(Gabrielle Cluzel dans Bd Voltaire du 30/7/22)
Observateur et acteur de la vie rurale, Yves d’Amécourt est père de famille, vigneron, ancien élu de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine*, porte-parole national du Mouvement de la ruralité (ex-Chasse, pêche, nature et traditions, CPNT). Durant l’été, période propice pour s’intéresser à nos campagnes, il nous donnera son éclairage sur l’actualité paysanne.
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Gabrielle Cluzel : Vous êtes viticulteur, la sécheresse va-t-elle être dévastatrice pour la production de vin, cette année ?
Yves d’Amécourt : En ce moment, il y a deux soucis majeurs : la canicule et la sécheresse. La vigne a un idéal de croissance autour de 25 °C. Quand les températures dépassent 35 °C, la photosynthèse des raisins et des feuilles est complètement chamboulée. Cela affecte le fonctionnement physiologique de la vigne et la qualité du raisin. Certains raisins sont échaudés, comme s’ils avaient pris un coup de soleil. La composition du raisin change avec plus de sucre et moins d’acide. C’est ce qui s’était passé en 2003. Nous avions produit des vins atypiques avec une très forte personnalité.
Pour ce qui est du manque d’eau, cela dépend beaucoup du terroir. Chez nous, dans les argiles de l’Entre-deux-Mers, les racines prospectent le sol très profondément. Ainsi, seules les jeunes vignes sont aujourd’hui en manque d’eau. Les vignes bien installées, elles, trouvent encore l’eau nécessaire pour produire des pousses. Pour les jeunes vignes et pour les vignes plantées dans des graves ou des sols peu profonds, l’INAO délivre des dérogations pour permettre aux viticulteurs d’arroser au cas par cas. Ce qui est interdit en temps normal.
L’idéal serait que nous ayons quelques précipitations au mois d’août afin que les grappes gonflent un peu et que les raisins produisent du jus.
Gel printanier, orages de grêle, manque d’eau et canicule auront été les événements marquants de ce millésime.
Et puis nous ne savons pas le temps qu’il fera au moment des vendanges. Tant que le raisin n’est pas récolté, on ne connaît pas le résultat final. Il faut donc être patient. La récolte 2022 sera sans doute moins abondante que prévu.
L’agriculture, c’est d’abord une grande leçon d’humilité.
G. C. : Que pensez-vous de ces « militants pour le climat » qui, en Italie, en France ou au Royaume-Uni, collent leurs mains sur des tableaux célèbres pour dénoncer l’urgence climatique ?
Y. A. : Je note qu’ils prennent soin – heureusement – de ne pas coller leurs mains directement sur les œuvres… À Londres, c’était sur le cadre de Pêchers en fleurs, de Vincent van Gogh. À Florence, c’était sur le verre de protection d’un tableau de Botticelli…
Je me pose la question de l’efficacité de telles actions et de la sincérité de ces associations. Il y a, dans ce militantisme, une forme d’embrigadement. On n’est plus dans le domaine de la raison.
Ces militants veulent l’arrêt des énergies fossiles (pétrole et gaz). Le problème, c’est que les uns et les autres ne proposent pas de solutions pour s’en passer. Eux-mêmes, comment voyagent-ils, que mangent-ils, comment se chauffent-ils ? Gandhi disait : « Soyez le changement que vous souhaitez. » Je serais curieux de savoir quel est le bilan carbone de ces associations donneuses de leçons.
Il y a sur tous ces sujets une forme de manipulation des esprits et de la pensée. Cette semaine, on nous annonce que la Terre a consommé l’énergie qu’elle est capable de produire en une année et qu’ensuite, on épuise ses réserves. C’est ce que les ONG nomment « le jour du dépassement ».
En fait, toute l’énergie disponible sur Terre vient du soleil. Or, la totalité de l’énergie consommée sur Terre chaque année par les hommes ne représente que 1/6.000 du rayonnement solaire terrestre… On est loin des limites évoquées. Mais tout le monde reprend en chœur ce « jour du dépassement » comme une évidence ! C’est devenu un marronnier.
