Introduction
Ingénieur de formation ESME SUDRIA (Ecole supérieure de mécanique et d’électricité) Henri de Saint Romain est spécialiste de l’alimentation haute tension de grands secteurs industriels. Il a participé à la conception et à la réalisation de plusieurs grands aéroports mondiaux. Grace à ses compétences dans le domaine de la production et de la consommation d’électricité sur une grande échelle il a évalué le cout des investissements nécessaires pour le « tout électrique » voulu par l’UE et le Gouvernement français. Il nous livre ci-dessous ses conclusions. Elles sont effrayantes.
Obligation des véhicules électriques : quels investissements ?
La Commission Européenne vient de faire entériner le 8 juin 2022 par le parlement Européen l’interdiction de vente de véhicules thermiques à partir de 2035. Le Conseil des Ministres a confirmé ce choix le 28 juin. Le parc roulant en France étant à peu près remplacé en 15 ans, en 2050 il n’y aura plus que des voitures électriques. Il faudra les alimenter en électricité, comme le charbon et le gaz seront bannis ne restera que l’énergie atomique.
Pour évaluer l’effet sur l’économie il est nécessaire de faire l’état des lieux.
Très grossièrement il y a 40 millions de voitures thermiques en France, et il s’y vend près de 2 millions de voitures par an soit 5 % du parc dont 10 % sont électriques. Ces voitures électriques remplacent donc 0,5 % du parc tous les ans jusqu’en 2035 soit durant 12 ans. En 2035 il restera donc 100 % du parc moins 6 % de voitures électriques soit 94 % de voitures thermiques.
Pour alimenter la totalité des voitures qui seront vendues il faudra des bornes de recharges partout, le long des trottoirs, dans les parkings publics et d’immeubles, dans les stations-services…
Examen du problème
Des statistiques du CNR (Compagnie Nationale du Rhône), de l’URF (Union routière de France) et de STATISTA (portail statistique allemand) il ressort qu’il y aurait en France une consommation de carburant de :
Environ 11 millions de m3 de gazole par an par les poids lourds français et étrangers (7,5 et 3,4) Environ 19 millions de m3 de gazole et d’essence par les utilitaires légers.
Environ 30 millions de m3 de carburant, essence 10 et gazole 20, consommés par les voitures particulières.
Soit environ 60 millions de m3 de carburant au total.
Les poids lourds sont à l’heure actuelle à exclure car la directive UE ne les concerne pas. Il ne faut dans le premier temps comptabiliser que les voitures et les utilitaires légers soit environ 49 millions de m3 de produits pétroliers. Il faut donc fournir l’électricité devant remplacer ce carburant. Cependant ce remplacement ne se fait pas tant pour tant, car énergétiquement les véhicules électriques nécessitent que leur soit fourni en électricité de quoi compenser les pertes dans les lignes électriques, environ 10 %, plus celles pour le chargeur de batterie d’un rendement de près de 95 %. Comme la batterie restitue environ 90 % de l’énergie qu’elle a reçue lors de la charge, et que le « convertisseur » associé au moteur électrique consomme encore 6 à 8 % du courant, il en ressort que le rendement global de la chaine est 0,9 x 0,95 x 0,9 x 0,92 = 70 %. Comme ces véhicules sont plus lourds que leurs équivalents thermiques ils consomment 20% de plus, le rendement est alors 70 / 1,2 = 58 % Il faut donc pour la centrale électrique produire : 100 / 58 = 1,72 fois l’énergie consommée en carburant pétrolier par le véhicule.
Bilan de la conversion
Pour comprendre où mène la conversion il faut donc estimer d’abord l’énergie de ces 49 millions de m3 de carburant.
Sur la base de 1,2 m3 et de 11,67 MWh par tonne de gazole nous obtenons 49/1,2 x 11,67 = 476,5 TWh. Il faudra donc fournir 1,72 x 486,2 = 820 TWh (1 térawatt heure = 1 milliard de kWh) d’électricité pour les véhicules électriques.
