50 % de nucléaire ? Un objectif vide de sens

(Michel Negynas dans Contrepoints du 01/02/23)

Les dernières discussions au Sénat ont « sauvé » l’objectif de 50 % de nucléaire… par rapport à un abandon pur et simple, évidemment. Cela a-t-il un sens ?

Les dernières discussions au Sénat ont « sauvé » l’objectif de 50 % de nucléaire… par rapport à un abandon pur et simple, évidemment. Cela a-t-il un sens ?

Lors des différentes consultations publiques, de nombreuses interventions, tant d’experts, de sociétés savantes et de simples citoyens ont posé la question :

« À quoi ça sert de baisser le nucléaire à 50 % et de le remplacer par des énergies renouvelables ? »

Invariablement, l’élément de langage utilisé pour la réponse de la part des autorités techniques et politiques est :

« Pour avoir une filière de secours en cas de risque systémique sur le nucléaire ».

On peine à croire que nos dirigeants aient pu cautionner une assertion aussi ridicule. Un enfant comprendrait qu’on ne peut pas sécuriser une filière pilotable par une filière intermittente et aléatoire. En réalité, nous allons montrer qu’il n’y a aucune justification à remplacer du nucléaire par de l’éolien ou du solaire. Si on privilégie les coûts, c’est un ensemble nucléaire et gaz qui convient. Si on veut privilégier l’indépendance énergétique, c’est le plus possible de nucléaire, avec un peu de gaz.

En aucun cas les énergies intermittentes ont une quelconque utilité ; pire, elles créent d’innombrables difficultés techniques et rendent le marché de l’électricité hyper volatil sans aucune justification.

Scenarii à 50 % de nucléaire

Situation en 2019 (dernière année « normale ») : productions et capacités en France

  • Éolien……….     37 TWh pour 19 GW
  • Solaire………     14,8 TWh pour 14 GW
  • Nucléaire…..  360 TWH
  • Reste………… 111 TWh
  • Total…………. 523 TWh

 

Passage à 50 % de nucléaire (objectif de la loi actuelle).

Imaginons le scenario après arrêt des réacteurs actuels. Les discussions sont en cours pour leur prolongation et ce n’est pas gagné.

On suppose un montant et un profil de consommation inchangés, ce qui est peu probable si on pousse les transferts d’énergie vers l’électricité.

50 % nucléaire cela donne 260 TWh par an. On peut le faire avec 33 GW de nucléaire en base (taux de disponibilité de 90 %). Soit 20 réacteurs.

Si le reste du mix gaz et hydraulique ne change pas, les ENR auront 152 GWh. Si on vise moitié/moitié solaire et éolien en puissance, comme en Allemagne, et si on respecte la multiplication par trois des éoliennes et par cinq du solaire, soit les objectifs actuels, on vise à peu près 120 GW d’ENR.

Avec 17 % de facteur de charge globale (cas allemand) et 120 GW d’ENR, on aurait 178 GWh de production d’énergie. C’est un peu plus que le besoin mais nous n’en sommes pas loin.

Quelques petits problèmes

Le problème des pointes 

Lorsque la pointe de 19 heures l’hiver se produit en situation anticyclonique sur toute l’Europe, ce qui arrive plusieurs fois par an, il faut conserver une puissance pilotable égale à la consommation à cette pointe. Ces dernières années, c’était environ 90 GW avec un record en 2012 à 102 GW.

Dans cette situation, si on arrête le charbon, avec 33 GW de nucléaire, 10 GW de gaz et 17 GW d’hydraulique, 2 GW de biomasse, on aligne 62 GW pilotables. Manquent environ 30 GW. Si on ne veut pas toucher au dogme de 50 % de nucléaire, il faut construire 30 GW de centrales pilotables (gaz ?) supplémentaires.

Le problème du creux 

Un examen au jour le jour en France et en Allemagne montre que l’ensemble éolien/solaire ne donne guère plus que 60 % de la puissance installée au maximum (quand il y a du vent, il y a peu de soleil et vice-versa). Néanmoins, avec 130 GW, certains jours en Allemagne les ENR sont largement majoritaires.

Le 16 septembre 2022 à 12 h 30 (Energy charts.de), les ENR donnaient 44GW, le Soleil était à son apogée. Le réseau allemand baissait tout ce qu’il pouvait. Les gros alternateurs donnaient une trentaine de GW. Mais l’Allemagne exportait 8 GW en excédent. Pourquoi ne pas baisser davantage les centrales à combustible fossile ?

