(Par Philippe Charlez dans Contrepoints du 9 septembre 2022)
La controverse concernant les superprofits a été largement instrumentalisée.
Au cours des derniers mois, la controverse concernant les superprofits a été largement instrumentalisée par une extrême gauche nupesienne soucieuse de véhiculer en permanence son discours anticapitaliste.
Le problème est systématiquement présenté de façon émotionnelle et caricaturale comme celui de grands groupes pétroliers et gaziers profitant honteusement de la guerre russo-ukrainienne au mépris des peuples en souffrance et distribuant sans vergogne une part de leurs superprofits à des actionnaires tout aussi infréquentables. Pourtant la réalité est tout autre.
Une crise énergétique antérieure au conflit
La crise énergétique remonte à l’été 2021 et est bien antérieure au déclenchement du conflit. Il s’agit d’une crise de l’offre (réduction de l’offre faute d’investissements dans les nouveaux projets pétroliers et gaziers) dont les origines remontent à 2015 et dont les conséquences étaient déjà très palpables sur les marchés dès 2017/2018.
Au cours du second semestre 2021, le prix du MWh gazier avait été multiplié par plus de quatre passant de 30 euros en juin à 140 euros en décembre. Sur la même période, le baril de pétrole s’enchérissait de 50 %. Il est donc faux et déloyal de relier l’accroissement des prix et les profits pétroliers et gaziers qui en résultent (que personne ne nie) au seul conflit russo-ukrainien. Intervenu que comme révélateur, ce dernier n’a fait qu’accentuer la réduction d’une offre déjà déclinante.
Par ailleurs, 95 % de ces superprofits sont extra-territoriaux car résultant d’une extraction dans un pays producteur. Si superprofit il y a, ce serait donc aux citoyens de ces pays producteurs et non aux Européens de réclamer le partage de la manne. Quoi qu’il en soit, déjà lourdement taxés dans leurs pays d’origine et sauf à modifier la législation européenne, ils ne peuvent faire l’objet d’une double taxation.
Qui fait des superprofits
En revanche, les superprofits réalisés par les producteurs d’électricité renouvelable sur le sol européen semblent pour l’instant immaculés quant à toute critique. Pourtant ce sont bien ces producteurs et non les grandes compagnies pétrolières qui profitent aujourd’hui du système électrique européen pour réaliser des profits stratosphériques.
Jadis réservé à des monopoles nationaux assurant 100 % de la production et de la distribution, le marché européen de l’électricité a été ouvert à la concurrence en 1996. Initialement réservé aux industriels, il a été étendu à l’ensemble des particuliers en 2007. Ce marché concurrentiel signifie que dans toute l’Union européenne, toute compagnie publique ou privée peut vendre librement des MWh et que toute entreprise ou particulier peut librement choisir son fournisseur. Ce libre marché a de facto induit une règle incontournable : le merit order ou règle de la source marginale. Chaque demi-heure les sources de production électrique (charbon, fioul, gaz, hydraulique, nucléaire et renouvelables) sont appelées dans l’ordre croissant de leur coût marginal et le prix du MWh est calqué sur celui de la dernière unité de production sollicitée (c’est-à-dire la plus chère). Sans merit order, cette dernière source ne serait jamais mise en œuvre.
Dans le système actuel construit autour d’acteurs multiples et concurrents, le producteur de la dernière source (aujourd’hui le gaz1) n’est bénéficiaire qu’à la marge. En revanche les autres producteurs appelés et en particulier ceux d’éolien et de solaire engrangent des superprofits sur le dos du consommateur. Contrairement à une idée reçue, les honteux bénéficiaires de la crise actuelle sont aujourd’hui les producteurs d’énergie renouvelables.
