Les couperets de la loi anti « passoires thermiques » 

Face à la promulgation d’une loi contraignant les propriétaires à améliorer l’isolation thermique de leurs biens, Simone Wapler explore les conséquences imprévues et les problèmes sociaux résultant de cette législation.

Le décret sur la fin des locations des passoires thermiques vient d’être publié et précise certaines modalités d’application – ou de non-application – de la loi. Tous les propriétaires bailleurs de logements mal notés sur le plan énergétique l’attendaient.

Rappel de la saison 1 : promulgation de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Les mesures consistent à interdire à la location les logements considérés insuffisamment isolés, et donc trop soumis aux déperditions d’énergie, soit les classes F et G du diagnostic de performance énergétique.

Comme le dit son intitulé, cette loi énonce l’existence d’un « dérèglement climatique » et assume qu’isoler un logement permet de le rendre « résilient ». Ce mot, qui désigne en physique des matériaux ayant la capacité de résistance aux chocs, s’emploie désormais à tout propos. Le dérèglement climatique est donc assimilé à un choc (thermique ?), et un logement situé à Dunkerque ou à Marseille nécessiterait les mêmes normes d’isolation thermique.

C’est une loi mal ficelée, dans l’air du temps, conçue pour plaire aux écologistes au détriment de propriétaires qu’elle contraint à réaliser des travaux avec de l’argent qu’ils n’ont pas, travaux qui ne seront jamais rentabilisés. Quand la loi est mal fichue, sa mise en pratique est ardue, d’où probablement le long délai de parution du décret.

Les dates sont bien arrêtées

Le décret précise que le couperet tombera le 1er janvier 2025 pour les logements classés G, et au 1er janvier 2028 pour ceux classés G.

Les propriétaires bailleurs ont donc un peu plus d’un an pour organiser de lourds travaux. Sachant par exemple que le délai de réalisation de fenêtres est actuellement de six mois.

Si un logement est en dessous de la norme, le locataire peut saisir la justice pour que le bailleur le mette en conformité. Le juge, transformé en expert immobilier, décidera alors de la nature des travaux et de leurs délais. En attendant, le loyer peut être minoré ou suspendu. À noter : la loi ne prévoit pas d’obligation de relogement du locataire durant les travaux (au Cerfaland, cette idée aurait pu effleurer le législateur toujours si généreux avec l’argent des autres).

Le cas épineux des copropriétaires

Dans beaucoup de cas, les propriétaires d’un logement situé dans une copropriété ne pourront pas atteindre le niveau exigé par la loi, et encore moins dans les délais impartis.

En effet, le bilan prend en compte l’isolation générale de l’immeuble et, lorsque c’est le cas, le type de chauffage collectif. Or, les toitures, les combles et greniers, les caves, certaines parties des plafonds et planchers, les murs extérieurs, les chaudières sont des parties communes. Et les propriétaires occupants ne tombent pas sous le coup de la loi. Ils ne sont donc pas grisés à l’idée d’entreprendre des travaux collectifs dont le coût (répétons-le au risque de radoter) ne sera pas nécessairement amorti par les économies de charges réalisées.

Mais ce n’est pas parce que vous savez que le niveau requis ne sera pas atteint que vous êtes dispensé d’initier vos travaux privatifs d’amélioration (changement de fenêtres, isolation par l’intérieur, etc.). Dans ce cas, après confirmation d’un DPE toujours défavorable, il vous faudra en plus produire les pièces justifiant que vos efforts de persuasion pour aboutir à la réalisation de travaux relevant des parties communes ou d’équipements communs n’ont pas abouti.

Choc climatique sur le patrimoine architectural

Le décret prévoit aussi le cas des bâtiments classés, des travaux qui fragiliseraient les structures, ou qui nécessiteraient des autorisations d’urbanisme, ou des permis de construire de la part de différentes autorités administratives qui les bloqueraient.

Soit, résumé en bon langage juridico-technocratique moderne écrit par la plume alerte du législateur :

« Les travaux nécessaires, entraînant des modifications de l’état des parties extérieures, y compris du second œuvre, ou de l’état des éléments d’architecture et de décoration de la construction, ont fait l’objet, pour ce motif, d’un refus d’autorisation par l’autorité administrative compétente sur le fondement des dispositions législatives et réglementaires du livre VI du Code du patrimoine, du titre IV du livre III du Code de l’environnement ou du livre Ier du Code de l’urbanisme. »

Alors dans ce cas, après avoir produit les dizaines de Cerfas et centaines de pièces nécessaires :

« Le juge peut, notamment, surseoir à statuer dans l’attente de l’intervention de la décision de l’autorité administrative compétente pour autoriser la réalisation de ces travaux. »

Bref, vous l’aurez déjà compris, cette loi va contribuer à engorger les tribunaux et nourrir de nombreux experts.

Au 1er janvier 2022, selon les données de l’Observatoire national de la rénovation énergétique, il y aurait 1,6 million de passoires thermiques dans le parc locatif privé, soit 20 %. Donc 20 % du parc locatif est à terme condamné.

Si votre logement est situé dans le grand Paris, et vacant pendant les Jeux Olympiques, vous pourrez à ce moment-là, tirer une dernière cartouche en le louant à prix d’or en meublé de courte durée. Pour le moment, la loi ignore les locations meublées type Airbnb.

Ce qui commence à se voir : choc social en vue

Plus sérieusement, les conséquences directes sont pour le moment :

  • Un afflux d’offres de vente de logements classés F et G (+8 % selon MeilleursAgents et SeLoger) alors que les acheteurs se raréfient en raison des hausses de taux
  • Une tension sur le marché locatif dès cette rentrée, abondamment relayée par les médias
  • Sur les réseaux sociaux, des crispations de plus en plus visibles entre la jeune génération active et les retraités. La première doit faire face à l’envolée des prix de l’immobilier, la hausse des taux, l’inflation et un salaire net qui s’essouffle, puisque la retraite par répartition les condamne à payer les pensions de la génération précédente. Et la population des retraités compte de nombreux propriétaires immobiliers.

 

Dans sa passoire thermique, face à sa cheminée illuminée du premier feu de l’automne, le philosophe reliera Frédéric Bastiat :

« Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit. »

L’effet social est désastreux : cette loi ne fait qu’accélérer la crise immobilière et augmenter les crispations intergénérations.

Quant à l’effet sur le climat, je suis prête à parier qu’il sera nul.

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