Électricité : vous avez dit « souveraineté nationale » ?

La souveraineté électrique et industrielle de la France dépend du développement durable de cette quatrième génération de réacteurs surgénérateurs.

Par Jean Fluchère et Michel Gay.

Jusqu’à mi-mars 2023 se sont déroulées à l’Assemblée nationale des auditions passionnantes, parfois détonantes ou écœurantes, de hauts responsables politiques, techniques et administratifs sur la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique nationale. Le rapport de ces auditions sera rendu public début avril 2023.

Vous avez dit « souveraineté et indépendance nationale » ?

Métaux critiques

Pour produire une même quantité d’électricité (un kilowattheure par exemple), une éolienne terrestre a besoin d’environ 40 fois plus de cuivre qu’un réacteur nucléaire EPR.

Pour une éolienne marine, même avec un facteur de charge deux fois supérieur à celui des éoliennes terrestres (ce qui est utopique), ce ratio est encore de 20.

Or, le cuivre fait partie des métaux critiques non disponible en France dont le prix est élevé et son immobilisation dans les éoliennes avec le développement qu’elles connaissent va rapidement poser un problème de ressources.

De plus, les transformateurs et raccordements au réseau interconnecté sont dimensionnés pour faire face à la puissance maximum, hélas rarement atteinte, ce qui conduit à une surconsommation importante de cuivre.

L’énergie de l’économie circulaire

En outre, l’économie circulaire a besoin d’énergie pour recycler le cuivre.

Or, les éoliennes sont conçues et construites pour une durée d’exploitation de 20 ans alors que pour un EPR cette durée est de 60 ans… au minimum.

Il faudra donc dépenser quatre fois plus d’énergie pour recycler le cuivre des éoliennes que le cuivre des machines des centrales nucléaires.

Ce genre de calculs est rarement effectué.

L’acier à haute perméabilité magnétique

La grande majorité des éoliennes a besoin d’un acier à haute perméabilité magnétique différent de celui utilisé pour les machines de centrales électronucléaires. Il s’agit de tôles à grains dits orientés constitués d’un alliage fer-silicium. Les éoliennes sont donc plus onéreuses en raison de l’énergie supplémentaire dépensée pour leur fabrication.

La France n’a plus de mines de fer et le minerai est désormais importé.

Les terres rares

Les éoliennes contiennent (pour la plupart) des aimants permanents dopés avec des terres rares, néodyme et dysprosium.

Or la Chine est le principal producteur de ces terres rares dont l’exploitation minière constitue un désastre écologique.

De plus, il n’existe toujours pas de technique permettant de les extraire du métal ferreux. Le recyclage n’est pas possible, sauf à réemployer ces aimants. Or, les éoliennes sont en évolution permanente (notamment en termes de puissance), ce qui rend leur recyclage difficile, voire impossible.

L’Académie des Technologies a rédigé en 2021 un document relatif à la dépendance géologique intitulé : « Matières premières critiques et évolutions technologiques : cas de l’énergie et de la mobilité au XXIe siècle ».

Elle y indique que :

« Une transition énergétique vers la production d’électricité décarbonée issue des énergies renouvelables nécessitera beaucoup de matières premières minérales (par ex. ciment et granulats) et métalliques. La chaîne complète de la mine aux produits aura un impact en termes d’émission de CO2, de consommation d’eau et conduira à de grandes quantités de résidus miniers ».

Les rédacteurs de ce rapport soulignent aussi :

« La situation d’autres éléments, surtout des matières premières pour les batteries, c’est-à dire le lithium, le nickel et le cobalt, est encore plus préoccupante […] Un point essentiel concerne la cinétique de la transition. En effet, les chaînes de production, de la mine aux produits, sont longues à mettre en place et nécessitent des investissements considérables (l’unité de compte pour une usine ou une mine est de l’ordre d’environ 1 à 10 milliards d’euros). Cet aspect est insuffisamment pris en compte dans les objectifs des politiques publiques et ceux-ci risquent de ne pas être atteints dans les délais annoncés. Il est également devenu vital de mettre en place une politique nationale et européenne pour assurer les disponibilités pour l’ensemble de la chaîne, de l’extraction jusqu’aux sous-produits ».

Le minerai d’uranium

L’uranium est relativement abondant sur Terre et il est réparti sur les cinq continents.

La quantité d’uranium naturel actuellement nécessaire au parc nucléaire français est de l’ordre de 6000 tonnes par an, et la France dispose d’environ cinq années de réserve de combustible (contre trois mois pour le pétrole et le gaz). C’est donc une « force tranquille » sans problème géopolitique d’approvisionnement pour le combustible nucléaire uranium.

De plus, lors du retraitement du combustible dont la France maîtrise toutes les étapes du cycle, les matières fissiles (uranium de retraitement et plutonium) sont récupérées. Le plutonium est ensuite mélangé avec de l’uranium appauvri sous forme d’assemblage MOX dans une vingtaine de réacteurs. L’uranium de retraitement peut être aussi réenrichi à l’issue de son recyclage car le pourcentage d’isotope fissile 235 y est plus élevé que dans l’uranium naturel. Ces deux combustibles récupérés lors du retraitement permettent d’économiser de l’uranium naturel.

La France avait développé la filière des réacteurs surgénérateurs Phénix et Superphénix permettant de mieux utiliser le plutonium de retraitement, et surtout d’utiliser l’uranium appauvri comme combustible.

Cette filière a été arrêtée pour de sordides raisons de marchandage électoral par Lionel Jospin en 1997. Elle n’est plus aujourd’hui qu’au stade des études après l’arrêt du projet de réacteur Astrid en 2019 pour d’obscures raisons financières, et aussi par manque de vision stratégique.

Vous avez dit souveraineté ?

Le développement progressif d’un parc de réacteurs surgénérateurs de quatrième génération permettrait de valoriser les plus de 350 000 tonnes d’uranium (appauvri ou sous d’autres formes) actuellement stockées en France. Cette filière rendrait le pays électriquement indépendant de l’approvisionnement en uranium naturel et produirait donc moins de déchets miniers.

Or, le réacteur BN 600 russe a démarré en 1980, suivi du BN 800 en 2015, et le BN 1200 est en fonctionnement. La Chine et l’Inde ont pris la décision de se doter chacune d’un prototype de réacteur surgénérateur refroidi au sodium, ce qui était déjà le cas de Phénix et de Superphénix en France il y a… 30 ans !

La France disposait en 1997 d’une avance mondiale dans le domaine de la surgénération avec les réacteurs à neutrons rapides. Elle a depuis régressé.

La souveraineté électrique et industrielle de la France dépend pourtant du développement durable de cette quatrième génération. Elle doit se préparer maintenant pour construire un nucléaire véritablement durable au-delà de 2050 afin d’améliorer son indépendance et sa souveraineté parce que l’électricité est appelée à devenir l’énergie de base, remplaçant d’ici 2050 gaz, charbon et pétrole.

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