Solaris : le soleil, nouveau champ pétrolifère de l’Europe ?

L’Europe s’aventure où même Icare n’aurait pas osé aller : au plus près du Soleil. Mais le projet Solaris peut-il vraiment voir le jour sans se brûler les ailes ?

En novembre 2022, les partenaires de l’ESA ont approuvé au niveau ministériel le financement du projet Solaris qui consiste à étudier la faisabilité de centrales utilisant le rayonnement solaire en orbite terrestre (SBSP, Space-based Solar Power) pour alimenter en énergie les consommateurs en surface terrestre.

Selon ce que rapporte Le Figaro, l’ESA a choisi le 24 juillet Thales Alenia Space (Thalès, France, 67 % et Leonardo, Italie, 33 %, « TAS ») pour mener l’étude à la tête d’un consortium de sociétés européennes. Pour les membres du consortium, on parle de Dassault Aviation pour l’aéronautique, d’Engie (France), Enel (Italie), et d’Air Liquide pour l’énergie. La décision de « faire » devrait être prise en 2025, en fonction, bien sûr, des résultats de l’étude.

On voit bien l’intérêt de telles centrales (on parle de fermes solaires pour la partie collecte dans l’espace) : fournir une énergie propre à partir d’une ressource illimitée, le rayonnement solaire, disponible avec la même intensité 24 h/24 h, 7 jours sur 7 jours, toute l’année (quelle que soit la durée de cette « année »).

Ceci ne veut pas dire que la collecte de l’énergie et la transmission ne coûteront rien, et que toute l’énergie souhaitée sera immédiatement disponible. Cela dépendra de la surface de collecte mise en place, de la puissance du faisceau d’ondes envoyé vers la Terre, et de la capacité de captage et de conversion des stations de réception au sol.

Il faudra fournir les milliers de panneaux photovoltaïques nécessaires, les monter dans l’espace jusqu’à l’orbite géostationnaire (36 000 km) pour que la position de l’émetteur vers la Terre soit fixe par rapport au récepteur au sol. Il faudra, dans l’espace, les structurer robotiquement en un ensemble cohérent et opérationnel pour qu’ils puissent fonctionner ensemble, collecter le rayonnement solaire par une surface aussi grande que possible, et émettre vers la Terre par un faisceau d’ondes aussi étroit que possible. Il faudra ensuite entretenir le dispositif de collecte (les micrométéorites existent !), celui permettant son orientation optimale, et bien sûr, celui du système de transmission au sol de l’énergie dans une centrale réceptrice pouvant convertir le rayonnement en électricité, et qui soit connectée au réseau de distribution générale de l’électricité.

Avec ces premières remarques, on voit bien, au-delà de l’intérêt, la difficulté du projet qui repose essentiellement dans l’assemblage en orbite d’énormes surfaces de collecte, leur structuration, la transmission du rayonnement collecté vers le sol en un seul faisceau, et dans la réception impeccable au sol, de ce faisceau.

Le faisceau envoyé vers la Terre doit être aussi stable que possible au départ pour assurer une liaison stable avec le sol, pour des raisons d’efficacité (transmission de toute l’énergie sur la cible et uniquement sur la cible), et de sécurité (dommage possible dans l’environnement traversé et entourant la cible).

Il faut donc s’assurer d’une stabilité aussi grande que possible du satellite équipé du dispositif de collecte du rayonnement, et l’on sait que la simple réception d’un rayonnement peut induire un déplacement dans l’espace (c’est comme cela que se meuvent les voiles solaires).

Le satellite devra donc être équipé d’un système de propulsion et de pilotage pour contrer en permanence les mouvements résultant de la force reçue par le rayonnement, et aussi pour que la surface de collecte suive le Soleil dans sa course, puisqu’elle va tourner comme la Terre sur elle-même et en orbite autour du Soleil, alors qu’elle devra avoir un maximum de surface orthogonale aux rayonnements pour les capter avec le maximum d’efficacité.

