Les éoliennes en mer, bientôt sous la ligne de flottaison ?

La Bretagne-Sud devrait avoir le « privilège » d’accueillir le premier parc industriel éolien flottant français, avec 62 éoliennes de plus de 250 mètres de haut, à 15 kilomètres des côtes de Belle-Île et moins de 30 kilomètres de la presqu’île de Quiberon et de l’île de Groix. Une zone industrielle, qui occupera une fois et demie la surface de Belle-Île et dont les machines font 3,7 fois la hauteur du point culminant de Belle-Île ! Il n’existe aujourd’hui aucun parc flottant de taille comparable au monde.
Le résultat du premier appel d’offre est imminent, vers la fin de l’été.
 

Or, une audition récente de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et techniques (OPECST) et un avis de l’Académie des Technologies [1] devraient singulièrement doucher les espoirs mis sur cette technique, censée représenter la moitié des 50 parcs éolien off-shore le long de nos côtes prévus pour 2050 (40 GW de puissance installée, soit les deux tiers du parc nucléaire, mais pour une puissance délivrée intermittente, fortement variable et non corrélée à la demande). Il y a été notamment divulgué que l’éolien flottant ne peut tenir ses promesses d’éloignement des côtes, puisque la technologie des postes flottants n’est pas mature (et ne le sera pas avant 2040), ni celle des câbles en courant continu qui seraient nécessaires. Il n’y a encore aucun accord sur le type de socle (acier ou béton) qui se prêtera à un développement industriel.

Or, les conséquences en seront très différentes : si c’est l’acier, la demande mondiale représentera l’équivalent de la demande actuelle pour l’automobile, ce sera alors un goulet critique d’étranglement.

Carte des côtes de Belle-Île-en-Mer.
Carte des côtes de Belle-Île-en-Mer.

La stabilité et la fiabilité même de telles structures ne sont pas garanties : les flotteurs sont soumis au mouvement de la houle selon une période propre, et le passage des pales devant le mât crée une perturbation, qui fait vibrer les pales selon une fréquence malheureusement très proche de la fréquence propre du système.

Et quid de l’effet de telles vibrations sur l’acoustique sous-marine et les cétacés ? Les turbines de fortes puissances envisagées exigent des aimants permanents qui entraineront une forte dépendance chinoise aux terres rares – et là aussi un sérieux goulet d’étranglement s’agissant de matériaux très demandés pour l’électronique.

Le président actuel du BRGM, lors d’un séminaire au collège de France a prévenu : vers 2030, il faudra choisir entre les ordinateurs ou téléphones portables, l’internet en Afrique et l‘éolien [2].

L’éolien off shore est l’un des plus gros consommateurs de métaux critiques BRGM.
L’éolien off shore est l’un des plus gros consommateurs de métaux critiques BRGM.

Si les promesses d’éloignement des côtes ne pourront être tenues d’ici 2040, c’est encore pire pour les promesses d’emplois. Ainsi, devant l’OPECST, Grégoire de Saivre, directeur de la division off-shore de Total Energie, a déclaré que, quels que soient les flotteurs, il serait 

« très compliqué de donner de la visibilité aux ports : il est très probable qu‘en fait, une bonne partie de la fabrication ne soit pas effectuée sur place, ni même en France , mais par l’ importation de modules fabriqués à l’étranger avec seulement l’assemblage final dans les ports français ».

Pour des flotteurs en béton, l’assemblage se ferait directement en mer. Et quant aux estimations de coûts :  « Estimer les coûts de construction d’une filière qui n’est pas mature sur une période de 8 à dix ans ; impossible c’est une boule de cristal ! »

Les assureurs, de leur côté, commencent à s’inquiéter. GCube, l’un des plus importants du secteur, a averti : 

« L’augmentation de taille des éoliennes off-shore crée des risques de marché insoutenables ».

Il a rappelé que les machines de plus de 8 mégawatt engendrent davantage de réclamations en assurance pendant leur construction, et souffrent de défaillances majeures de composants au cours des 2 premières années d’exploitation, contre 5 ans pour les turbines de 4 à 8 mégawatt [3].

De son côté, le professeur Gordon Hugues (Edindburg University), à partir d’une étude portant sur 6.400 éoliennes danoises, a prédit que 80% des grandes éoliennes off-shore seront hors-service d’ici 7 ans [4]. Il a constaté une diminution de production annuelle de 4,5% par an pour les éoliennes marines (contre 3% pour les terrestres) entrainant une augmentation des coûts d’exploitation et, de toute façon, explique-t-il, il ne sera pas rentable de maintenir les turbines après 12 à 15 ans.

Ces résultats invalident radicalement des calculs d’investissement basés sur des durées de vie de 25 à 30 ans. Avis aux investisseurs !

Concernant ce projet Bretagne Sud, M. François Goulard, alors président du Conseil départemental du Morbihan avait déclaré : 

« Ce projet serait un crime contre une nature d’une beauté insurpassable. Transformer la mer côtière en zone industrielle est tout bonnement insensé ».

Il est maintenant évident que, au contraire d’une accélération, c’est un moratoire immédiat qu’il faut pour Bretagne Sud.

Et une réflexion plus large : avons-nous vraiment besoin de cette ceinture de 50 zones industrielles proches de nos côtes (moins de 20 kilomètres en moyenne contre 40 kilomètres en Europe), qui annihile 100 ans de protection du littoral, constitue une menace d’une ampleur inégalée contre la biodiversité, en particulier dans le couloir atlantique, zone majeure de migrations d’oiseaux, de cétacés et de poissons, met en péril la pêche côtière, le nautisme, le tourisme et remplace pour des dizaine de millions d’habitants et de visiteurs la vision apaisante du grand large par celle d’un horizon barré d’éoliennes ?

Et tout cela pour une production électrique très coûteuse, décorrélée des besoins, d’une variabilité telle qu’elle menace la stabilité du système électrique et qui ne sera disponible qu’à l’horizon 2035 où le nouveau nucléaire devrait commencer à prendre le relais ?

[1] Les grandes éoliennes en mer, Académie des technologies, Février 2023 ; Audition publique sur les innovations technologiques de l’éolien offshore , OPECST, 2 février 2023

[2] https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/seminaire/la-transition-energetique-aujourd-hui-et-demain/approvisionnement-en-metaux-critiques-le-nouveau-defi-de-la-transition-energetique

[3] Vertical Limit: When is bigger not better in offshore wind’s race to scale?”

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Une réponse

  1. Ce n’est pas un moratoire pour la Bretagne Sud, mais bien au contraire l’arrêt total et immédiat de tous ces projets, infondés, démentiels, ruineux et parfaitement inutiles qu’il faut décider au plus vite.
    C’est d’ailleurs au programme de plusieurs partis politiques et il faut espérer qu’ils seront soutenus. Il en va de notre crédibilité industrielle et financière future.

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