L’illusion de l’hydrogène « vert »

L’ambitieuse » (folle ?) politique de l’hydrogène vert poursuivie par l’UE aura pour effet de renforcer les incohérences de la politique énergétique européenne, imitée par la France, et contribuera à alourdir les coûts de l’accès à l’énergie pour les consommateurs européens.

Avant 2020, l’hydrogène constituait un produit marginal essentiellement destiné à des usages industriels, puis en quelques mois ce « vecteur énergétique » est devenu le nouvel eldorado de la transition énergétique.

Ironiquement d’ailleurs, le 28 décembre 2021, l’agence de presse russe TASS avait déclaré que la Russie était prête à collaborer avec l’UE sur des projets d’hydrogène. Elle citait l’envoyé russe auprès de l’UE :

« Les gazoducs de la dernière génération, comme le Nord Stream 2, peuvent s’adapter rapidement à l’hydrogène, tandis que les gazoducs de type « brownfield », comme le gazoduc de transit ukrainien, n’offriront pas cette possibilité ».

L’emballement pour l’hydrogène est lié au biais par lequel la transition énergétique est abordée.

Le développement massif des énergies renouvelables intermittentes (EnRI) de type éolien ou solaire présente l’inconvénient majeur de ne pas être pilotables. Elles délivrent de l’électricité de manière fatale sans s’adapter à la demande quand parfois le système électrique n’en a pas besoin.

C’est là que l’hydrogène dit vert arrive en… sauveur.

Mais le terme vert à les épaules larges

Brancher les productions en surplus des renouvelables à des électrolyseurs éviterait de gaspiller l’électricité en produisant de l’hydrogène vert, puisqu’il provient d’énergies renouvelables.

Les acteurs du secteur gazier (les gaziers) ont compris l’énorme intérêt que cela représentait pour sauver leur activité.

En effet, le gaz naturel était considéré comme l’allié naturel de la transition énergétique car émettant deux fois moins de CO2 (400 g par kWh) que le charbon (800 g), mais… 60 fois plus que le nucléaire (6 g/kWh en France).

De plus en plus d’ONG environnementales contestent donc cette vision « gazière » qui serait un non-sens climatique.

Et comme le conflit russo-ukrainien a encore dégradé l’image du gaz naturel, embrayer sur l’hydrogène vert grâce à l’électricité renouvelable est devenu une opportunité de green washing permettant de sauver les lourds investissements dans les infrastructures gazières, et de maintenir l’activité commerciale de fourniture de gaz aux clients industriels ou résidentiels.

Les producteurs d’électricité renouvelable non pilotable et les gaziers sont donc devenus les meilleurs amis du monde grâce à l’hydrogène vert, avec la bénédiction de la Commission européenne et… de l’Allemagne. Cette dernière, du fait d’un développement démesuré des énergies renouvelables dans son Energiewende (115 GW d’éolien et 215 GW de photovoltaïque prévus en 2030), de sa dépendance élevée au gaz naturel, et de ses compétences historiques dans la chimie, s’est lancée hardiment dans cette folle aventure.

L’UE a donc complété sa première incohérence (développer les EnRI et réduire, voire supprimer le nucléaire) en développant une deuxième folie (l’hydrogène vert).

Des usages irrationnels

Certains usages envisagés pour l’hydrogène vert sont complétement irrationnels.

Selon une étude intitulée « The limitations of hydrogen blending in the European gas grid » publiée le 26 janvier par l’Institut Fraunhofer (IEE), les initiatives des distributeurs de gaz et des gouvernements visant à ajouter jusqu’à 20 % d’hydrogène vert aux réseaux de gaz seraient coûteuses, source de gaspillage, et techniquement complexes à réaliser. De plus, cette insertion d’hydrogène réduirait moins les émissions de carbone que d’autres actions.

Par conséquent, le mélange, même à de faibles pourcentages, constitue une mauvaise voie pour le déploiement de l’hydrogène et doit être évité.

L’ajout de l’hydrogène au réseau de gaz, comme le demandent de nombreux opérateurs gaziers, augmenterait les coûts de l’industrie d’environ 25 % en moyenne dans l’UE.

Le 17 mars le Cambridge Econometrics en association avec la Fondation européenne pour le climat (ECF) et l’Alliance européenne pour les économies d’énergie (EASE) a publié un rapport intitulé « Modelling the socioeconomic impacts of zero carbon housing in Europe » qui aboutit à trois conclusions essentielles :

  • Compter sur l’hydrogène vert plutôt que sur les pompes à chaleur pour le chauffage de l’Europe doublerait les factures d’énergie, coûterait des centaines de milliers d’emplois, diminuerait le PIB de 1 %, augmenterait la pollution atmosphérique en entraînant des décès prématurés et mettrait hors de portée les objectifs climatiques de l’UE pour 2030 ;
  • Le remplacement des chaudières à gaz par des pompes à chaleur, associé à des travaux de rénovation pour améliorer l’efficacité énergétique, serait la solution la plus économique pour décarboner le chauffage résidentiel ;
  • Même un mélange de pompes à chaleur et de chaudières à hydrogène vert serait pire pour les consommateurs et la planète que l’utilisation des seules pompes à chaleur.

