Comptabilisation des émissions de CO2 : une question de responsabilité partagée

(Article initialement publié dans Contrepoints du8/5/23

La distinction entre les émissions directes et indirectes de CO2 pose des problèmes de responsabilité partagée entre les producteurs et les consommateurs.

L’organisation d’actionnaires « Follow This » détenant 1,5 % du capital de TotalEnergies a demandé au groupe énergétique d’inscrire à l’ordre du jour de son assemblée générale de mai prochain une résolution visant à réduire drastiquement ses émissions indirectes de dioxyde de carbone, c’est-à-dire celles liées à la vente de ses produits (gaz et pétrole pour l’essentiel). Le groupe énergétique a de son côté demandé à ses actionnaires de ne pas voter cette résolution.

Rappelons que les émissions d’une entreprise sont classées en émissions directes engendrées par la production de ses produits et en émissions indirectes liées à leur consommation.

Ainsi, les émissions directes d’un groupe pétrolier sont engendrées par les opérations de production de pétrole et de gaz, le raffinage puis le transport, alors que ses émissions indirectes résultent de la consommation de l’essence dans les voitures, du fioul ou du gaz pour le chauffage. Les émissions indirectes d’un groupe pétrolier représentent 90 % de ses émissions globales contre seulement 10 % sur ses émissions directes. Ainsi entend-on souvent dire que les émissions de TotalEnergies sont supérieures à celles de la France sans autre précision. C’est effectivement vrai pour les émissions indirectes mais tout à fait faux pour les émissions directes (de l’ordre de 40 MtCO2 par an comparées au 350 MtCO2 émises annuellement par la France)

On retrouve un peu cette classification au niveau des pays. On ne fait plus cette fois la différence entre producteurs et consommateurs mais entre émissions territoriales et extraterritoriales (c’est-à-dire liées aux produits importés). Et comme pour les groupes énergétiques la différence est notoire : les émissions territoriales françaises sont de l’ordre de 5 tCO2/hab et par an alors que si l’on y ajoute les émissions d’importation elles se montent à 10 tCO2/hab.

Cette double gestion pose de nombreux problèmes

Elle détourne la responsabilité d’une partie de la chaîne production/consommation, conduit souvent à une double voire une triple comptabilité. Par ailleurs, elle est exploitée par certains à des fins idéologiques.

Envisageons plusieurs exemples. Un litre d’essence consommé en France par un touriste allemand doit-il être comptabilisé dans l’Hexagone comme une émission territoriale ou outre-Rhin comme une émission d’importation ? De même, les émissions résultant de l’achat en France d’un tee-shirt chinois incombent-elles au producteur chinois ou au consommateur français ? Le CO2 émis par un automobiliste doit-il être affecté au conducteur et donc considéré comme une émission territoriale ou au fournisseur d’essence comme une émission indirecte ?

Pour ces exemples, certains ont des réponses à géométrie variable.

Ainsi, les émissions liées au tee-shirt chinois seraient de la responsabilité du seul consommateur français, tandis que celles liées à la consommation d’essence seraient de la responsabilité du producteur de cette essence. On perçoit derrière cette stratégie une idéologie bien huilée : faire du consommateur européen et des grands groupes industriels capitalistes des cibles privilégiées. C’est par ce trafic éhonté des données que certaines ONG sans scrupules arrivent à des chiffres aberrants du type « les 10 % les plus riches émettraient plus de la moitié des émissions mondiales. »

Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, les responsabilités sont partagées.

Les fortes émissions liées au tee-shirt chinois ne sont-elles pas dues en grande partie au mix énergétique fortement carboné de l’empire du Milieu ? N’est-il pas injuste de les affecter au seul budget carbone du consommateur européen même si ce dernier devrait faire preuve de davantage de discernement dans ses achats ? Quant au litre d’essence, ne résulte-t-il pas d’une responsabilité partagée entre le pétrolier (qui vend un produit émetteur), le motoriste (qui construit un équipement consommant ce produit émetteur) et le consommateur (qui l’utilise et est finalement en bout de chaîne le principal décideur).

Enfin, en raisonnant de la sorte on comptabilise souvent plusieurs fois les émissions. La règle en vigueur reposant sur les émissions territoriales, le tee-shirt chinois est comptabilisé de facto en Chine. En l’affectant en France aux émissions d’importation, ses émissions ont donc été comptabilisées deux fois ! De même pour les émissions indirectes des pétroliers déjà affectées au territoire sous forme de consommation. Le litre d’essence consommé par l’Allemand pourrait être comptabilisé trois fois : une fois pour le pétrolier, une fois pour la France comme émissions territoriales et une fois pour l’Allemagne comme émissions d’importation.

La règle en vigueur reposant sur les émissions territoriales et les émissions directes industrielles apparaît comme la plus simple et la plus fiable. Méfiance donc quand on vous dit que le Français émet 10 tCO2/an et non cinq. À coup sûr, la différence a déjà été comptabilisée ailleurs !

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