Pour deux raisons :

  1. Il fallait se préparer à la « descente » du solaire vers la nuit.
  2. Il fallait veiller à la stabilité du réseau, garder suffisamment d’énergie cinétique pour pallier les variations rapides. Or, le solaire et l’éolien n’en disposent pas.

 

Pour l’instant, l’Allemagne profite de ses voisins ; elle importe et exporte pour pallier la variabilité de ses ENR et profite de l’interconnexion pour « récupérer » l’inertie des gros alternateurs nucléaires français et fossiles polonais.

Que se passe-t-il si tout le monde fait pareil ?

L’examen des scenarii à 2050 montre que tous utilisent l’import/export pour compenser les coupures et écouler l’excédent, selon la météo. Il ne vient à personne l’idée que la météo est parfois la même pour tout le monde.

En réalité, on ne sait pas quel est le seuil technique possible d’insertion des ENR dans un réseau car pour l’instant l’Europe n’est pas assez pénétrée (17 % en global). Certes, on connaît des remèdes à base d’électronique de puissance, de batteries et de condensateurs. Mais cela doublerait probablement le coût des ENR.

Mais si on stocke les surplus, ça marche ?…

C’est totalement incompris des décideurs.

On a calculé ici que pour compenser l’absence de vent de trois semaines qu’on a connue en janvier 2022, il aurait fallu stocker une énergie équivalent, en stockage (par pompage entre deux lacs), à monter les eaux de la totalité du lac de Genève de 220 mètres.

Le stockage n’est pas un problème de technologie, c’est un problème d’ordre de grandeur.

Chercher les optimums

Financier 

Empiriquement et hors problème de gouvernance et d’émission de CO2, en France l’optimum financier pilotable serait sans doute (à une pointe d’hiver sans vent de l’ordre de 90 GW) :

  • 40 GW d’EPR
  • 17 GW d’hydraulique
  • 2 GW de biomasse
  • 20 GW de centrales à gaz combinées, peu flexibles mais avec un très bon rendement
  • 10 GW de cogénération
  • 10 GW de turbines à gaz très flexibles

 

L’ordre de mérite, c’est-à-dire l’enclenchement des moyens de production en fonction du coût variable est celui décrit ci-dessus. Il faut ajouter en premier les ENR mais les nuits sans vent ça ne change pas grand-chose.

Mais une question se pose alors : les 120 GW de solaire et d’éolien apportent-ils une économie et une baisse des émissions de CO2 ? Rien n’est moins sûr. Ils représentent ensemble un million d’euros par MW d’investissement tous les vingt ans, soit d’ici 2050 180 milliards d’euros.

Une utilisation rationnelle des centrales à gaz nécessaires pour assurer la sécurité d’alimentation coûterait moins cher même avec un prix du gaz élevé. En effet, si on les fait produire continument, leur rendement est au moins le double et les émissions de CO2 de moitié que lors d’une marche chaotique.

Indépendance et émissions de CO2 

Évidemment, l’optimum en termes d’indépendance énergétique ce sont plutôt 60 GW d’EPR et 20 GW de gaz ultraflexible (nécessaire de toutes façons pour suivre les fluctuations rapides de l’éolien et du solaire en plus des STEPs hydrauliques.)

Dès lors, à quoi servent l’éolien et le solaire ?

Les 20 GW de nucléaire en plus peuvent donner quand on veut 158 GWh… et les fluctuations des ENR intermittentes obligent à des contorsions du nucléaire qui pourraient être préjudiciables à la durée de vie des réacteurs et à la sureté.

L’Autorité de sureté nucléaire se demande :

« La production nucléaire fluctue énormément. Quand la demande est très faible, notamment la nuit, ou que les éoliennes prennent en partie le relais car il y a du vent, EDF réduit la voilureAvec l’arrêt de la production pilotable d’origine fossile, […] les fluctuations de la demande d’électricité devront être encaissées par le parc nucléaire. La question, c’est : est-ce que ça conduit à effets particuliers en termes de prolongation du parc ? »

Quel que soit l’objectif, l’éolien et le solaire apparaissent non seulement inutiles mais nuisibles.

Retour sur la question des coûts et des prix des ENR

Quelques réflexions.

Les coûts de l’éolien et du solaires sont sous-estimés.