 

Cette analyse indique que les chaudières à hydrogène nécessitent jusqu’à six fois plus d’électricité renouvelable que les pompes à chaleur. En outre, les chaudières à hydrogène libèrent du monoxyde d’azote (Nox), contribuant ainsi de manière significative à la pollution atmosphérique.

Le 30 mars, une étude produite par « Energy Innovation » exhorte les décideurs à faire preuve de scepticisme face aux demandes de subventions pour des projets visant à mélanger de l’hydrogène au gaz naturel pour le chauffage ou la production d’électricité est inefficace et ne contribue guère à réduire les émissions de GES.

Au contraire, tout en augmentant les coûts pour les consommateurs et la pollution atmosphérique, il pourrait contrecarrer des voies de décarbonisation viables en générant des risques pour la sécurité.

Enfin, le 6 mai, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) a lancé un avertissement selon lequel les efforts visant à mélanger l’hydrogène aux principaux approvisionnements en gaz pourraient faire augmenter les coûts énergétiques des ménages pour une réduction minimale des émissions.

Les résultats montrent que l’utilisation de l’hydrogène dans les appareils résidentiels (cuisinières, chauffe-eau) serait d’un coût prohibitif, et que le mélange d’hydrogène dans le gaz naturel est en grande partie suggéré par les entreprises gazières comme un moyen de retarder l’abandon de l’utilisation des gaz fossiles.

Ainsi, alors qu’au moins dix études indépendantes sont parvenues à des conclusions identiques, les distributeurs de gaz, Eurogas, et le Conseil de l’hydrogène continuent à faire croire que, dans le futur, les maisons seront chauffées avec de l’hydrogène propre fournie par les réseaux actuels de gaz naturel.

Une idée absurde pour la production d’énergie et le transport

Le 4 mai, un chercheur australien a produit un comparatif entre gaz naturel et hydrogène vert produit à partir de l’électricité photovoltaïque :

« La plus grande centrale solaire actuelle d’Europe située en Espagne a une puissance de 500 MW (représentant la surface de 1 200 terrains de football). En utilisant la totalité de cette centrale solaire pour produire de l’H2 vert pendant le temps de la traversée d’un méthanier actuel de grande taille (capacité de transport de 4 pétajoules (PJ)) pour atteindre l’Espagne (soit 15 jours), elle produira moins de 2 % de l’énergie contenue dans le chargement du méthanier. 

Pour produire l’équivalent du chargement, il lui faudra 2 ans ».

Pour remplacer le gaz importé de Russie par l’UE (185 Gm3 ou 6 600 PJ), il faudrait vider 5 méthaniers par jour, ou construire près de 2000 GW de fermes solaires.

Quant à remplacer la totalité de la consommation de gaz de l’UE (512 Gm3), il faudrait des fermes solaires d’une superficie équivalente à celle de l’Allemagne.

Dans un accès de lucidité, le responsable climat de la Commission (Franz Timmermans) a déclaré le 4 mai, que « l’Europe ne sera jamais capable de produire son propre hydrogène en quantité suffisante ».

Il n’y a déjà pas assez d’électricité pour produire suffisamment d’hydrogène en Europe pour supplanter le gaz naturel, ou alors cette production impliquerait des coupures tournantes d’électricité.

Et même si l’hydrogène était disponible en quantité suffisante, le problème ne serait pas réglé pour autant.

Le 14 décembre 2021, un groupe de 90 distributeurs de gaz européens (Ready4H2 qui fait campagne pour l’hydrogène à 100 % dans ses réseaux) a publié un rapport intitulé « Ready4H2 : Europe’s local hydrogen networks » indiquant que seuls 24 % des membres seront « totalement prêts (fully ready) » pour l’hydrogène à 100 % d’ici 2035, et 67 % seulement affirment qu’ils le seront d’ici 2040.

En d’autres termes, un tiers des distributeurs de gaz les plus favorables à l’hydrogène en Europe déclarent qu’ils ne seront pas prêts pour des réseaux d’hydrogène pur dans 20 ans, et que les trois quarts ne le seront pas dans 15 ans.

Le groupe définit l’expression « totalement prêt » comme incluant l’état de préparation des matériaux des tuyaux, tous les composants (raccords, vannes, équipement de mesure, compresseurs…) et matériels de l’utilisateur final.

