Sortir du système électrique européen : rêve ou réalité ?

Les Français n’en ont pas fini avec la hausse des prix de l’énergie. Les prix de l’électricité augmenteront ainsi encore au début de 2024, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE). La hausse pourrait atteindre 15 %, selon Emmanuelle Wargon, la présidente de cette Commission. Ce qui mérite quelques explications. Contrairement aux autres énergies, le modèle économique le plus efficace pour gérer la production et la distribution d’électricité est celui d’un monopole non concurrentiel contrôlé par les pouvoir publics et pratiquant un prix moyenné sur l’ensemble des sources (nucléaire, charbon, gaz, hydroélectricité, renouvelables).

Ce modèle du « monopole naturel » s’imposa après le dernier conflit mondial. Il fut malheureusement mis à bas au milieu des années 1980 par Margaret Thatcher. Pour contrer des mineurs récalcitrants et imposer le gaz à la place du charbon dans la génération électrique britannique, elle privatisa son monopole naturel. De service public, l’électricité se transforma en marchandise et l’usager en client.

D’autres pays européens embrayèrent, ce qui conduisit à la libéralisation du marché européen : les électrons pourraient dorénavant circuler en toute liberté entre pays voisins et seraient vendus par de multiples fournisseurs sur un marché concurrentiel étendu à l’ensemble des particuliers en 2007. Cette libéralisation devait conduire à sécuriser l’offre tout en proposant aux usagers des prix attractifs.

En multipliant les distributeurs sur un marché européen concurrentiel, le marché imposa de facto l’alignement des prix non plus sur les coûts moyens mais sur le coût de la dernière source appelée (aussi appelée marginale), en l’occurrence le gaz. S’il n’en était pas ainsi, cette dernière source ne serait jamais mise en œuvre, ce qui induirait des coupures récurrentes lors des demandes de pointe.

Le gaz fait la loi… grâce aux ENR

Par ailleurs, quand Mme Thatcher imagina ce marché européen de l’électricité, il n’était question ni de réchauffement climatique ni d’énergies renouvelables (ENR). Du fait de leurs intermittences, les ENR ne pouvaient remplacer ni les sources de base (charbon, nucléaire) ni les sources marginales (gaz). Sans attendre leur économicité, il fut pourtant décidé de les introduire dans le mix électrique en les aidant généreusement grâce à un système de « prix garantis avec obligation d’achat ». Pour éviter qu’elle soit perdue « quand elle arrive », l’électricité renouvelable fut ainsi injectée en priorité.

En se détournant des sources pilotables (nucléaire et charbon) vers les ENR, le socle est ainsi devenu de plus en plus dépendant des sources marginales gazières. Tant que le gaz se vendait à des prix acceptables, le système était supportable. Mi-2021, la flambée des prix du gaz a sifflé la fin de la récréation. Le gaz fait aujourd’hui loi sur le prix de l’électricité. Mais le cumul des erreurs ne s’arrête pas là !

Un échec cuisant… dont on ne peut sortir

Une fois le grand marché européen de l’électricité mis en place, chaque État membre fut prié d’adapter son modèle. En bon pays socialiste, défenseur irréductible du service public, la France refusa de partager avec les producteurs alternatifs son parc nucléaire représentant 75 % de la production française. Amorti depuis longtemps par des fonds publics, le nucléaire donnait un énorme avantage concurrentiel à EDF par rapport aux nouveaux entrants. Le compromis s’appelle « ARHEN », une règle hybride et stupide imposant à EDF de vendre à prix coûtant 25 % de sa production nucléaire aux distributeurs alternatifs.

Le grand marché européen de l‘électricité rêvé par Mme Thatcher est donc un échec cuisant imposant une doctrine libérale à un secteur inadapté et impréparé. Ni le consommateur, ni EDF, ni les fournisseurs alternatifs n’y ont trouvé leur compte.

Malheureusement, tel le Titanic fonçant droit sur son iceberg, l’inertie du système électrique européen ne peut être changé à moyen terme. Sauf à accepter de potentiels blackouts, la France a besoin de la Belgique, de l’Allemagne et de l’Italie, et vice versa. Personne ne connaît, aujourd’hui, la destination d’un électron produit par une centrale nucléaire française qui, un jour, se retrouve à Marseille, le lendemain à Varsovie et le surlendemain à Berlin. L’arrêter à la frontière n’est malheureusement plus possible. On peut fulminer sur la dame de fer et ses mineurs, rien n’y changera.

Sauf à accepter 10 % de blackout, la France ne peut aujourd’hui sortir du système électrique européen.

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Une réponse

  1. Tout à fait d’accord avec l’essentiel de ce texte. Sauf avec le « Amorti depuis longtemps par des fonds publics, le nucléaire ». En 2000, le parc nucléaire français était en effet largement amorti, ou presque, pas depuis longtemps. Mais surtout les « fonds publics » n’ont joué aucun rôle dans cette histoire. Le parc nucléaire – contrairement à ce que rabâchent les anti-nucléaires – a été financé par des emprunts privés, notamment aux Etats-Unis. Et il a été assez rentable pour que, même avec nos prix bas, ces emprunts puissent être remboursés, intérêts est capital, sans difficultés. On peut sans doute dire qu’EDF a profité gratuitement de l’expertise et du savoir-faire nucléaire accumulés par le Commissariat à l’Energie Atomique sur fonds publics, ou de la garantie de fait accordée par le gouvernement aux emprunts d’EDF. On voudrait voir davantage de « subventions » de ce type, qui ne coûtent pas un sou aux finances publiques. En fait, durant toute la période, c’est EDF qui a payé des dividendes (plusieurs milliards par an) à son actionnaire l’Etat.

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