(Article initialement publié sur le site Palégénie)
« Homme, ne cherche plus l’auteur du mal ; cet auteur, c’est toi-même. Il n’est pas d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres et l’un et l’autre viennent de toi. »
Les millénaristes de l’écologie politique ? Non. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) dans l’Emile, son art d’éduquer les hommes, où il plaide contre l’optimisme des Lumières et rend l’homme seul coupable de tous les maux.
Cela se traduit à notre époque, dans le genre pire du pire, en ces termes fleuris : « L’homme est le cancer de la terre […] une espèce jetable, à l’image de la civilisation qu’il a inventée » (L’humanité disparaîtra, bon débarras !, Yves Paccalet, qui fut un collaborateur du commandant J.-Y. Cousteau, lequel préconisait, faut-il le rappeler, une population terrestre réduite à 500 millions d’individus) ; ou, d’un autre enténébré : « L’ennemi ne vient pas de l’extérieur, il siège à l’intérieur de notre système et de nos consciences » (Nicolas Hulot, Pour un pacte écologique), tous deux cités par Bruckner.
En fait, on aboutit toujours à la même chose : soit liberté, propriété privée et progrès disparaissent, soit nous disparaîtrons. Les G.O. des collectivismes de toutes les époques n’ont pas dit autre chose à leurs G.M. et quand le message tarde à passer, ils l’inculquent de force. Dans le cas de l’écologie politique, la peur y aide, elle participe de sa nature même (sans jeu de mot), de son motu proprio, comme en témoigne cette citation de l’un de ses papes, Günther Anders, en 1959 : « N’aie pas peur d’avoir peur, aie le courage d’avoir peur. Aie aussi le courage de faire peur. Communique à tes voisins une peur égale à la tienne. »
La peur comme force mobilisatrice
La peur, explique Bruckner, constitue une force mobilisatrice. Elle incite les hommes à sortir de leurs divisions, à s’insurger ensemble contre un objet de répulsion collectif et à s’en remettre à l’Etat pour assurer leur protection en échange de leur liberté. Ce n’est bien sûr pas un hasard si l’écologie politique prêche une forme de holisme méthodologique. « Aujourd’hui, comme au temps de Hobbes [Léviathan, 1651], l’anxiété est élevée au rang d’une vertu politique alors que l’allégresse est assimilée à de l’inconscience. »
Et Bruckner d’avertir ceux qui en douteraient encore : « La culture de la peur a toujours constitué l’instrument favori des dictatures : les démocraties ne peuvent en faire qu’un usage limité sous peine de se détruire. » Il en va, dit-il, comme d’une religion apocalyptique (« elle afflige, elle affole ») et cela rappelle la phrase de rhéteur du président Bush à la veille de la seconde guerre du Golfe sur les armes de destruction massive : « L’absence de preuves n’est pas la preuve de l’absence. » L’écologie politique en use et en abuse, quand elle ne pratique pas tout simplement cet autre procédé rhétorique qu’est la reductio ad Hitlerum et parle de « crime contre l’humanité » ou de « négationnisme ».
La peur ne peut servir de guide rationnel que face à un danger imminent et perceptible, or il s’agit ici de nous rendre responsables de ce qui pourrait – au conditionnel, car il subsiste par rapport aux assertions officielles un degré important d’incertitude, cf. Unsettled, Steven Koonin) – survenir dans les siècles des siècles. (La démarche n’est, soit dit en passant, pas foncièrement différente lorsqu’il s’agit de nous rendre moralement responsables de faits historiques qui se sont produits dans le passé et ne nous sont pas directement – et encore moins personnellement – imputables.)
Le futur, grande catégorie de chantage
La litanie des menaces climatiques alléguées qui pèseraient sur nous et nos lointains descendants – si nos enfants n’ont pas entretemps été découragés d’en avoir eux-mêmes – a pour objectif de nous contraindre à obéir et de nous priver de toute capacité d’action. Des mensonges, ces menaces ? Non, le contraire de la vérité, selon Nietzsche, ce sont les convictions. Comme dans le christianisme et dans le communisme, dit Bruckner, le futur est redevenu « la grande catégorie du chantage ». Faites pas ci, faites pas ça, et sacrifiez-vous au nom des générations à venir.
Hans Jonas, l’autre pape allemand de l’écologie politique, parle d’un « repentir prévisionnel ». « Les hommes de l’avenir ont en effet le droit de nous accuser, écrit Jonas, cité par Bruckner, nous leurs prédécesseurs, en tant qu’auteurs de leurs malheurs, si, par notre agir insouciant et qui aurait pu être évité, nous leur avons détérioré le monde. » Nous voilà en plein « flash forward ». C’est à ce niveau que s’exerce tout le potentiel tétanisant, et en vérité rétrograde, du principe de précaution.
Nombre de nos semblables souffrent encore, fait observer Bruckner, de ces fléaux existentiels qui ont été le lot de tous les humains : la faim, la pauvreté, la maladie, les cataclysmes naturels et les assassinats de masse. En guise de priorité, l’écologie politique entend leur substituer l’impératif catégorique du futur de la planète. Selon la formule d’Etienne Barillier, cité par Bruckner, ce qui effraie les apôtres de Gaïa, « ce n’est pas le risque du pire, c’est la menace du meilleur ».
Le fanatisme de l’Apocalypse, Pascal Bruckner, 288 pages, Grasset.
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