La France à l’amende pour son « retard » sur les éoliennes ? Le fruit d’une politique absurde

En application de règles européennes que la France avait approuvées, notre pays risque de se voir infliger une amende de plusieurs centaines de millions d’euros pour n’avoir pas atteint des objectifs irréalistes en matière d’éoliennes, estime le professeur émérite d’économie à l’université de Paris-XII*. Ce n’est pas cette amende qui est une folie, mais la politique de l’énergie européenne elle-même, juge-t-il.

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La France est le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir atteint son objectif national de développement des énergies durables. Cela va nous coûter 500 millions d’euros cette année, je pense que c’est une raison supplémentaire d’agir », a déclaré Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, auditionnée le 19 octobre par les commissions des affaires économiques et de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat au sujet du projet de loi relatif à l’accélération de la production des énergies renouvelables. Il est en effet probable que la Commission européenne demande à la France un chèque, sinon de 500 millions d’euros, en tout cas de plusieurs centaines de millions, au motif que nous ne produisons pas assez d’électricité éolienne et photovoltaïque.

Comme dit Boileau, « le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable ». 

La justification, ou la justification alléguée, de cette électricité renouvelable est qu’elle ne rejette pas de CO2. Or il se trouve que nous sommes (avec la Suède) les premiers de la classe de CO2 grâce au nucléaire. Par habitant, par euro de PIB, par KWh d’électricité, la France rejette moins de CO2 que ses condisciples, beaucoup moins que certains comme l’Allemagne. Drôle de lycée, où celui qui obtient la meilleure note écope d’un bonnet d’âne sur les oreilles et d’un grand coup de règle (plusieurs centaines de millions d’euros, ça fait mal) sur les doigts. 

La situation est d’autant plus absurde qu’en réalité, nous ne produisons pas trop peu, mais au contraire bien trop, d’électricité éolienne et solaire. Il y a une douzaine d’années, lorsque la France s’est mise à investir dans ces énergies intermittentes, elle disposait d’un parc nucléaire et hydraulique largement suffisant pour satisfaire une demande d’électricité qui était stable. Nous étions exportateurs d’électricité ; nous n’avions absolument pas besoin d’une production supplémentaire. Celle d’électricité renouvelable qui a engendré un coût direct de 60 milliards d’euros, et un coût indirect du même ordre de grandeur, était donc inutile. Elle n’a, de fait, servi à rien. En pratique, elle a eu un double destin : l’exportation et la substitution. Pour partie, elle a été exportée – à un prix bien inférieur à son coût. Pour une autre partie elle nous a obligés à réduire sans raison la production des installations nucléaires et hydrauliques en place – à une économie dérisoire, elle aussi bien inférieure à son coût. Ce choix des renouvelables, qui n’a pratiquement pas diminué nos rejets de CO2, c’est plus de 100 milliards jetés par les fenêtres. Il est évidemment lamentable d’être puni par l’Europe pour n’avoir pas assez gaspillé l’argent des Français. 

Pour autant, les bureaucrates de la Commission n’ont rien à se reprocher. Le chèque qu’ils nous demandent est une amende pour objectifs non tenus. La France a en effet pris des engagements de production d’électricité renouvelable qui étaient extravagants et inatteignables. Elle ne les a pas atteints. Elle avait accepté le principe de sanctions financières. Les bureaucrates de Bruxelles font leur métier, comme un radar avec un excès de vitesse : ils constatent, calculent, et envoient un avis à payer. Il est puéril et ridicule d’en faire des boucs émissaires. Les responsables sont évidemment les gouvernements français qui ont souscrit ces engagements. Les voilà qui poussent aujourd’hui de grands cris, et accusent la Commission de vol ; en réalité, ils ont été consentants, et demandeurs. Des engagements de ce type sont pris par les conseils des ministres de l’UE spécialisés. Ils ont été décidés avec la coopération active de ministres français. 

Autrefois, en France, les décisions relatives à l’électricité étaient prises par le ministre de l’Industrie, qui disposait d’une direction générale de l’énergie. Tout cela n’existe plus et a été remplacé par des ministères de l’Écologie, ou de la Transition, ou du Développement durable (actuellement, nous en avons deux à la fois : un ministère de la Transition énergétique, et un ministère de la Transition écologique). Tous les titulaires de ces maroquins aux titres bizarres ont joué, et jouent toujours, à « plus-vert-que-moi-tu-meurs ».

Ils ont construit la politique de l’énergie de la France sur quatre totems idéologiques, quasiment religieux : le tout-antinucléaire, le tout renouvelable, le tout-Marché, le tout-Europe. Ceux qui osaient questionner ou nuancer ces dogmes étaient des hérétiques.

Il est vrai que ces croyances étaient partagées par la plupart des autres pays d’Europe, et par la Commission européenne. Mais cette coïncidence n’est pas une excuse. Nous récoltons ce que nous avons semé. Et que nous continuons à semer. Certes, le totem du tout-antinucléaire a bien été ébranlé, en particulier en France ; mieux vaut tard que jamais.

Mais les trois autres continuent de sévir. Le totem du tout-renouvelable (ou presque) est plus dominateur que jamais. Le gouvernement le vénère. Sénat et Assemblée vont suivre, eux qui examinent actuellement le projet de loi relatif à l’accélération de la production des énergies renouvelables, qui entend supprimer les rares verrous législatifs qui ralentissent encore la multiplication des éoliennes.

Il n’y a pas d’argent pour les tribunaux, les ambassades, les hôpitaux, les prisons, les armées, les logements, et le reste, et une dette colossale, mais on va trouver – de nouveau une grosse centaine de milliards – pour les renouvelables intermittents. 

* L’auteur publie « Les Vrais Responsables de la crise énergétique » (L’Artilleur, novembre 2022, 162 p., 15 €).

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