Le 7 mars, un vote était prévu au Conseil de l’Union sur la révision du règlement 2019/631 visant à réduire de 100 % les émissions de CO₂ des voitures particulières neuves à partir du 1er janvier 2035. Cette proposition de la Commission date du 14 juillet 2021 et s’inscrit dans le cadre de la stratégie « Fit 55 » visant à réduire les émissions de CO2. En octobre dernier, les ministres de l’Environnement ont voté pour mettre fin à l’utilisation des véhicules à combustion interne et le Parlement européen a fait de même le 14 février. Il ne reste plus qu’un seul vote, celui du 7 mars.
Dans un retournement de situation qui semblait improbable, ce vote n’est plus assuré, car le gouvernement italien de Giorgia Meloni a fait savoir qu’il s’opposera de toutes ses forces à ce qu’il considère comme la destruction du secteur automobile non seulement en Italie, mais dans de nombreux pays de l’UE ; la Pologne en particulier a exprimé son opposition.
Il faut noter que le Parlement européen n’était plus aussi unanime que l’année dernière sur cette proposition dite extrême. C’est pourquoi le texte a été adopté par 340 voix pour, 279 contre et 21 abstentions ; le parti majoritaire au Parlement européen a voté contre. Que s’est-il passé pour provoquer un tel revirement ?
Ce n’est pas par manque d’alertes
Les raisons de s’opposer à cette aberration sont nombreuses et bien connues, mais l’aveuglement de Bruxelles-Strasbourg n’a rien voulu entendre. Pour ne pas allonger le texte, nous n’en donnerons que quelques-unes, car ce n’est pas le thème central de cette tribune :
- Avec le secteur pharmaceutique, l’industrie automobile détient une avance technologique mondiale.
- La suppression des véhicules à combustion interne ne fera aucune différence dans les émissions mondiales de CO2, puisque l’UE ne représente que 8 % du total et le secteur européen des transports seulement 1 %.
- Ce sera un massacre social, car la construction de moteurs à combustion nécessite beaucoup de travail manuel.
- Nous n’avons pas assez d’électricité verte pour remplacer les produits pétroliers. Le pétrole reste l’énergie primaire la plus utilisée dans l’UE et les énergies renouvelables tolérées ne représentent que 3 %.
- Les véhicules électriques sont trop chers et les ventes actuelles n’existent que grâce à des subventions, notamment pour les entreprises ;
- Pour fournir de l’électricité aux véhicules à zéro émission, il faudrait reconstruire le réseau électrique de fond en comble, et à un prix très élevé, qui devrait être supporté par tous les consommateurs d’électricité, y compris ceux qui n’ont pas un véhicule électrique. L’hydrogène comme source d’énergie n’existe que dans la tête des politiciens de Bruxelles-Strasbourg (voir mon livre L’utopie hydrogène).
Après nous être libérés de la géopolitique pétrolière des pays du Moyen-Orient, nous nous jetons maintenant dans la dépendance de la Chine, tant pour les batteries que, de plus en plus, pour la construction de véhicules électriques.
- Le marché des véhicules à combustion interne continuera de croître dans le monde entier, car les pays en croissance sont loin de disposer de la suffisance électrique et du réseau compatible avec les véhicules électriques que même nous n’avons pas. Les constructeurs automobiles européens ne seront pas présents sur ces marchés émergents ou délocaliseront.
C’est encore une erreur de l’Allemagne
Nous avons déjà dénoncé la mainmise de l’Allemagne sur la politique énergétique de l’UE. Son opposition au nucléaire a conduit l’industrie nucléaire française au bord du gouffre. Le réveil a été tardif, mais il démontre la passivité des États membres face à la volonté hégémonique du voisin d’outre-Rhin. La honte énergétique dans laquelle nous nous trouvons — alors que le monde n’a jamais eu autant d’énergie abondante et bon marché — a été causée par l’EnergieWende, que la France et l’UE ont voulu copier en l’appelant transition énergétique.
On a constaté le même aveuglement dans le secteur automobile que dans le secteur du tout-renouvelable. Comme les compagnies d’électricité allemandes, qui savaient que l’EnergieWende était impossible, mais politiquement correcte, les trois géants allemands de l’automobile se sont tus lorsque leur compatriote qui dirige la Commission européenne a proposé l’aberration d’interdire la vente de véhicules à moteur thermique d’ici 2035 — demain !