Mais cela n’exclut pas, bien sûr, que l’on conçoive une géométrie de la voile permettant de limiter l’ampleur de ces mouvements (on comparera l’économie réalisée dans l’énergie nécessaire au maintien de la voile immobile avec la perte en énergie potentiellement non-transmise vers la Terre du fait de la configuration de cette voile).

Le rayonnement reçu va être transmis au sol à partir de chaque sous-ensemble de la ferme solaire, par les ondes.

Il faut donc prévoir d’éviter autant que possible tout obstacle qui pourrait se présenter dans l’atmosphère, et en particulier les populations d’oiseaux qui pourraient interférer, ou des avions qui pourraient, par erreur ou nécessité de navigation, risquer de pénétrer dans le faisceau de transmission. Il faut aussi étudier l’impact ionisant des rayons sur les gaz atmosphériques (ce pourrait être une forme de pollution, surtout si les stations sont nombreuses), et bien sûr l’ajustement en temps réel de la direction de l’impact du faisceau vers la cible, compte tenu de la possibilité de déplacement de l’émetteur, et du caractère évidemment fixe du récepteur.

La longueur d’ondes de la transmission devra être finement déterminée pour ces raisons écologiques, et aussi parce que les ondes plus longues nécessiteraient des récepteurs de grandes tailles, tandis que les ondes plus courtes seraient plus faciles à focaliser mais passeraient moins facilement au travers de l’atmosphère.

Les organisateurs sont aujourd’hui ouverts à toutes les propositions, mais ils privilégient les ondes radioélectriques UHF (décamétriques). L’exemple donné est celui d’ondes de 2,45 GHz. Ces ondes transmises de façon la plus cohérente possible (donc probablement laser) sont reçues au sol par une surface équipée d’antennes redresseuses (rectenna) qui convertissent le rayonnement reçu en électricité.

Avant de produire pour la Terre, il serait judicieux de tester sur la Lune. L’expérience y serait facilitée par l’absence d’atmosphère, et par l’absence de risque en cas d’instabilité du faisceau.

Il ne faut pas croire que Thalès et l’ESA peuvent mener leur étude tranquillement.

Les aiguilles tournent ! Elles sont en concurrence avec des entités américaines (CalTech a lancé en janvier 2023 un démonstrateur pour la transmission, dans le cadre de son programme SSPD. Ce démonstrateur a fonctionné de manière satisfaisante avec la première expérience, « MAPLE »*). La Chine prévoit le sien en 2028. Le Royaume-Uni a également un projet en route. Peut-être ces différents pays parviendront-ils par des chemins différents à des résultats très proches. Ce qu’on peut espérer pour l’Europe, c’est que le coût obtenu ne soit pas trop élevé par rapport à celui de ses concurrents, ce qui lui permettrait un accès indépendant à l’énergie, contrairement à ce qui est le cas aujourd’hui pour le pétrole ou même l’uranium.

*MAPLE (Microwave Array for Power-transfer Low-orbit Experiment) expérience effectuée dans le cadre du SSPD (Space Solar Power Demonstator) était conçue pour vérifier les premiers stades de la technologie de transmission d’énergie sans fil. Il a atteint une puissance de 200 mW (milliwatt). C’est très peu mais « c’est déjà çà » !

Ceci dit il faut être optimiste.

Il n’y a pas de raison théorique pour laquelle la faisabilité serait impossible, et on ne voit pas pourquoi Thalès ne fournirait pas les solutions les plus performantes.

Une fois que le système fonctionnera, on voit bien l’intérêt pour la Terre, mais on le voit aussi pour l’installation de l’Homme sur la Lune et sur Mars.

En effet, les ressources énergétiques sur ces deux astres ne sont pas évidentes puisque ni l’une ni l’autre ne disposent d’hydrocarbures, ni d’eau liquide ni de vents suffisamment puissants pour être utilisés (sur Mars, la densité atmosphérique est trop faible) et la géothermie est incertaine (la croûte de Mars est plus épaisse que celle de la Terre, et le gradient de température à l’intérieur, plus raide).

