Les industriels qui veulent encore produire en Europe sont bien téméraires.
Le quotidien Le Monde nous le dit.
Pascal Canfin, eurodéputé Renew et président de la commission environnement du Parlement européen se réjouit :
” L’UE est la première zone commerciale au monde à mettre un prix carbone sur ses importations. On en parle depuis plus de vingt ans. C’est un accord historique pour le climat. “
Et Thomas Pellerin-Carlin, directeur du programme UE de l’Institut de l’économie pour le climat, abonde :
” C’est le mieux qui pouvait se passer, de s’assurer que les produits importés en Europe soient soumis au même prix carbone que s’ils avaient été produits en Europe. “
En juillet 2021, nous alertions déjà sur ce sujet en expliquant toutefois qu’elle ne serait probablement jamais mise réellement en application pour des raisons techniques (impossibilité d’avoir accès aux documents de fabrication pour déterminer le montant à taxer) et juridiques (dans les règles de l’OMC, obligation de prouver l’atteinte à l’environnement).
Mais à supposer que l’Europe persiste envers et contre tout, a-t-on bien analysé la chose ?
Le choix des matières premières
Comment établir un équilibre fiscal entre imports et production locale ?
Comme on s’y attendait, la taxe ne touchera que des matières premières. Appliquer le système à des produits finis implique une telle complexité d’évaluation que même la Commission européenne a reculé.
Elle s’appliquera donc à l’acier, l’aluminium, le ciment, l’engrais, l’électricité mais aussi l’hydrogène.
Or, tous ces produits sont taxés via des systèmes incroyablement complexes, non homogènes entre pays européens et certains bénéficient d’exonérations en général temporaires lorsqu’ils sont soumis à la concurrence internationale.
Il faudrait donc d’abord faire un inventaire complet intra-européen et évaluer la contrainte fiscale moyenne européenne qui s’exerce sur ces produits (puisque la taxe est aux frontières européennes) et mettre tous les pays au même niveau. Il est probable que ce travail ne sera pas fait de façon exhaustive et qu’on en restera au système d’imposition d’achats aux enchères de crédits carbones, les fameux quotas à polluer. Car c’est le seul système appliqué uniformément à toute l’Europe.
Or, il existe de nombreuses autres taxes plus ou moins liées aux émissions de CO2.
Par exemple, en France, la « contribution climat » qui s’applique sur l’énergie et donc se répercute aussi sur les coûts de production des matières premières concernées.
Si on veut rétablir une « égalité de traitement » entre les imports et les productions internes sur la base du système de quotas, il faut donc soit conserver les exonérations d’achats de quotas pour les activités intensives en énergie et appliquer aussi des calculs qui en tiennent compte pour les imports, soit supprimer les exonérations et c’est ce qui semble être l’objectif de la commission européenne. Cela double carrément les prix de revient pour l’acier, le ciment, l’aluminium.
Mais il subsiste de grosses difficultés pratiques
Même si les calculs sont plus simples pour les matières premières, on se heurte à des difficultés pratiques.
Une des principales est le fait qu’une partie de ces matières sont issues de procédés de recyclage : l’acier peut être fabriqué à partir de ferrailles dans un four électrique ; comme l’aluminium, le ciment peut provenir de sous-produits des hauts fourneaux sidérurgiques. Comment les différencier des produits issus de minerais au passage à la douane ? C’est probablement faisable en analysant très finement les produits mais c’est impossible à généraliser aux frontières. Et compter sur les exportateurs pour divulguer leurs procédés de fabrication… on peut toujours espérer. Or, entre matières neuves et matières recyclées, le bilan des émissions peut aller du simple au double. Et comme pour recycler on utilise des quantités énormes d’électricité, il faudrait également définir le bilan de l’électricité utilisée dans le pays exportateur…
Il est probable qu’aucun praticien industriel n’a été consulté tant le sujet semble mal parti.
Conséquences sur le consommateur
Jusqu’à présent, le système de quotas d’émission n’était pas appliqué à plein sur les matières premières très intensives en émission pour des raisons de concurrence avec les produits importés. Il fallait éviter « les fuites de carbone ». (dit crûment, les délocalisations). Si la taxe aux frontières existe vraiment un jour, cela n’aura plus de justification.
Tout économiste sérieux sait que de toutes façons faire du protectionnisme sur les matières premières est catastrophique pour la compétitivité des produits finis et que le bilan global est fortement négatif.
Mais c’est bien pire dans le cas de la taxe carbone puisque cela peut conduire à doubler le coût de fabrication de certaines matières premières issues directement des minerais. Ces matières peuvent être produites à partir de matières recyclées mais comme leur usage est en croissance le volume de déchets n’est pas suffisant pour subvenir aux besoins. En gros, on peut avoir 50 % de recyclés dans la production totale.
En fait, la taxe condamne arithmétiquement quasiment les hauts fourneaux, les électrolyseurs d’aluminium et les fabrications de clinker en Europe. Et si les contrôles aux frontières étaient efficaces pour différencier matières recyclée ou neuves, ce serait encore pire : ils condamneraient 50 % des volumes de produits finis européens contenant de l’acier ou de l’aluminium, ceux qui auraient été produits à partir des matières « neuves » devenues inaccessibles en prix.
Il y a un précédent
Sur un sujet très différent, l’Europe s’était déjà tiré une balle dans le pied.
Il s’agit de la réglementation sur les produits chimiques, « REACH » où les contraintes sont très fortes sur les matières premières et très faibles sur les produits finis, ce qui conduit également à des délocalisations.
Les industriels qui veulent encore produire en Europe sont bien téméraires.