(Source : antimafia.net du 21 Juillet 2021)
Entretien avec Roberto Scarpinato, procureur général à la Cour d’appel de Caltanissetta.
Reporter : La mafia est très présente dans plusieurs pays et agit en investisseur avisé. Dans quel secteur agit-elle en ce moment, après l’immobilier, le trafic de drogue et la prostitution? En Allemagne par exemple, dans quel secteur la mafia investit-elle ?
Roberto Scarpinato : Jusqu’à présent, la mafia a surtout investi dans l’immobilier parce qu’il n’existe pas, au niveau européen, un registre immobilier qui permettrait de savoir que quelqu’un qui a acheté des biens immobiliers en Hollande ou en France, c’est la même personne.
La mafia a commencé à investir dans les énergies alternatives comme l’énergie éolienne et photovoltaïque. Elle commence à s’intéresser également à la privatisation des services publics, de l’eau par exemple. En Italie, différentes enquêtes ont montré que la Mafia contrôle quasiment tout le secteur de l’éolien en Sicile par le biais de centaines de sociétés qui semblent appartenir à des personnes différentes, mais qui en réalité, sont contrôlées par le même groupe. Et donc, la mafia continue à faire ce qu’elle a toujours fait. Elle s’est d’ailleurs toujours intéressée à l’énergie. Dès l’époque de Vito Cianciminio, ancien Maire de Palerme et grand mafioso, la mafia s’intéressait au secteur du gaz. Nous avons saisi des quantités considérables d’argent auprès de la famille Cianciminio qui provenait d’investissement de la mafia dans le secteur du gaz. Ensuite, après le gaz, la mafia s’est intéressée à l’énergie éolienne et photovoltaïque et nous avons découvert qu’il y a même eu des accords passés, entre les mafias italiennes et la mafia russe, pour pouvoir contrôler ce secteur de l’énergie qui est stratégique
Reporter : Cela montre bien le comportement parasitaire de la mafia qui dispose, désormais, de toutes les compétences économiques utiles pour tirer les marrons du feu. Pour reprendre l’exemple allemand, le grand paradoxe c’est que la mafia profite aussi des abaissements fiscaux qui s’appliquent quand on investit dans les énergies renouvelables.
Roberto Scarpinato : Oui, c’est un danger bien réel. Il y a bien un risque que des fonds européens, des fonds publics finissent dans les poches de la mafia. C’est arrivé en Italie. La mafia a contrôlé les appels d’offres public, a contrôlé les financements publics, et a eu des accords secrets avec des décideurs politiques importants en éliminant physiquement, des hommes politiques qui ne se laissaient pas corrompre. Ce problème, on l’a connu en Italie, vous allez le connaitre également chez vous.
Reporter : Cela dit, tout n’est pas négatif. Il y a des enquêtes qui ont abouti. Des centaines de mafiosi ont été mis sous les verrous et leurs biens ont été saisis. A-t-on porté à la mafia un coup fatal ?
Roberto Scarpinato : Malheureusement non. Parce que mon expérience m’a montré qui si on arrête chaque année quelque 200 à 300 membres de la mafia, il y en a 200 ou 300 autres derrières, prêts à prendre la relève. Et les chefs mafieux continuent à commander depuis la prison.
Par ailleurs, lorsqu’ils ont purgé leur peine, au bout de 7 ou 8 ans, ils reprennent leur activité criminelle. Et donc, même si l’état italien s’engage beaucoup dans la lutte contre la mafia, il semble que cette lutte ne puisse jamais s’arrêter. Mais ce qui est vraiment préoccupant, c’est que les mafiosi ne sont pas, comme on le pense souvent, des personnes brutales et ignorantes. Nous avons découvert qu’aujourd’hui, les chefs les plus importants de la mafia sont des médecins, des architectes, des chefs d’entreprise, des gens bardés de diplômes. Et ce sont des personnes qui sont capables de contrôler des secteurs très importants de la politique ou du monde de l’éducation. Des personnes qui ont des relations très importantes avec les puissants. Et donc, les enquêtes sont aujourd’hui beaucoup plus difficiles à mener. Ces personnes sont puissantes et jouissent de protections politiques. Très souvent, la justice parvient à s’emparer des hommes de main, des tueurs, des petits bras, mais les cerveaux, ils restent dehors.
Reproduction: C. Lovis – Premier article en 2011