Le raccordement, les accessoires supplémentaires (électronique, condensateurs, réseaux additionnels) sont à la charge de RTE, le réseau commun, et donc payés par tout le monde, sauf les opérateurs des ENR. Dans le cas de l’offshore, cela peut aller jusqu’à 25 % du coût d’investissement d’un projet.

L’intermittence n’est pas prise en compte. Il faudrait soit en tenir compte dans les coûts et y associer les producteurs appelés en secours en cas de manque. 1 On pourrait en tenir compte dans les prix. Un produit qu’on n’est pas sûr d’obtenir à terme n’a pas la même valeur qu’un produit garanti. On pourrait donc affecter aux prix du MWh des ENR un coefficient réducteur basé sur la probabilité d’avoir le produit pendant la période du contrat.

Le coût d’investissement de l’éolien et du solaire par kWh est beaucoup plus élevé que celui du nucléaire. La durée de vie des ENR est de 20 ans, celle d’un EPR 60 ans. Le taux de charge de l’éolien est quatre fois moindre, celui du solaire sept fois moindre que celui du nucléaire. Il faudrait donc un coût d’investissement 12 fois moindre pour l’éolien, 20 fois moindre pour le solaire pour arriver à l’égalité. On en est loin. Les coûts d’investissement sont respectivement de : 1,5 million d’euros/MW pour l’éolien ; 5 millions d’euros/MW pour le nucléaire (prévu pour l’EPR2) ; 0,5 million d’euros pour le gaz et le solaire.

Remarquons en outre que sur un vrai marché libéral, il n’y aurait pas de solaire et d’éolien car par nature ils ne peuvent être rentables. Ils produisent quand Soleil et vent sont abondants donc bradés et quand il est rare, donc cher, ils sont à sec.

Et quid des prix actuels ?

Dans un marché normal et sain, la facturation pourrait comprendre un abonnement calculé pour amortir les investissements et un tarif heures pleines/heures creuses au coût marginal. (avec en plus des frais financiers et des marges correctes nécessaires à la pérennité des investissements.) C’est un peu ce que faisait EDF à l’époque du monopole. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

Il est alors difficile de comprendre que certains voient leurs prix multipliés par 2, 4, 6… Et comment le gaz intervient là dedans alors qu’il ne représente que 10 % de la part des sources de l’électricité ?

En fait, il y a d’abord une première raison, l’application d’un dogme d’économiste mal compris par les décideurs et les fonctionnaires européens. Les règles du marché boursier qu’ils ont instituées impliquent plus ou moins que soit pris en référence le prix marginal au moment de la transaction d’achat. Une théorie mathématique démontre en effet que dans un marché dont le mix de production est optimisé pour avoir un coût global moyen minimum, la facturation liée au coût marginal de la centrale dernière appelée (celle qui a le coût variable le plus élevé) rémunère à la fois les coûts fixes et les coûts variables de l’ensemble des acteurs. Et même dans le cas de petites variations, le système est vertueux, il tend à inciter les producteurs à avoir le coût marginal en particulier à la pointe, le moins élevé.

La facturation d’EDF en tant que monopole d’État était plus ou moins inspirée de cette théorie.

Mais il y a un gros hic : le marché européen n’est pas optimisé !

Et la théorie montre aussi que dès que le marché s’écarte significativement de l’optimisation, le prix devient très vite aberrant. Appliquer cette théorie nécessite donc d’avoir la maîtrise de la conception du mix et de son optimisation, et que les variables ayant conduit à cette optimisation ne varient pas trop, le tout à très long terme.

Aucune de ces conditions n’existent sur le marché européen dans son ensemble.

Au contraire, c’est la cacophonie totale. Et même s’il y avait eu optimisation, elle serait complètement obsolète avec les prix actuels du gaz. La théorie pouvait marcher seulement pour EDF et son nucléaire, avec peu de coûts variables et une vision à long terme.

Mais on pourrait dire qu’il n’y a pas que des contrats sur le marché en bourse.

Il y a l’ARENH, tarif « nucléaire » qui oblige EDF, contre son intérêt, à faire profiter quelques spéculateurs de revenus insensés. Il y a aussi des contrats de gré à gré. Pour les vendeurs qui ne produisent rien ou pas grand- chose, c’est en fait un problème de couverture. Ceux qui n’étaient pas assez sécurisés doivent aller en bourse et subir des coûts déments (y compris EDF, avec la crise de disponibilité de ses centrales !) Les situations des différents vendeurs sont donc très diverses : certains sont en faillite, d’autres gagnent des fortunes.

