Quand les pétroliers quittent le vert…

Le monde complexe de l’énergie dépend de la science et de l’économie. Ceux qui croient encore que les décisions politiques et le verdissement d’image vont inverser ces fondamentaux répètent, une fois de plus, les erreurs du passé. Après ExxonMobil, la compagnie pétrolière Shell a annoncé qu’elle allait désinvestir dans le secteur des énergies vertes. Si ces entreprises s’étaient souvenues de leur passé, elle ne s’y serait jamais engagée. À chacun son métier : l’avenir des pétroliers, c’est leur passé, pas l’énergie subventionnée.

Lors des crises pétrolières des années 1970, pensant que le pic pétrolier avait été atteint – du moins en termes économiques – les compagnies pétrolières ont toutes investi massivement dans la production de charbon. Le charbon et l’énergie nucléaire étaient considérés comme le salut de la géopolitique énergétique. D’ailleurs, le slogan de la stratégie de la Commission européenne était COCONUC pour Coal (charbon), Conservation (comme on appelait alors les économies d’énergie), et le Nucléaire.

Les pétroliers ont investi dans le charbon

En pleine panique pétrolière, le charbon est apparu comme la solution indispensable pour produire de l’électricité et même du pétrole synthétique. De nombreux projets charbonniers voient le jour sous l’impulsion des compagnies pétrolières. Exxon a construit l’un des plus grands projets charbonniers, la mine El Cerrejón, en Colombie, dans le nord du pays. La joint-venture avec Carbocol, l’entreprise nationale, a commencé ses activités en 1984. La française, Total, avait créé Total Charbon, qui avait acheté des mines en Afrique du Sud, entre autres, tandis que l’italienne Eni avait fondé Eni Carbone pour préparer son entrée massive dans le secteur du charbon.

Shell avait fait de même. À la fin du siècle dernier, Shell Coal possédait 5 mines et 4 participations majoritaires, en plus de détenir des parts dans 3 des principaux terminaux d’exportation de charbon du pays. Shell Coal était le troisième producteur de charbon d’Australie, avec une production de 13,3 millions de tonnes en 1998.

Mais lorsque le réalisme est revenu, que l’on s’est rendu compte que le pétrole est abondant et sera disponible tout au long de ce siècle, le climat plus serein – que j’ai présenté dans mon livre Vive les énergies fossiles. La contre-révolution énergétique (édition Texquis, 2013) – les a incités à se retirer de l’industrie charbonnière. Elles ont vendu tout ou partie de leurs actifs. Entre 1995 et 2005, les compagnies pétrolières abandonnent les unes après les autres ce combustible, pourtant promis à un bel avenir, pour se concentrer sur leur cœur de métier. En 2000, Shell Coal Holdings a vendu ses actifs à Anglo American, et en 2003, BP a vendu ses actifs à Kaltim (Indonésie). ExxonMobil, Chevron et Total n’ont conservé que des activités marginales.

Les pétroliers ont investi dans les énergies renouvelables

Puis est venu l’engouement pour les énergies renouvelables, et le même scénario s’est répété. Les compagnies pétrolières ont promis qu’elles seraient les leaders de ces nouvelles formes d’énergie. Vous vous souviendrez que Lord Brown avait expliqué que son entreprise BP ne signifiait plus British Petroleum (en fait, c’était le cas depuis que Margaret Thatcher avait privatisé le fleuron géopolitique du pétrole), mais s’appellerait désormais Beyond Petroleum (« au-delà du pétrole »). Après avoir quitté BP, John Browne of Madingley a investi dans la production de gaz de schiste…

Quant à ExxonMobil, après avoir dépensé quelques 350 millions de dollars pour développer des biocarburants à base d’algues, dont 60 millions de dollars en publicité, elle a jeté l’éponge en mars 2023 et le rêve s’est évanoui, car les technologies des algues ne sont pas encore prêtes à être déployées. ExxonMobil s’est retiré de la collaboration avec Viridos (qui, sur la page d’accueil de son site web, titre « Fly a jet using sunlight and CO2 ? »*). ExxonMobil a également cessé de financer la collaboration avec la Colorado School of Mines, après avoir soutenu les travaux sur les algues pendant 8 ans.