De plus, l’accès à la ressource à partir du sol est très médiocre puisque la Lune connait de longues nuits de 14 jours et que Mars subit au sol de fréquentes tempêtes de poussière qui enlèvent toute sécurité à l’exploitation au sol de panneaux solaires.

NB : (1) L’irradiance à la distance Soleil-Mars est beaucoup plus faible qu’à la distance de la Terre (492 à 715 W/m2 contre 1360 W/m2 pour la Terre) mais elle reste quand même exploitable. (2) Une interrogation subsiste en cas de tempête solaire. Trouvera-t-on une longueur d’onde pouvant transporter suffisamment d’énergie au sol au travers de la poussière

Reste deux problèmes.

Le premier est celui de l’acheminement d’un nombre très élevé de panneaux solaires dans l’espace. On sera dans une configuration un peu semblable à celle que l’on connait pour les constellations internet autour de la Terre, en plus difficile (masse et volume). On peut noter au passage que la mise sur orbite de ces centrales ultra-écologiques risque d’être peu écologique (problème uniquement dans le cas de la Terre) à moins que l’on développe très vite des lanceurs ne brûlant que de l’hydrogène dans l’oxygène.

Le second problème est celui de l’assemblage. On a déjà fait des assemblages dans l’espace, mais ils ont été plutôt laborieux. Relier physiquement des milliers de panneaux solaires, et contrôler ensuite leur surface pour la faire évoluer en fonction du besoin fondamental d’orientation vers le Soleil, tout en maintenant pleinement opérationnel le dispositif de câbles portant les commandes et centralisant l’énergie reçue n’est pas évident.

Pour Mars, une difficulté supplémentaire viendra du besoin de produire les panneaux solaires sur place, car il serait surprenant que l’on puisse consacrer un nombre suffisant de vols depuis la Terre à ce seul transport.

Pour la Lune, ce ne sera pas la même chose, puisque les allers et retours seront rapides (avec possibilité de réutiliser les mêmes lanceurs), et pourront être aussi fréquents qu’on le voudra.

Dans le cas de Mars, si on choisit la production locale, l’exigence de pureté du silicium utilisable (99,9999 %), suppose un degré de développement de l’industrie locale qui n’est pas pour demain, à moins que l’on parvienne à utiliser un autre support que le silicium, et qu’il soit aussi efficace.

La société suisse Astrostrom Gmbh fait une ouverture en proposant (pour la Lune) d’y substituer la pyrite (cristaux de fer). Abondant sur la Lune, ce matériau pourrait être utilisé sur place pour produire les panneaux d’une centrale électrique orbitant ensuite un des points de Lagrange Terre – Lune  (GLPS pour Greater Earth Lunar Power Station).

De toute façon, on se trouve en présence d’une innovation qui pourrait changer bien des choses, sur Terre et dans l’espace.

En effet, les centrales solaires spatiales pourraient limiter, sinon éviter, l’implantation d’une industrie nucléaire en surface de Mars qui nécessiterait beaucoup d’efforts (recherche du minerai, purification, etc…). Les quantités d’énergie disponibles seraient aussi abondantes que le permettrait la production de panneaux solaires en surface de Mars, avec une ressource abondante déjà bien identifiée (silicium ou pyrite).

Et les hommes résidant sur Mars ne dépendraient plus de la Terre en cas de défaillance d’un réacteur nucléaire importé.

Par ailleurs, les craintes écologiques seraient évidemment réduites à zéro puisqu’on n’aurait pas à craindre les vols d’oiseaux en formation, ni à trouver la meilleure solution pour se débarrasser du combustible épuisé, ou du matériel irradié comme dans le cas des réacteurs nucléaires.

