appeler une politique énergétique européenne — l’UE devra payer cher cette erreur stratégique pendant de nombreuses années.

 

 

Les derniers ouvrages de Samuele Furfari sont Énergie. Tout va changer demain ? et L’utopie hydrogène

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