Recharge des véhicules électriques : quels investissements ?
Etat des lieux
Le réseau routier français comporte :
- 12 000 Km d’autoroutes
- 9 000 Km de routes Nationales
- 34 000 Km de départementales à grande circulation
Soit un total de 1 091 075 Km de routes.
Le nombre de stations-services dépasse 11 000 qui se répartissent en 443 sur les autoroutes, 5 300 dans les grandes surfaces et 5 800 traditionnelles sur les routes.
Lors des départs la circulation dépasse 3500 véhicules à l’heure sur les autoroutes. Ils devront être rechargés au mieux au bout de trois heures soit aux environs de 300 Km de leur point de départ. Sur la base d’une recharge en cinq minutes (actuellement impossible sur une borne ultra rapide mais qui sait, dans l’avenir ?) cela représente 300 recharges simultanées sur chaque itinéraire. Sur les 12 000 Km d’autoroutes les stations-services sont en moyenne tous les 12 000 / 443 = 27 Km, en supposant que les recharges aux environs de 300 Km se répartissent sur cinq stations-services cela nécessite quand même 60 bornes par station ! Toutes les stations ne seront pas équipées mais le nombre moyen de bornes ne pourra descendre en dessous de 30 pour permettre l’écoulement fluide du trafic.
Calcul des coûts d’investissements pour la recharge des batteries
Sur le réseau routier
Pour une station-service le coût moyen sera de 30 fois le coût d’une borne actuellement estimé à 45 000 € soit 1,35 Millions. Pour les 443 stations d’autoroutes on atteindrait 600 Millions.
Seulement le plus grand nombre de stations-services se trouve sur les routes et dans les grandes surfaces et elles devront posséder des bornes de recharges. En estimant à une borne par station traditionnelle et à dix bornes en moyenne pour les grandes surfaces on obtient
53 000 + 5 800 = 58 800 bornes soit un investissement de 2,650 Milliards d’€, sans tenir compte d’un éventuel coût de renforcement du réseau électrique basse tension.
En ville l’estimation de l’investissement de recharge des voitures est beaucoup plus difficile.
A Paris
A Paris il y aurait 462 000 voitures dont environ 100 000 dormiraient dans la rue. Les parcs publics concédés offrent 66 000 places, et les parcs privés d’immeubles le reste soit environ 300 000 places. Selon des études de fin 2010 les voitures seraient utilisées à 20 % en semaine et à 30 % les jours de WE, ce qui impliquerait de raccorder en même temp environ 30 % des voitures. Soit pour Paris de disposer de 30 000 bornes sur trottoir et de 100 000 bornes en parkings souterrains. A Paris il n’y en a que 4 000 dans les rues.
L’expérience Autolib nous donne en 2013 un investissement de 8 millions pour ajouter 1600 bornes et en 2014 de 5 millions pour ajouter160 bornes. Cette différence s’explique par le fait que les dernières ont été plus difficiles à implanter et payer le réseau de leur alimentation ce qui sera malheureusement le cas pour les bornes sur trottoir, soit 32 000 € par borne.
En reprenant ces valeurs pour les 25 000 bornes manquantes nous obtenons 800 millions pour la ville de Paris, soit un total de 960 millions.
Pour les bornes en parc concédés même si l’on peut les estimer à 25 000 € unitaire les 20 000 bornes coûteront 500 millions au concessionnaire.
Pour le parc privé dont les bornes n’ont pas besoin de pareille puissance sur la base de 4500 € les 90 000 à implanter représentent quand même 400 millions qu’on oublie de compter car ce sont les particuliers qui paient.
