La souveraineté absolue de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) en question

(André Pellen dans Contrepoints du 30/01/23)

Une France menacée à court terme de disette énergétique ne peut plus s’offrir le luxe de répondre à toutes les injonctions de cet intouchable père Fouettard du principe de précaution.

On trouvera ci-après le sommaire compte rendu de l’audition, mardi dernier, du président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) par la commission parlementaire constituée à l’initiative du député Schellenberger. Après en avoir pris connaissance, il est vivement recommandé de lire l’article publié dans Telos rédigé le 26 novembre 2021 par Dominique Finon et Dominique Grenèche, deux experts nucléaires depuis longtemps sensibilisés aux problématiques évoquées lors de cette audition.

On y découvrira la remarquable mise en garde développant ce que l’audition de Bernard Doroszczuk donne à comprendre aux membres de la force de rappel démocratique qui auraient dû siéger aux côtés de ladite commission ou en constituer la partie principale. Car, en la circonstance, la responsabilité première de cette commission devrait être de forcer notre ASN à se plier à un formalisme d’accountability à l’américaine, dont on mesure aujourd’hui à quel point il fait gravement défaut dans celui de notre contrôle institutionnel de la sûreté nucléaire.

De fait, mardi 24 janvier 2023, cette force de rappel n’aurait pas mis longtemps à comprendre que, selon Bernard Doroszczuk, la centrale la plus sûre est celle qu’on ne construit pas ou celle qu’on n’a pas ou plus les moyens de se payer.

À l’évidence, une France menacée à court terme de disette énergétique ne peut plus s’offrir le luxe de répondre à toutes les injonctions de cet intouchable père Fouettard du principe de précaution, et il relève de la lucidité citoyenne d’exiger que soit mis rapidement un terme à sa souveraineté absolue.

Audition du président de l’ASN par la commission parlementaire « Schellenberger »

« Renforcer indéfiniment une sûreté nucléaire déjà très sûre » n’est probablement pas la conclusion qu’aura tiré le commun des mortels de plus de deux heures d’une déposition brillante et finalement assez convaincante de Bernard Doroszczuk, le patron de notre ASN.

Pour autant, ce que les observateurs avertis auront retenu de cette irréprochable prestation tient dans la phrase suivante : durées et vicissitudes des instruction et réalisation du programme de construction envisagé de 6 EPR seront semblables à celles de l’EPR de Flammanville3 à l’échelle 6, et l’on peut considérer que la France a définitivement renoncé à la filière RNR. C’est regrettable mais c’est bien ainsi que les choses ont toutes les chances de se passer. En effet…

  • Pour être édifié sur la méthode consistant en un encadrement ASN strict desdites instruction et réalisation, il suffit d’écouter monsieur Doroszczuk de la minute 53 à la minute 54 ;
  • Pour être édifié sur l’intransigeance déterministe de la sûreté française, dont ce monsieur se porte garant – celle qui exclut la plus petite dose de probabilisme à l’américaine – il suffit de l’écouter de la minute 1h38 à la minute 1h42 ;
  • Quant au fait qu’il se passera très longtemps avant que la France ne songe seulement à renouer avec la filière RNR, pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le patron de l’ASN et son collaborateur, de 1h31 à 1h34 et de 1h59 à 2h02 : à l’évidence l’intérêt industriel, les rendements technologique et économique d’un surgénérateur au sodium pèsent si peu à leurs yeux – devant le spectre d’une sûreté de l’instrument jugée intrinsèquement défaillante – qu’ils n’en font même pas état.

 

Ainsi, non seulement le premier MWh des nouveaux EPR a-t-il très peu de chances de circuler sur le réseau national avant 2040 au plus tôt, mais on tire implicitement d’un tel catalogue de résolutions que d’ici là la disponibilité du parc existant devrait progressivement se dégrader à cause des programmes réguliers d’une remise à niveau sûreté indéfinie, auxquels il n’est pas question que ce parc échappe… La pérennité d’un approvisionnent électro énergétique suffisant du pays n’est manifestement pas l’affaire d’une Autorité supra-présidentielle et supra-gouvernementale de la Sûreté Nucléaire.

En définitive, on se demande bien par quel miracle les constructeurs et les exploitants de nos quelque 60 réacteurs sont parvenus à gratifier leur pays de plus de 2000 années.réacteurs sans incident. À croire que ce pays l’a échappé belle !

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5 réponses

  1. Comment des gens qui se prétendent et agissent en tant que scientifiques peuvent-ils pousser le principe de précaution aussi loin? Un vrai scientifique ne peut appliquer que le principe du doute raisonnable. Aucune invention n’aurait eu lieu avec des gens pareils!
    C’est comme tous nos énarques qui poussent au pire la transcription en NF des normes européennes alors que les allemands eux poussent au moindre!
    Je me demande si cet homme prend sa voiture de temps en temps ou même sort dehors à pied tellement il y a de risques d’accidents de voiture, de camion, de bus, de trottinette… et même chez lui, il doit craindre que le ciel ne lui tombe sur la tête! Quelle bêtise! Mais quelles terribles conséquences, aussi!
    J’ajouterais perfidement que le Président Macron, qui connait son affaire comme Mitterrand, savait pertinemment que son nouvel engagement sur le nucléaire ferait long feu si j’ose dire avec des contrôleurs pareils. Et comme il ne sera plus là pour endosser la responsabilité des dates non tenues, tout le monde va le prendre pour longtemps pour un pronucléaire. Bravo l’artiste!

  2. Rien de nouveau. Tout d’abord en France, pourtant patrie de Montesquieu, les structures étatiques confondent – en les assimilant – la notion de “pouvoir” (résultant d’une souveraineté ontologique) avec celle “d’autorité” (résultant d’une délégation, donc d’un mandat soumis au mandant. Et toutes les “autorités” mises en place ces dernières décennies, conduites par une propension propre à l’humain, cherchent à se constituer en “pouvoir” satisfaisant l’avidité existentielle par nature sans limite de ses membres, pour la jouissance que cela procure. Ainsi le Conseil Constitutionnel s’est mis à produire du droit, et non plus à l’appliquer.

    1. Tout à fait d’accord , et c’est de pire en pire, jusqu’à paralyser le Pays, contre la volonté et l’intérêt des citoyens. Jusqu’à quand le supporteront-ils?

  3. Très bon article qui fait se dresser les cheveux sur la tête de l’ancien membre de l’ASN que je suis, puis membre de l’ASND. Imaginons que le Porte-Avions doivent partir d’urgence car un conflit le demande instamment. Va-t-on lui demander de rester à quai car la réponse au troisième alinéa de la question 2 qui fait suite à la dernière inspection de son réacteur de propulsion n’est pas parvenue à l’ASND ?
    Le staff de l’ASN est remarquablement conforme à la sûreté, et ils ont raison car ainsi ils ne craignent rien. Sauf que la France est comme le PA, il y a urgence. Je pourrais écrire un article entier sur les principes de sûreté. Ce n’est pas parce qu’une ligne de défense est momentanément dégradée que tout le système doit être bloqué. Il y a des mesures compensatoires, proportionnées et provisoires possibles. L’essentiel est que l’objectif global de réduction des risques soit maintenu (par exemple 10-6/an et/installation pour l’élément redouté).
    Il y a des moments où les petits fonctionnaires doivent être remplacés par de réels représentants de l’État.

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