Voiture électrique : Macron veut l’imposer quoi qu’il en coûte

À l’occasion du Mondial de l’Automobile version 2022 à la Porte de Versailles, le président Macron a dégainé une fois de plus son QuoiQuilEnCoûte en utilisant son argument favori : faire payer une partie du coût par les autres.

Un « Quoi qu’il en coûte » de plus

Aussitôt dit aussitôt fait : après avoir annoncé son ambition de construire en France un million de voitures électriques d’ici à 2027 et deux millions pour 2030, le bonus gouvernemental passera prochainement de 6000 à 7000 euros. Autrement dit, l’État, qui n’a toujours pas un sou d’avance, va emprunter de quoi payer tous les bonus, un million d’ici 2027, deux millions d’ici 2030, soit respectivement 7 milliards ou 14 milliards d’euros.

Et allez donc avec les milliards qu’il faudra bien rembourser avec des taux d’intérêt qui grimpent, qui grimpent… Mais ne nous inquiétons pas : le président actuel ne sera plus aux manettes au moment du remboursement. Et les malheureux Français qui n’auront pas acheté les deux millions de voitures électriques qui seront fabriquées en France d’après le Président, seront environ 67 millions à être invités à rembourser ce pactole, qui s’ajoute d’ailleurs à tous les pactoles correspondant aux autres QuoiQuilEnCoûte d’Emmanuel Macron et de ses prédécesseurs.

Une vision myope du marché mondial

Voilà donc le côté financier de l’affaire.

Mais, au fait, est-ce bien réaliste pour un président de tous les Français de décider brutalement de la fabrication en France de millions de véhicules électriques ?

Un économiste, Flavien Neuvy, directeur de l’observatoire Cetelem pour les voitures, pense que non. Son argument : le plus grand marché du monde pour les voitures électriques est la Chine (2,4 millions de voitures électriques immatriculées en Chine au premier semestre 2021, 63 905 en France dans le même temps). Les Chinois ont 15 ans d’avance sur nous, et bénéficient de prix de revient extraordinairement avantageux par rapport aux prix de revient français. Ce sont donc eux qui se lancent actuellement à la conquête du marché mondial et qui vont profiter pleinement du bonus en France, en vendant leurs voitures électriques à des prix défiant la concurrence des constructeurs locaux.

La vision complètement myope du marché que nous montre le président n’est pas nouvelle : les précédents, grisés par les pouvoirs que leur confère la Constitution française, pensaient eux aussi modeler selon leurs propres fantasmes le marché français sans trop se préoccuper de l’état de la concurrence mondiale. Ainsi, dans un domaine différent, l’informatique, le concurrent de la première heure d’IBM, Machines Bull, devait devenir un des leaders mondiaux des ordinateurs avec le Plan Calcul lancé par le Général De Gaulle en 1966 : ce fut un fiasco complet, et Valery Giscard D’Estaing y mit fin en 1975, mais lança le projet Minitel, repris et amplifié par François Mitterand. Ce projet fut lui aussi un grand fiasco qui retarda en outre l’adaptation des Français à l’usage des moteurs de recherche sur l’Internet.

Plus tard, toujours dans le domaine de l’informatique, François Mitterand impulsa l’Informatique pour tous, lancé par Laurent Fabius en 1985. Ce fut là aussi un échec complet, et le plan fut abandonné en 1989.

Chaque fois, le processus est le même : confronté à un problème qui porte sur des domaines variés souvent très techniques, et alors qu’il n’a aucune compétence dans ces domaines, le politique invente une solution à base de milliards d’argent public qui reflète ce qu’il a compris du projet et surtout ce qui flatte l’électeur. Et chaque fois, le merveilleux plan s’écroule lamentablement après avoir coûté un pognon de dingue, parce qu’un ou plusieurs facteurs essentiels n’ont pas été pris convenablement en compte.

