Jean-Paul Oury : « Il est trop tôt pour enterrer le « grétatisme » ! »

(Un article de Bd Voltaire du 24/10/22)

Docteur en histoire des sciences et technologies, Jean-Paul Oury est consultant et essayiste. Il est auteur de La Querelle des OGM (PUF, 2006), Manifeste des alter-libéraux (Michalon, 2007), OGM moi non plus (Business Editions, 2009) et Greta a tué Einstein. La science sacrifiée sur l’autel de l’écologisme (VA Éditions, 2020). À l’occasion de sa dernière publication, Greta a ressuscité Einstein, deuxième tome d’une trilogie, il a accepté de répondre à nos questions.</em

Marc Baudriller : Greta Thunberg publie un livre, Le Grand Livre du climat, et revient sur la scène publique. Mais le contexte de la crise énergétique est passé par là. L’activiste se dit désormais favorable au maintien des centrales nucléaires allemandes. La nouvelle Greta se soumet-elle à la science ?

Jean-Paul Oury. Il est particulièrement complexe de s’y retrouver, dans les déclarations de cette nouvelle Pythie qui s’est fait connaître en appelant à une grève des cours (rejet de la civilisation du savoir), puis en plaidant pour la science, puis en appelant à fermer les centrales à charbon allemandes tout en disant qu’il ne fallait pas de nucléaire… Il y a trois mois, elle chargeait encore la Commission européenne parce que celle-ci avait mis le nucléaire dans sa taxonomie… Et il y a dix jours, elle soutenait le nucléaire allemand par défaut… J’ai écrit une tribune dans Le Figaro à ce sujet pour me réjouir de ce retour à la raison même si, comme je le précise, ce n’est pas une adhésion sans réserves à la technologie.

Il est donc trop tôt pour enterrer le « grétatisme », ce mouvement qui, selon nous, illustre un double changement de paradigme : tout d’abord, le sacrifice de la science prométhéenne sur l’autel de l’écologisme et la promotion du made in nature, cheval de Troie de la décroissance (voir, à ce sujet, Greta a tué Einstein).

Ensuite, cette idéologie (l’écologisme) s’étant diffusée pleinement dans la société, nous assistons à la récupération par la de la science pour l’utiliser comme un prétexte pour établir en son nom de nouvelles lois. En clair, on abandonne petit à petit la « science des ingénieurs » pour la « science des législateurs ». Il ne s’agit plus de repousser les normes que nous impose la nature et de libérer l’humanité mais de créer de nouvelles normes pour la contrôler. J’explique tout cela dans Greta a ressuscité Einstein.

M. B. : L’écologie française paraît particulièrement déconnectée des réalités scientifiques avec, notamment, la figure de Sandrine Rousseau. Est-ce une spécificité hexagonale ? Est-ce un effet Greta ? Est-ce durable ?

J.-P. O. Je ne sais pas si l’écologie française est plus déconnectée que ses consœurs des réalités scientifiques. Il ne faut pas oublier qu’on doit à l’écologie allemande l’Energiewende qui met l’Europe dans le pétrin au sujet de la politique énergétique (abandon du nucléaire, inutilité des ENR). Je pense qu’il y a une distinction plus générale à faire entre l’écologisme, qui relève de l’idéologie politique, et l’écologie, qui est une science. La confusion entre les deux a laissé prospérer toute une génération de carriéristes qui ont fait une OPA sémantique sur le concept de nature et s’arrogent le droit de parler en son nom. Ils sont arrivés à leurs fins en réussissant à imposer leur idéologie et à faire oublier que la science et la technologie sont les mieux qualifiées pour assurer la coexistence entre l’homme et la nature… illustre l’apogée de ce mouvement car elle ne se détourne pas seulement de la science prométhéenne, elle va un cran plus loin en cautionnant l’irrationalité et en affirmant préférer « des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR »… Quand on entend ça, on regrette l’époque de Marie Curie.

M. B. : Quels sont les mécanismes du catastrophisme écologique ? Quels effets ont-ils sur les jeunes qui y sont, selon les sondages, particulièrement sensibles ?

J.-P. O. Pour faire tomber la science prométhéenne de son piédestal, les activistes ont recours à deux méthodes essentielles : l’agit-prop, qui permet de faire passer un risque potentiel pour un danger imminent. C’est le cas sur le nucléaire, les biotechnologies vertes, les ondes ou encore la chimie de synthèse. À chaque fois, les militants montent en épingle des événements sur des sujets où l’opinion ne peut pas se faire une idée par elle-même pour vérifier la véracité des informations. C’est le cas, par exemple, de la querelle des OGM. Elle a commencé avec des militants de Greenpeace qui se sont enchaînés dans le port d’Anvers alors que personne, en Europe, n’avait entendu parler de cette technologie. Une autre stratégie consiste à jeter le doute en posant une question non scientifique aux scientifiques… autrement dit, en introduisant dans les controverses la notion de risque zéro qui, rappelons-le, n’existe pas. Vous mettez les scientifiques dans l’embarras en leur intimant de démontrer l’absence de risque.

Aussi, d’une manière générale le « grétatisme » est ce mouvement qui laisse croire que les progrès liés à la civilisation nous mènent à notre perte. Il y a de quoi s’inquiéter quand on voit ce sondage, réalisé dans les pays de l’OCDE, selon lequel 60 % des sondés croient que le changement climatique pourrait nous conduire à la fin du monde. Les jeunes sont sans doute plus sensibles, comme on le constate au travers de la montée du phénomène d’éco-anxiété ou encore chez ces jeunes diplômés des grandes écoles qui se sont fait connaître avant l’été en revendiquant le droit de bifurquer.

M. B. : Y a-t-il une tentation autoritaire, une envie de contraintes derrière cette forme d’écologie, et quels en sont les risques ?

J.-P. O. C’est tout le sujet de Greta a ressuscité Einstein, notre ouvrage à paraître. Comment la science récupérée par les politiques peut être un levier pour imposer une idéologie et planifier l’avènement de celle-ci. Nous avons identifié et passé en revue cinq régimes fictifs : la climatocratie, la covidocratie, la biodiversitocratie, la collapsocratie et l’algorithmocratie. Nous montrons comment, en ayant recours à cinq typologies de sophismes, la politique s’approprie la science. Pour ne citer qu’un exemple, prenons le sophisme qui consiste à revendiquer l’existence d’un consensus pour faire taire les contradicteurs afin d’asseoir l’existence d’une vérité absolue… Ceci relève de la politique et non de la science.

Les politiques ont compris que la formule « la science a dit » était la meilleure façon de faire taire les opposants. Or, le problème est que certains veulent en abuser pour créer de nouvelles lois et nous contraindre… Il ne s’agit pas de nier ces problèmes qui sont bien réels, mais le fait est que, en confiant tout au politique, on abandonne la science des ingénieurs (celle qui nous faisait faire des plans Mesmer et des révolutions vertes à la Norman Borlaug) pour la science des législateurs (celle qui nous fait préparer des green deal et des F2F dont le principal objectif est de nous imposer des mesures sacrificielles et décroissantes).

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