Ceci dit, pour continuer à faire fonctionner le système en cas de tempête de poussière, et si on ne trouve pas d’ondes pouvant traverser sans trop de pertes la poussière, il faudra pouvoir stocker l’énergie. Une piste serait de positionner des masses en hauteur, sur une surface portante, pendant les périodes de surplus de production, ces masses fournissant une force exploitable en étant positionnées pour redescendre au niveau du sol en périodes de besoin.

Certains diront que cela ne changerait pas grand-chose par rapport au problème d’ensoleillement que l’on aurait au sol. Je répondrais négativement, car avec les fermes solaires nous disposerions d’une abondance d’électricité en période normale, sans équivalence avec ce qu’on pourra jamais obtenir au sol. Il y aurait donc des marges de production permettant de constituer des stocks.

Enfin, la construction et l’entretien de ces fermes solaires justifieront sans doute, autour de Mars comme autour de la Terre, des bases habitées pouvant intervenir en cas de besoin, c’est-à-dire pour la construction et pour l’entretien.

Il faudra en effet contrôler les flottes de robots qui déploieront les panneaux, les relieront les uns aux autres, et piloter les structures qui permettront de les orienter. Il faudra aussi intervenir pour changer les panneaux défectueux (il y a des micrométéorites dans l’espace), ou simplement pour renouveler les consommables (il pourrait y en avoir besoin dans les diverses articulations du système).

Je rappelle que pour Gérard O’Neill, ce sont précisément ces activités qui justifiaient la création de ses fameux cylindres ou des hommes vivraient de façon permanente (les « îles de l’espace »). Astrostrom reprend l’idée pour son GLPS.

 

Sources :

https://www.esa.int/Enabling_Support/Space_Engineering_Technology/SOLARIS/SOLARIS2

https://esamultimedia.esa.int/docs/technology/Potential_Activities_for_the_Space-based_Solar_Power_Specific_Area_in_GSTP_Element_1_22Dec22.pdf

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0040609021005514

https://www.esa.int/Enabling_Support/Space_Engineering_Technology/SOLARIS/ESA_developing_Space-Based_Solar_Power_plant_plans

https://www.linkedin.com/company/esa-solaris/

https://astrostrom.ch/en/GEO-LPS_greater_earth_lunar_power_station.php

https://www.esa.int/Enabling_Support/Preparing_for_the_Future/Discovery_and_Preparation/Help_ESA_research_key_space-based_solar_power_challenges

https://www.caltech.edu/about/news/in-a-first-caltechs-space-solar-power-demonstrator-wirelessly-transmits-power-in-space

https://www.lefigaro.fr/societes/un-reseau-de-centrales-solaires-en-orbite-le-pari-fou-sur-lequel-planche-thales-20230721

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3 réponses

  1. Capter l’énergie solaire par satellite et l’envoyer sur Terre par rayonnement micro-ondes, on sait faire.

    J’avais cru comprendre que le problème de notre planète était de ne pas trop la réchauffer. Mais peut-être ai-je mal compris ? Apporter un surplus d’énergie au niveau du sol implique immédiatement de savoir évacuer l’énergie thermique dissipée par nos machines dans le cosmos. Et là, pour l’instant, on ne sait pas faire.

    Installer nos usines sur la Lune serait beaucoup plus profitable, puisque nous pourrions renvoyer l’énergie dissipée. Renvoi naturel par radiateur dans le cosmos, comme le fait la station internationale tous les jours. Le seul inconvénient sur la Lune est que nos usines fonctionneront suivant l’alternance jour/nuit de 14 jours terrestres. Mais est-ce un inconvénient ?

  2. C’est un joli projet pour les ingénieurs de l’ESA, mais probablement très coûteux. On pourrait commencer par un projet plus modeste pour alimenter une base lunaire. Mais même dans ce cas certains pensent qu’une pile atomique blindée est plus sûre que des panneaux détruits peu à peu par les météorites. Par ailleurs l’exploitation des métaux rares pour faire de l’électricité est-elle plus pertinente que celle des « fossiles » pour faire de la chaleur, question non tranchée ?

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