La voiture électrique, un nouveau moyen de perdre de l’argent

Voici un de ces facteurs : pour équiper ces voitures électriques, il faut des batteries qui représentent environ un tiers du coût total de fabrication du véhicule.

D’où l’idée (géniale) d’un nouveau plan européen baptisé airbus des batteries, qui a déjà mis en jeu la bagatelle d’environ 8 milliards d’euros. Le plan consiste à mettre en place une chaîne de valeur européenne pour les batteries au lithium. Il se trouve en effet que pour le moment, cette partie importante de la voiture électrique provient essentiellement d’Asie. En fait, actuellement, seulement 1 % de la production mondiale de cellules lithium-ion émane de l’Union européenne.

On n’a pas de procédé génial et exclusif pour fabriquer ces fameuses batteries ou pour les recycler, mais on a déjà choisi l’emplacement des futures usines (France, Allemagne et Suède) et même leur nom générique (gigafactories) parce qu’il est plus simple et moins cher d’innover dans le vocabulaire que dans la réalité quotidienne.

Le choix des pays qui abriteront ou abritent déjà ces gigafactories reflète bien l’origine politique du projet, et constitue un indice assez sûr de son cassage de gueule futur. En effet, alors que les constructeurs automobiles ont depuis longtemps compris que le coût de fabrication des voitures étant essentiellement constitué par la main-d’œuvre, et qu’il faut donc investir dans les pays où celle-ci est la moins chère, les politiques ont encore frappé et choisi des localisations où elle est la plus chère (mais où résident leurs électeurs…). Cependant, soyons honnêtes : quelques fabricants européens ont investi dans des usines en Chine. Ceux-là ont compris cet aspect du problème. Mais pas les politiques.

Les entreprises européennes qui participent au projet sont au nombre de 17. Parmi elles, Stellantis, Saft (filiale de TotalEnergies), BMW, Mercedes, BASF et Solvay. Je ne ferai pas à ces entreprises l’affront de suggérer qu’elles croient en la réussite de ce projet, compte tenu de ce que je viens d’en dire. En revanche, je les connais assez pour savoir qu’elles suivent l’odeur de l’argent public à la trace telles des chiens policiers, et qu’elles sauront bien en profiter, même si le projet est un fiasco.

À mon avis, la seule question qui demeure est celle du temps qu’il faudra pour qu’on décide d’abandonner le projet. Comme c’est un projet européen, ça risque d’être long.

En revanche, la conquête du marché mondial par les Chinois, en particulier le marché européen, risque d’être rapide car ceux-ci possèdent de nombreux atouts que n’ont pas les fabricants européens, parmi lesquels 15 années d’expérience et surtout un coût de main-d’œuvre ultra-compétitif.

Le marché mondial de la voiture électrique

Le graphique ci-dessous, d’après les chiffres donnés par Wikipédia, montre que le marché s’est actuellement surtout développé en Chine qui représente plus de la moitié (56 %) des immatriculations mondiales en 2021. On peut remarquer sur ce graphe une évolution sans croissance pendant 3 ans (2018 – 2019 – 2020) des immatriculations chinoises, qu’on peut probablement attribuer aux années covid.

Le deuxième marché est représenté par l’Europe qui suit une croissance régulière la plaçant à la moitié du niveau des immatriculations chinoises en 2021. L’Europe est suivie par les États-Unis, dont le marché est dominé à 70 % par Tesla qui mise sur des modèles lourds et luxueux. La raison en est que dans ce pays les distances sont importantes et qu’il faut donc une autonomie réelle assez grande, apportée par des grosses batteries. Les dimensions du véhicule sont déterminées par celles de la batterie. Géographiquement, les immatriculations se développent essentiellement en Californie en raison d’une législation particulièrement favorable dans cet État.

L’ensemble des autres pays représente un total presque insignifiant au regard de ces trois régions géographiques.