En province
Mais Paris n’est pas la France. En France il y a environ 40 millions de voitures dont on peut estimer que 30 millions sont utilisées régulièrement, mais environ 9 millions seulement en ville, alors quel est le coût global, une règle de trois devrait permettre de l’approcher, mais dans les villes les parcs concédés sont moitié moindres qu’à Paris, alors qu’en dehors il n’y en a pas. Pour 460 000 voitures à Paris, pour la ville le coût s’élève à 960 millions donc pour 9 millions nous obtenons 1,2 x 9 000 / 460 = 23 milliards. Et pour les concessionnaires 250 x 19 soit 4.75 Milliards. Ne parlons pas du parc des particuliers.
Au total
Les fournisseurs publics devront au minimum investir :
- Pour les centrales 940 milliards
- Pour les réseaux 200 milliards
- Pour le réseau routier concédé et collectif 0,6 + 2,6 = 3,2 milliards
- Pour les villes de zones urbaines : 23 milliards
- Pour les concessionnaires : 5,25 milliards
Soit au total un minimum de 1 166 milliards d’€ seulement pour l’obligation des véhicules électriques plus les 12 milliards pour subventionner les remplacements de véhicules dans les ZFE.
Chauffage : remplacement du fuel et du gaz par l’électricité
Dans le même temps comme l’a décidé le gouvernement en 2020 on doit remplacer tous les chauffages par de l’électricité. Pour le chauffage non encore électrique en France les statistiques nous donnent une consommation de 8 mégatonnes de fioul et 13,8 Milliards de m3 de gaz. Sur les bases de conversion précédentes de ces énergies les 8 mégatonnes de fioul représentent 93 TWh et pour le gaz à 11,23 KWh /m3 de gaz les 13,8 Mds de m3 de gaz représentent 155 TWh soit au total 248 TWh.
Pour fournir au consommateur en électricité la même énergie à cause des pertes dans la ligne et dans la transformation, le rendement global ressort à 0,9 x 0,95 = 0,86, la source d’alimentation électrique devra donc fournir 248 / 0,86 = 288 TWh.
Bilan énergétique du passage au tout électrique
Cette volonté du gouvernement, nécessite de prévoir de fournir en électricité en plus de la consommation actuelle au moins 820 (transports) + 288 (chauffage) = 1108 TWh par an, sans tenir compte des besoins futurs.
C’est-à-dire fournir en plus deux fois la production actuelle (416 TWh) des centrales nucléaires françaises.
En se basant sur la production constatée à la centrale EPR chinoise de Taichan de 24 TWh /an, ce programme de production de 1124 TWh / an représenterait 47 fois cette centrale soit l’installation de 94 réacteurs EPR de 1650 MW. On est bien loin des 6 EPR prévus par M. Macron et des 8 pouvant venir en suite. Sur la base d’un cout de création de centrale nucléaire (la centrale de Hinkley Point est de 30 Md €) que l’on peut estimer à 20 Md € en ordre de production on obtient une facture de 940 Md €
N’imaginons même pas de produire avec des éoliennes ni même avec des panneaux photovoltaïques. Sur la base d’une puissance de 3 MW par nouvelles éoliennes il faudrait en installer 550 pour remplacer un seul réacteur un quart du temps (elles ne produisent que 24 % du temps). Comme on ne peut actuellement stocker l’électricité multiplier encore leur nombre par 4 lorsqu’il n’y a pas de vent ne servirait à rien, pas de vent équivaut à pas de courant !
Transport de l’électricité : investissements en réseau et transformateurs
Examen du problème de raccordement au consommateur
S’il est courant de s’attarder sur la production d’électricité, à ce jour personne ne s’intéresse au raccordement tant il est usuel d’être alimenté par le réseau électrique.
Sans changement d’énergie EDF prévoyait jusqu’à ce jour une augmentation naturelle d’environ 1 % par an de la consommation électrique en France.
Sur le plan des lignes THT (très haute tension) celles-ci disposent d’une réserve de puissance transportée prévue pour supporter cette augmentation pour quelques décennies mais elles ne peuvent et de loin pas assumer les transferts de consommation liés à la politique du tout électrique.