L’hydrogène conduit aussi l’Europe vers une nouvelle dépendance.

Ces incohérences n’empêchent pas la Commission européenne dans son projet RePowerEU de proposer un programme « Hydrogen Accelerator » pour stimuler la production de 15 Mt supplémentaires d’hydrogène renouvelable d’ici à 2030 (en plus des 5,6 Mt déjà prévues par la stratégie actuelle, dont 10 Mt importées de « sources diverses » (?) et 5 Mt supplémentaires fabriquées dans l’UE).

Mais c’est surtout l’Allemagne qui multiplie des accords de production d‘hydrogène à l’étranger (Afrique, Australie, Moyen-Orient) pour alimenter le marché européen. Cette approche a été formalisée sous le terme de « diplomatie de l’hydrogène ».

  • Le 11 mars, la Hamburg’s Economy and Innovation Authority (BWI) a présenté une stratégie visant à faire de la ville portuaire de Hambourg une plaque tournante européenne pour l’importation d’hydrogène vert. L’hydrogène serait importé par voie terrestre (pipelines) et par voie maritime (méthaniers remplis de GNL). Le projet HyPerLink devrait connecter la ville au réseau européen d’hydrogène entre l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas.
  • Le 21 mars, à l’occasion de la visite du ministre allemand de l’économie et du climat aux Émirats arabes unis, les sociétés Uniper, Hydrogenious, JERA Americas et ADNOC ont annoncé un projet de transport d’hydrogène des Émirats arabes unis vers l’Allemagne au moyen de la technologie de transport d’hydrogène organique liquide (LOHC). A son départ d’Allemagne, il avait déclaré « une politique énergétique fondée sur des valeurs doit devenir indépendante des énergies fossiles ». Mais les valeurs humaines n’en font probablement pas partie !
  • Le 2 mai, le ministre allemand de l’Économie a signé un accord sur l’hydrogène avec le gouvernement indien. Assurer la montée en puissance de la production et des applications de l’hydrogène vert est également devenu l’une des missions du ministre allemand des affaires étrangères, qui est à l’origine du concept de « diplomatie de l’hydrogène ».

 

Pendant ce temps, la Commission européenne met sur pied un nouveau groupe d’experts et des réunions ministérielles annuelles (UE-Golfe) « dédiés à la transition verte ». Elle étudie les possibilités de développement d’interconnexions dédiées à l’hydrogène, ou d’investissement dans les réseaux existants pour les importations de gaz bas carbone et d’hydrogène vers l’UE en provenance du Golfe.

En parallèle la Commission loue le rôle important des pays du Golfe dans la diversification de l’approvisionnement, « ces fournisseurs fiables de GNL » (sic !) représentant une véritable alternative pour le gaz naturel ! La Commission aurait-elle oublié qu’elle critique régulièrement ces pays pour le non-respect des droits de l’homme, et que, loin de condamner la Russie, ils sont également proches de la Chine ?

Des alliances se nouent entre États européens et grands groupes énergétiques pour se partager les parts de cet énorme gâteau à venir.

Ainsi, par exemple, le 14 janvier, les Pays-Bas et le Chili ont annoncé travailler conjointement à la création d’un corridor permettant d’exporter l’hydrogène vert produit au Chili, afin de le distribuer en Europe. Le Chili possèderait en effet un potentiel d’énergie renouvelable de 1800 GW, soit 75 fois ses besoins internes, et il a l’ambition d’être en 2030 le leader mondial de la production d’H2 vert avec un prix inférieur à 1,5 dollar/kg H2, en s’appuyant sur sa Stratégie Nationale d’Hydrogène Vert.

Les Pays-Bas voient leur intérêt à diversifier avec l’hydrogène l’activité du port de Rotterdam par lequel transite 13 % de la totalité de l’énergie utilisée par l’UE, et qui est menacé par la disparition du gaz naturel. Ils cherchent à attirer dans ce projet, Engie, TotalEnergies, Enel, Siemens, RWE, Austria Energy, Linde ou Statkraft.

En résumé, « l’ambitieuse » (folle ?) politique de l’hydrogène vert poursuivie par l’UE aura pour effet de renforcer les incohérences de la politique énergétique européenne, imitée par la France, et contribuera à alourdir les coûts de l’accès à l’énergie pour les consommateurs européens.

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Une réponse

  1. La manipulation de l’hydrogène est délicate. Les fuites sont faciles, de plus l’explosion peut se produire à partir de 4 % dans l’air. Si ces risques sont maîtrisables dans les usines de production, il conviendrait d’y regarder à deux fois pour ce qui concerne la distribution et les transports. Il semblerait que le bon sens dans l’UE soit aussi volatil que l’hydrogène.

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