Au catastrophisme des activistes, il faut opposer l’enthousiasme des acteurs ! Il y a des solutions à inventer. Plutôt que de militants autocollants, nous avons besoin de former des « Léonard de Vinci », des chercheurs, des scientifiques, des ingénieurs, des forestiers, des agriculteurs, pour inventer et installer un monde durable.
G. C. : Les ressources de notre sol sous toutes ses formes intéressent le « Terrien » que vous êtes ! Sur votre compte Twitter, vous évoquez la présence d’une énorme réserve de gaz inexploitée en Lorraine. De quoi s’agit-il exactement ? Pourquoi, selon vous, n’exploite-t-on pas ces ressources proprement françaises ?
Y. C. : Sans doute parce que je suis aussi un ancien élève de l’École des mines d’Alès, formé notamment à la gîtologie (la science des gisements).
Il y a une forme d’hypocrisie en France, et en Europe, dont nous avons déjà parlé ensemble, Gabrielle, qui consiste à jouer les chevalier blancs… On interdit la production sur notre sol, au nom du climat, de l’environnement, de la bienséance, de l’actualité du moment… Mais, parce que nécessité fait loi, on importe ce que l’on interdit de produire !
C’est vrai dans l’industrie, dans l’agriculture. C’est la même chose pour l’énergie.
En 2017, Emmanuel Macron, pour conquérir le cœur des écologistes, avait promis que la France cesserait d’exploiter les énergies fossiles… Nicolas Hulot, ministre, fit passer une loi le 6 septembre suivant « pour mieux lutter contre le réchauffement climatique ».
En fait, ce n’est pas la production qui a un impact sur le réchauffement climatique, c’est la consommation. Par contre, arrêter la production a un impact sur l’indépendance énergétique de la France, sur sa souveraineté. Mais à l’époque, personne ne s’en souciait ! L’important, c’était le symbole de la décision.
Déjà, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la fracturation hydraulique, technique utilisée pour obtenir les gaz de schiste, avait été interdite en France « au nom du principe de précaution ».
L’esprit du principe de précaution voulu par Jacques Chirac était « si j’ai un doute, je cherche plus »… Avec le temps, c’est devenu « si j’ai un doute, j’interdis ».
En 2014, alors qu’il était candidat à la présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy se prononçait à rebours de ses précédentes déclarations… pour l’exploitation du gaz de schiste, « cette nouvelle énergie »…
Ces revirements de nos chefs guidés par l’actualité, ce manque de vision, ce manque de connaissances scientifiques, ce manque de courage, ces prises de positions occasionnelles et changeantes sont en fait un désastre. Car on ne bâtit pas une stratégie de souveraineté énergétique sur le sable. Il faut des fondations solides et du temps.
Nous avons, en France, de nombreuses compétences sur ces sujets, dans nos écoles des mines, à l’IFP, chez nos industriels. Nous sommes capables de mettre au point des techniques qui répondent aux contraintes environnementales et aux exigences sociales et sociétales d’aujourd’hui. Ce qui n’est pas forcément le cas partout ailleurs, notamment dans les pays où l’on s’approvisionne.
En 2012, Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif, avait commandé une étude sur les réserves nationales d’hydrocarbures (gaz et pétrole). C’était une démarche utile. La conclusion était que l’exploitation des énergies fossiles en France pourrait rapporter entre 103 et 294 milliards d’euros sur trente ans et créer 225.000 emplois. Nos réserves de gaz représentant 170 % de nos besoins sur cette période !
Aujourd’hui se pose la question de savoir comment se passer du gaz russe sans tomber entre les mains de l’Oncle Sam. La solution est sous nos pieds.
Le gisement de Moselle, qui est du gaz de charbon, par exemple, a une empreinte carbone dix fois moins importante que le gaz en provenance de Russie. Pascal Mittelberger, chargé des relations publiques de la FDE [Française de l’énergie, NDLR], expliquait à Lorraine Actu, en mars dernier, que « la réserve de gaz est d’environ 190 milliards de m³ », ce qui représente la consommation de gaz des Français… sur cinq ans !