Notons, fait singulier, que c’est la première fois dans l’Histoire qu’un développement commercial mondial est organisé en même temps sur le globe par les autorités de chacun des pays. Le principal moteur de la croissance du marché est en effet constitué par les aides gouvernementales à l’achat d’un véhicule électrique, et ce moteur est en train de faire la preuve de son efficacité. Il représentait en 2016 près de la moitié de la valeur d’achat du véhicule au Danemark, le tiers en Corée du Sud et l’Irlande, le cinquième en France, aux États-Unis et au Japon.

Voici un relevé de ces aides dans quelques pays :

 

Aide publique à la voiture électrique – 2016
DanemarkCorée du SudIrlandeChineFranceRoyaume-Uni
15 26010 35010 0007 22163006 022
      
JaponÉtats-UnisEspagneAllemagneItaliePortugal
5 9765 5125 5004 0003 000519

Les aides gouvernementales sont cependant assorties de conditions variables en fonction des pays. Par exemple, aux États-Unis, elles ne s’appliquent qu’aux voitures électriques assemblées sur le territoire national. La plupart sont par ailleurs dégressives et doivent s’éteindre au bout d’un certain temps, ou lorsque le nombre de voitures électriques immatriculées dépassera un certain nombre.

Les raisons du développement de la voiture électrique

La principale raison annoncée pour ces aides est l’urgence climatique.

En effet, si la source d’électricité pour la recharge est décarbonée, la voiture électrique est certainement un moyen de déplacement pouvant être considéré comme écologique, sans oublier cependant que la fabrication du véhicule elle-même engage des émissions de CO2 nettement supérieures à celle d’un véhicule à moteur thermique, en raison essentiellement des émissions liées à la fabrication de la batterie. Ce dernier point entraîne le fait qu’une voiture électrique doit rouler entre 30 000 et 50 000 kilomètres avant d’avoir atteint le stade où elle a compensé le CO2 émis pour sa fabrication.

Dans les principaux pays où se développe l’achat des voitures électriques l’électricité n’est cependant pas décarbonée, à l’exception de certains pays dont notamment la France, la Norvège, la Suède et le Danemark. Mettons que les mesures gouvernementales des autres pays sont prévisionnelles pour ne pas dire que certains d’entre eux font seulement comme les autres, mais que les mesures qu’ils adoptent en faveur de la voiture électrique n’auront aucun impact sur le climat.

En ce qui concerne la Chine, on peut imaginer qu’une autre forte raison a poussé le gouvernement chinois à favoriser la voiture électrique : elle n’a que peu de ressources pétrolières et se trouve donc être un importateur majeur de pétrole ce qui la rend dépendante d’autres pays. La voiture électrique est donc pour ce pays un puissant moyen de diminuer à terme ses importations de pétrole.

On a mesuré le taux de satisfaction des acheteurs de voitures électriques. Celui-ci est particulièrement élevé : ainsi, chez Renault, il atteint 98 % pour la Renault Zoe et 95 % pour la Kangoo ZE, contre 50 % en moyenne pour les véhicules thermiques. Aux États-Unis, un sondage du magazine Consumer Reports place la Model S de Tesla en tête des taux de satisfaction devant les Porsche Boxster et Cayman, Corvette, Dodge Challenger et autres sportives de luxe. (source)

On peut donc imaginer que l’engouement actuel pour les voitures électriques est surtout le fait des personnes convaincues d’avance ce qui explique ce taux de satisfaction exceptionnellement élevé. Il est cependant possible que cette attitude soit réservée à ce seul cluster d’acheteurs, ce qui reviendrait alors à considérer que le marché accessible se limite à ce cluster, qui représente peut-être seulement 20 % des acheteurs de véhicules.

Par ailleurs, l’interdiction de fait des véhicules thermiques après 2035, votée par le Parlement européen cet été doit encore être ratifiée par chacun des pays européens. Il est possible que plusieurs pays, dont en premier l’Allemagne, refusent cette ratification, ce qui aboutirait à terme à réserver la voiture électrique à la place de second véhicule pour l’usage quotidien, le premier véhicule restant thermique ou hybride pour les déplacements longs.

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