Bien que tardivement, le groupe franco-italien Stellantis ait réagi et ait même eu le courage en juin dernier de quitter l’association européenne des constructeurs automobiles (ACEA) parce qu’elle avait accepté la mainmise allemande.
Pire que bien
Les ambassadeurs qui préparent les décisions du Conseil — COREPER — le 7 mars étaient censés voter sur cet accord le 1er mars, mais il n’y a plus de majorité qualifiée. Le gouvernement italien estime que « le choix de l’électrique ne doit pas être la seule voie vers le zéro émission dans la phase de transition. Le succès des voitures électriques dépendra en grande partie de leur accessibilité à des prix compétitifs. Un choix rationnel de la neutralité technologique par rapport aux objectifs environnementaux partagés doit permettre aux États membres d’utiliser toutes les solutions pour décarboner le secteur des transports, en tenant compte des différentes réalités nationales, et avec une planification plus progressive des délais ». Le ministre des Transports — Matteo Salvini — appelle la proposition « une folie ». La présidence tournante suédoise a préféré reporter le vote à vendredi 3 mars. D’ici là, les compromis boiteux vont s’entrechoquer.
Pour continuer à paraître politiquement corrects et avoir l’air de se préoccuper — comme dit le texte italien — des « objectifs environnementaux partagés » (entendez « sauver la planète »), ils proposent de ne plus interdire purement et simplement les véhicules thermiques, mais de les autoriser si le carburant est vert. Ils l’appellent e-carburant (e-fuel), le e signifiant électrique. L’idée serait de produire du carburant — on n’ose plus utiliser le mot essence ou diesel — à partir d’électricité d’origine éolienne, en utilisant des procédés qui ont peu de chances d’exister dans une économie de marché (rappelons que l’article 3 du traité de Lisbonne stipule que l’UE est fondée sur une économie de marché et non sur des subventions). L’espace manque pour détailler ces technologies alambiquées, mais ce sont des idées de laboratoire pour produire du biodiesel, des alcools de la chimie organique et même des hydrocarbures. Rien de tout cela n’existe et ils mettent une fois de plus la charrue avant les bœufs, comme ils l’ont fait avec l’hydrogène et les biocarburants.
Le parti libéral de la coalition allemande a compris l’aberration, mais doit faire bonne figure puisqu’il gouverne avec les Verts. C’est pourquoi il propose lui aussi les e-carburants.
Rappelons que
- L’Allemagne nazie a pu mener sa guerre grâce aux carburants synthétiques.
- Afin de répondre aux crises pétrolières, l’UE a essayé entre 1975 et 1990 de produire économiquement de tels carburants (j’ai eu le privilège de gérer ce programme à la Commission européenne). On a abandonné, car cela n’avait aucun sens économique bien que tout à faire réalisable.
- En 2009, l’UE a réessayé avec les biocarburants. Ce fut un fiasco économique et environnemental, la Commission européenne étant obligée de réviser sa directive sans trop communiquer.
- Nous manquons d’électricité. Il est illusoire et incompréhensible d’utiliser la rare et chère électricité pour produire des produits chimiques que l’on trouvera moins chers hors UE.
Imposer les véhicules électriques, à hydrogène ou e-fuel sont autant d’erreurs technologiques dont nous devrons payer les conséquences. Penser sauver l’automobile européenne avec des e-fuels c’est passer de Charybde et Scylla.
Je crains que pour ne pas perdre la face, ils n’osent pas renverser la table et finissent par accepter l’hypocrisie des e-carburants. Après tout, qui se souvient encore de Barroso, Sarkozy, Barrot, Piebalgs, les politiciens qui ont imposé la stupidité des biocarburants. Les décideurs d’aujourd’hui ne seront plus là en 2035… Ainsi va l’UE, d’erreur en erreur, en gaspillant l’argent de nos taxes — qui n’est pas perdu pour tout le monde — tout en prétendant être le leader mondial.
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Les derniers ouvrages de Samuele Furfari sont « Énergie tout va changer demain. Analyser le passé, comprendre l’avenir » et « L’utopie hydrogène».
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