Evaluation du coût des raccordements supplémentaires
Maintenant essayons d’évaluer le coût des installations des lignes THT et des postes de transformation pour l’alimentation en électricité des nouveaux besoins.
EDF promet de ne pas implanter de nouvelles lignes Haute Tension aériennes, mais ils ne pourront tenir cette promesse par suite des nouvelles puissances électriques à transporter, ou par la difficulté d’enfouissement et le coût des lignes enterrées.
Actuellement le réseau comporte 105 000 Km de lignes THT sans compter approximativement 1,3 millions de Km de lignes Moyenne ou Basse Tension (hors distribution à la clientèle).
Pour les postes de transformation de départ il y en a un peu plus de 200 en 400 KV et encore plus en 225 KV qui alimentent encore bien plus de postes abaisseurs de tension.
Le foncier d’environ la moitié de ces postes permettra l’adaptation de l’augmentation de capacité pour transformer (transférer) la puissance électrique fournie par les Centrales. Pour l’autre moitié de la puissance il faudra créer de nouveaux postes de transformation.
La modification d’un poste peut être estimée à 70 millions d’€. Sur la base d’un minimum d’environ 200 postes à adapter le coût s’élève à 14 milliards d’€, et la création de la même quantité de postes neufs au moins le double, soit au total pour les postes de transformation environ 45 milliards €. On ignore ici le coût des postes abaisseurs, et celui des postes de distribution mis en jeu qui ne peut être inférieur à ces 45 Mds €. Pour les lignes nécessaires au transport des puissances fournies par les centrales on peut estimer que celles-ci, de plus grandes capacités, ne représenteraient que la moitié de la longueur de celles existantes en THT soit environ 55 000 Km. Les coûts d’installation d’une ligne Haute Tension sont estimés entre 2,1 millions d’€ par Km et 1 million d’€ par Km pour les plus faciles, les lignes enterrées sont quatre à cinq fois plus couteuses. En ne retenant que le coût le plus bas nous arrivons néanmoins à 55 milliards d’€ en ignorant les lignes moyenne et basse tension qui ne peuvent qu’augmenter l’addition d’autant soit encore environ 50 milliards.
Au total il faut prévoir au minimum 200 milliards d’€ d’investissement pour le réseau.
Bilan financier des investissements en production et raccordement
Le bilan de l’exigence politique du tout électrique en additionnant le coût des centrales électriques 940 Mds €, des lignes électriques plus de 200 Mds € et du reste (transformateurs et bornes) ne peut être inférieur à 1200 milliards d’€ soit plus de la moitié du PIB de la France.
Par comparaison le budget des armées est de 40 milliards, celui de la Justice est de 8 milliards, celui de l’éducation est de 55 milliards et celui de la santé de 284 milliards.
A ces problèmes de coûts il faut ajouter les problèmes de délais et de retards dus aux autorisations administratives et leur impact financier pour les entreprises et les administrations. C’est une folie !
En conclusion
Les besoins de production d’électricité seront croissants en fonction de l’application des interdictions, ce qui sera pour les véhicules électriques l’équivalent d’un quinzième de la consommation de pétrole annuelle à partir de 2035. Pour le chauffage le gouvernement a interdit en 2021 l’installation de chaudières à gaz ou à fioul. Comme la durée de vie moyenne des chaudières est d’une vingtaine d’année, l’augmentation de consommation électrique commence aujourd’hui et sera totale vers 2040.
Nous sommes sur un tapis roulant et il n’a pas de frein. Comme la construction de centrales nucléaires prend au mieux quinze ans, il n’y en aura pas de nouvelles avant 2037 même si on les décide aujourd’hui. On va dans le mur et cela va faire mal !
On ne va pas produire l’électricité de la consommation du chauffage avec les 6 centrales promises par le Président, celle-ci en nécessite au moins 25, quant à l’alimentation des voitures électriques elle s’ajoute au manque.
En finale il aura à choisir entre rouler, se chauffer et s’éclairer, et pouvoir manger !