Vous avez dit libéralisation ? 

Pour « libéraliser » le marché européen de l’électricité, l’Europe a créé trois marchés réglementés :

  1. Un marché de quotas de CO2 qui pénalise les énergies fossiles.
  2. Une contrainte d’appel au merit order qui impose aux réseaux de prendre toute énergie intermittente produite, même sans besoin et qui de fait, subventionne le solaire et l’éolien.
  3. Une bourse avec une référence idiote liée au coût marginal.

 

La France a ajouté trois autres marchés réglementés :

  1. Un marché de capacités.
  2. Le marché ARENH.
  3. Un marché de certificats d’économies d’énergie.

 

Et puis jusqu’à cette année, les particuliers pouvaient bénéficier d’un tarif réglementé. Malheureusement, il est déterminé par une péréquation entre les coûts français et les valeurs en bourse. Il devrait doubler pour cette raison alors que rien physiquement n’a changé sur le réseau en France ! C’est la dernière des débilités de la situation globale. Certes, le « bouclier tarifaire » décidé par le gouvernement épargne cela aux particuliers et à certaines très petites entreprises (en subventionnant les traders déficients, d’ailleurs). Jusqu’à quand ? Les très grosses entreprises trouveront sans doute des solutions. Mais pour l’instant, celles de taille intermédiaire en prennent plein la poire. Et on veut réindustrialiser !

Changer quelque chose dans cette cathédrale baroque où tout est lié est infernal. Ce sera très long et pendant ce temps là une partie de notre PIB et de nos emplois ira ailleurs dans le monde.

Conclusion

L’électricité ne se stocke pas et demande des investissements à très long terme.

Qu’on le veuille ou non, un réseau nécessite des règles de planification de l’ensemble de la zone significativement interconnectée, sous peine soit de surinvestissement, soit de manque. En outre, il existe des critères non techniques et non financiers à prendre en compte, comme l’indépendance énergétique.

Une fois la planification faite, les opérations peuvent parfaitement être libéralisées avec une vraie concurrence via des appels d’offre. Une concurrence qui s’exerce sur la production, pas uniquement sur un commerce qui s’apparente à du trading et de la spéculation. On peut éventuellement subventionner et donner des avantages à des technologies en devenir mais pour un temps limité. Au-delà, si le besoin de faveurs persiste c’est que ladite technologie n’est pas efficiente. Dans un système d’appels d’offres vraiment libéral, l’éolien et le solaire ne subsisteraient pas.

On se demande comment nous en sommes arrivés à cette situation ubuesque.

Certes, la formation du monde politique, des fonctionnaires nationaux et européens, des journalistes, les rend généralement inaptes à une compréhension du sujet. Mais tous les experts indépendants, de nombreuses sociétés savantes (académie des technologies, académie des sciences, académie de médecine) et même certains organismes d’État (Cour des comptes, France Stratégie) ont exprimé l’incohérence de ces programmes énergétiques.

C’est un constat inquiétant de portée plus générale que le seul domaine de l’énergie : la « vérité » ne sort plus de la bouche des experts mais de l’opinion publique travaillée par un militantisme idéologique.

 

  1. c’est un peu l’esprit qui a présidé aux marchés de capacités et l’obligation pour les ENR « d’acheter » leur capacité manquante. Ce marché a tourné à la catastrophe. Les « capacités » sont devenues un marché spéculatif complètement déconnecté du physique. ↩

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Une réponse

  1. “Si le reste du mix gaz et hydraulique ne change pas, les ENR auront 152 GWh. ”
    Ce ne serait pas plutôt 152 TWh?
    Vous partez de 52 TWh en production totale annuelle
    La moitié nucléaire fait 260 TWh. les classiques font 111 TWh. Il reste bien 263 – 111 = 152 TWh
    D’après les calculs que j’avais fait en partant des chiffres allemands, une éolienne de 2MW produisait environ
    1,5 GWh annuels, Cela fait donc environ 0,8 GWh/MW installé ou 0,8 TWh/GW
    Il faut produire 152 TWh soit une puissance installée de 152/0.8 =190 GW
    Si la puissance moyenne installée est de 1,5 MW, combien faut-il installer d’éoliennes et à quel coût?

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