Fit For 55 : un programme suicidaire pour l’économie européenne ?

(Par Michel Negynas dans Contrepoints du 27/4/23)

Le plan Fit For 55 de l’Europe comporte onze thèmes visant à réduire les émissions de CO2 de 55 % d’ici à 2030, mais sa complexité et son caractère irréaliste en font un programme potentiellement suicidaire pour l’économie européenne.

L’objectif

« Fit For 55 ». Sous ce slogan, l’Europe voudrait se donner comme objectif de diminuer ses émissions de CO2 de 55 % par rapport à 1990, d’ici à 2030. C’est-à-dire dans 7 ans. Cela vient d’être voté par le Parlement avant de poursuivre le processus législatif.

Voyons d’abord où nous en sommes.

D’abord une surprise : à la date où ces lignes sont écrites, nous n’avons pas de chiffes pour les années 2021 et suivantes… ce qui est gênant pour faire de la prospective, les années covid étant très particulières.

Si on s’arrête à 2018, dernière année d’activité « normale », on était à 3800 MtCO2. L’objectif est de 2640 MtCO2. Jusqu’en 2018, on gagnait environ 50 Mt par an.

Pour atteindre le 55 %, il « suffit » de faire 1160 Mt en 11 ans, soit environ le double de ce qui est fait jusqu’à présent. Bien sûr, on a fait 200 Mt sur les deux années covid… Et si on part de 2020, il « suffit » de faire 76 Mt/an. Mais cela suppose que l’on ne se remette pas des années covid.

Comment l’Europe peut-elle y arriver ?

L’essentiel des gains antérieurs provient d’une baisse des activités industrielles et de l’évolution des PIB vers des activités de service. L’évolution est donc en trompe-l’œil : nous avons en partie « exporté » nos émissions par nos importations. Un tiers environ de l’empreinte carbone de l’Union européenne correspond à des processus de production localisés en dehors de son territoire. Or, dans toute l’Europe, on veut « réindustrialiser » pour des raisons de souveraineté ! Cela se ferait-il sans émissions supplémentaires ?

On voit bien que l’objectif est irréaliste : sept ans n’est pas une échelle de temps compatible avec des ruptures, qu’elles soient industrielles ou sociales.

C’est conforme à la démarche de l’Union : on ne change pas une équipe qui perd. Et c’est la même chose pour tous les objectifs, comme par exemple les énergies renouvelables.

Le programme 

Plusieurs thèmes sont susceptibles de faire exploser socialement et économiquement l’ensemble de l’Europe.

Réforme du système d’échange de quotas d’émission de l’UE 

Ce système est peu connu du grand public. Les médias en parlent généralement comme d’un « droit à polluer ». Outre que le CO2 n’est pas un polluant au sens habituel, le système s’apparente plutôt à une taxation mise en marché entre certains acteurs. Le système est d’une complexité incroyable. Pour une description complète, voir ici.

Il s’adressait jusque-là essentiellement aux producteurs de métaux, de ciment, de produits chimiques, d’électricité et à quelques secteurs plus marginaux comme l’aérien (40 % des émissions en Europe). Il a rencontré de nombreuses difficultés d’application pour au moins deux raisons :

  1. Les efforts de réduction imposés sont en valeurs absolues, ils dépendent donc de l’activité des secteurs, ce qui rend l’évaluation des performances très difficiles, ex ante.
  2. Il s’adresse à des secteurs aux caractéristiques n’ayant rien en commun : les électriciens ont un monopole de fait, les autres sont en concurrence internationale. Pour certains secteurs très émetteurs, la taxe représenterait un surcoût insurmontable si elle leur était appliquée à plein (doublement des prix de revient pour l’acier). Aussi ont-ils des traitements spéciaux.

 

Mais en outre, il a fallu prévoir aussi un traitement de faveur pour les industries intensives en électricité puisque les électriciens répercutent la taxe sur leurs clients…

Bref, un cauchemar. Mais on ne change pas une équipe qui perd : qu’à cela ne tienne, élargissons le périmètre du système au transport maritime, et il sera mis en place un deuxième marché de quotas pour le bâtiment, le transport et les carburants. Il s’annonce encore plus complexe à organiser. En particulier, il télescopera les taxes existantes (par exemple la contribution carbone pour la France) et qui ne sont pas homogènes entre les pays, la fiscalité étant du ressort des États, pas de l’Union.

Et le projet de taxe aux frontières entre en scène. Si elle est appliquée, il n’y a plus lieu de donner des dérogations aux secteurs fortement émetteurs : le prix de l’acier doublera donc en Europe.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

Il s’adressera aux mêmes secteurs que ceux soumis aux quotas. Les importateurs devront acheter des certificats censés combler la différence de coût générée par les contraintes imposées aux producteurs européens pour leurs émissions.

Il va sans dire que la complexité des calculs des différences de coût va confiner à la débilité. Un article sur Contrepoints a déjà abordé cette question.

En outre, l’acceptabilité par l’OMC est pour le moins incertaine.

Si tout cela est mis en pratique, le résultat sera évident, inéluctable : devant le surcoût des matières premières, les industries manufacturières émigreront ailleurs : les plans américains sont tout indiqués pour les recevoir via l’IRA.

Énergies renouvelables

Nous avons vu ici que l’objectif de 55 % d’énergies renouvelables pour 2030 était irréaliste et surtout financièrement suicidaire.

Taxation de l’énergie

S’appliquant sur tous les produits énergétiques, on ne voit, pour l’instant, pas très bien comment elle s’articulera avec les autres taxes, contributions, quotas, certificats… et comment on évitera de taxer doublement, voire triplement.

Le plan d’action comprend onze thèmes tout aussi irréalistes (interdiction des voitures thermiques etc.)

Un programme suicidaire ?

En fait, on va essayer d’atteindre un objectif dont l’irréalisme ne fait aucun doute par un programme tout aussi irréaliste, basé sur une conception de l’Europe comme une bulle isolée du reste du monde.

D’autant que le règlement REACH sur les produits chimiques est lui aussi en cours d’une révision qui s’annonce tout aussi dévastatrice.

Évidemment, la complexité de ces sujets n’incite pas les médias et le grand public à s’y intéresser. C’est fâcheux, car si vraiment ces actions sont mises en œuvre, peut-être atteindrons-nous l’objectif.

Il suffira de faire de l’Europe un désert industriel en sept années.

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Une réponse

  1. Cet article prévoit bien la ruine de l’Europe mais n’insiste pas suffisamment sur le fait que les actions proposées s’attaquent à des dangers qui n’existent pas et n’insiste pas non plus sur le fait que les actions proposées vont à l’encontre des objectifs qui sont d’éviter une catastrophe climatique car les fameuses EnR ne sont pas sans impacts sur le climat! Penser qu’on va à grand déploiement de champs d’éoliennes ne pas réduire la vitesse des vents et ne pas changer leurs orientations et leurs taux d’humidité tient de l’aveuglement complet. Il est grand temps de revenir à des fondamentaux scientifiques indiscutables pour envisager de gérer correctement la planète. Les délires européens démontrent l’ignorance crasse des décideurs. Seuls quelques députés européens sont conscients de ces égarements (Dont F.X.Bellamy) quant à la commission, elle ne s’occupe pas de l’Europe tant elle est préoccupée par l’internationalisation, la mondialisation et l’intérêt des supposées élites qui imposent leurs programmes.

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