* « Faire voler un jet avec la lumière du soleil et du CO2 ? »

Retour au métier d’origine qui rapporte et restera incontournable

Le géant des combustibles fossiles Shell a annoncé, en avril 2023, qu’il ne poursuivrait pas ses projets de biocarburants à base d’huile végétale à Singapour. La major britannique avait prévu de construire un complexe de biocarburants de 550.000 tonnes par an à Bukom, pour produire du carburéacteur et du biodiesel durables.

Bloomberg annonce ce 13 juillet que Shell travaille avec des conseillers pour se retirer du secteur des énergies renouvelables. Le PDG, Wael Sawan, concentre désormais les investissements de la société sur les combustibles fossiles, dans le but d’accroître le rendement pour les actionnaires et de réduire l’écart de valorisation par rapport à ses homologues américains. D’ailleurs, Thomas Brostrom, responsable de la production d’énergie renouvelable chez Shell, vient de quitter l’entreprise après que son PDG a annoncé que la société continuerait à dépendre du pétrole et du gaz. Le pauvre homme avait quitté le leader de l’éolien en mer, le danois Orsted, en croyant transformer Shell en une entreprise verte. Il n’a tenu que deux ans chez le « méchant pétrolier ».

Lorsque je travaillais sur les énergies renouvelables et la prospective énergétique à la Commission européenne, Shell est venue nous expliquer à quel point elle prenait au sérieux la promotion des énergies renouvelables. Ce n’était pas que du verdissement d’image ! Après 20 ans de dépenses inutiles, Shell, comme les autres compagnies pétrolières, a compris qu’il n’y a pas d’avenir sans combustibles fossiles. Le pétrole, le gaz, le charbon, l’énergie nucléaire et l’hydroélectricité resteront les fondements inébranlables de l’énergie, n’en déplaise à mon ancien employeur.

De plus, bien que tous les Français et aussi les Européens soient amenés à croire que l’avenir appartient aux énergies vertes, entre 2011 et 2022, les pays non membres de l’OCDE, c’est-à-dire ceux qui sont en croissance, ont augmenté leur consommation de 87 exajoules (EJ), tandis que les pays de l’OCDE ne l’ont augmentée que de 3 EJ. Les pays en croissance ont couvert 80 % de cette augmentation avec de l’énergie conventionnelle et seulement 20 % avec de l’énergie éolienne et solaire. Par conséquent, l’écart en termes absolus entre les énergies conventionnelles et les énergies vertes se creuse.

Shell a compris que son avenir c’est son passé, pas l’énergie subventionnée. Peu d’hommes politiques français – et européens – l’ont compris ou osent le dire.

Plus de détails sur ces évènements dans mon livre, Energy insecurity. The organised destruction of the EU’s competitiveness.

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Une réponse

  1. Bravo à Samuel Furfari pour cette intervention. Mais ce qu’il dit ne fait que démontrer que nous avons du temps pour trouver d’autres énergie et nous organiser pour l’avenir, il ne démontre pas qu’il n’est pas nécessaire de se préparer. Je dirais plutôt: “Il n’y a rien d’urgent il n’y a que des gens pressés!”
    L’humanité aura besoin de carburant, il n’est pas idiot de s’y préparer, l’humanité aura toujours besoin de plus d’énergie, il n’est pas idiot de s’y préparer. Ces discussions stériles sur le CO2 qui n’est responsable de rien cachent la nécessité d’avoir une vision à très long terme et les meilleurs esprits ne sont pas encore suffisamment au travail pour l’affronter en s’affranchissant des contraintes inventées!

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