Les producteurs d’électricité renouvelable peuvent parfois se révéler très surprenants. Ainsi, le champion suédois des meubles en kit Ikéa possède en Europe 920 000 panneaux solaires et 534 éoliennes. En France, il est propriétaire de quatre fermes éoliennes. En partie financées par l’État Français, Ikéa produit dans l’Hexagone 185 GWh d’électricité à un coût moyen de 70 euros/MWh. En se basant sur les prix de gros actuels du marché, Ikéa empocherait près de 400 euros par MWh soit un pactole annuel de 74 millions d’euros. S’il existe aujourd’hui un mécanisme imposant aux opérateurs ayant bénéficié d’aides de reverser de l’argent à l’État lorsque le prix du marché dépasse le prix garanti, cette rétrocession reste aujourd’hui insuffisante par rapport aux superprofits engrangés.
Face à cette situation devenue insoutenable pour les citoyens européens, les Vingt-Sept souhaitent mettre en œuvre un mécanisme de contribution spécifique imposant aux opérateurs énergétiques dont les coûts de production sont très inférieurs au marché de rétrocéder une partie de leurs énormes profits. Il ne s’agirait donc pas d’un impôt sur les profits de quelques entreprises emblématiques tel que réclamé par l’extrême gauche française cherchant à imposer son agenda anticapitaliste. Dans ce cas pourquoi s’arrêter là ?
« Les entreprises qui vendent des hélicoptères et des armes réalisent aussi des superprofits » indique la fiscaliste Sophie Blégent-Delapille qui pointe « le manque de cohérence » de l’extrême gauche.
- Dans la mesure où il faut en moyenne 3 MWh de gaz pour fabriquer un MWh d’électricité, un gaz ayant dépassé les 300 euros/MWh conduit à un MWh électrique proche de 1000 euros.
3 réponses
J’ai du mal à suivre votre raisonnement même si sur le fond je suis d’accord avec vous sur l’éolien. Le MWh éolien est vendu au réseau à un prix garanti quel que soit le prix sur le marché spot. C’est à dire que, en pleine nuit lorsque le vent souffle et que le coût du MWh est très bas (beaucoup plus bas que le prix d’enlèvement de l’éolien), les opérateurs éoliens font un très gros profit. Mais cela était vrai avant la crise et cela le reste aujourd’hui. Le scandale est en réalité dans cet avantage énorme qui consiste à dire produisez tout ce que vous pouvez et on vous le prend à un prix plusieurs plus élevé que le prix de marché.
La situation nouvelle impose que ces compagnies reversent à l’état (qui les subventionne par le biais de prix d’achats très avantageux) ce qu’elle perçoivent en plus du prix d’achat garanti.
Il n’y a donc pas de superprofits dus à cette crise mais des superprofits qui existent depuis toujours et qui continuent. Heureusement que l’état en récupère un peu depuis que les prix sont si élevés.
Une autre remarque non liée à la précédente. La presse s’émeut parce-que le prix du MWh est passé vers 1000 €/MWh un certain jour récemment. Ce qu’aucun commentateur ne dit, c’est que ce prix dure pendant quelques instants (jusqu’à ce que on n’ait plus besoin de la source marginale. Cela peut être très court et le même jour, la nuit venue, le prix du MWh sera retombé à une fraction de ce chiffre considérable.
Bref, il y a encore de la pédagogie à faire vis à vis de l’opinion publique. Pour la gauche en général, ne vous fatiguez pas ils ont les idées toutes faites et aucun raisonnement rationnel ne pourra les changer.
Grinderdo
Le problème est que la pédagogie, nécessairement toujours à long terme, n’est pas le point fort, ni des politiques qui préfèrent les slogans, ni des journalistes qui s’intéressent souvent beaucoup plus à la forme qu’au fond.
Le terme de pédagogie est à la mode mais il m’exaspère. Il laisse croire que les Français sont restés des enfants et qu’il est encore nécessaire de les éduquer. C’est peut-être ce que pensent nos élites technocratiques auto-proclamées mais dans leur esprit pédagogie n’est pas loin de signifier propagande. Ce sont nos représentants et nos gouvernants qui ont besoin d’un sérieux recyclage. Rappelez-vous « la Guyane est une île des Antilles »…