(Par Christian De Lavernée dans IREF du
Judith Curry est une climatologue américaine de premier plan, spécialiste des ouragans et des interactions entre l’atmosphère et les océans. Présente dans les groupes de travail du GIEC dès sa création, elle prend ses distances en 2009 à la suite du Climategate [1]et crée son blog Climate Etc pour accueillir un débat ouvert. En 2017 elle quitte l’université pour le secteur privé où elle prend la présidence du Climate Forecast Applications Network. Ellle vient de publier l’ouvrage Climate uncertainties and risk : rethinking our response (Anthem-juin 2023)
Loin de nier le réchauffement, elle met en évidence les incertitudes de la science et l’approche trop étroite de l’analyse des risques climatiques, qui sous-tend l’objectif unique d’élimination des combustibles fossiles et les décisions afférentes dont l’urgence et l’efficacité ne sont pas avérées.
Son livre propose un recadrage de la politique climatique pour mieux l’accorder à la complexité du sujet, et un recours aux méthodologies de la gestion des risques et de la décision en univers incertain.
Un pilotage biaisé
La convention-cadre de l’ONU sur le changement climatique, adoptée en 1992 au Sommet de la Terre de Rio, a défini le changement climatique comme le réchauffement imputable aux activités humaines, en écartant la variabilité naturelle. Or c’est là le champ des principaux désaccords scientifiques, notamment entre les simulations des modèles climatiques mondiaux et des reconstructions paléoclimatiques.
Avant sa signature, l’ONU a créé le GIEC pour faire émerger un consensus. J. Curry analyse les conséquences funestes de ce choix : un rejet de la critique qui n’est pas favorable au progrès de la science, un excès de confiance dans une solution unique, un biais de confirmation qui affecte tous les réseaux de la recherche. Le GIEC s’est investi dans le plaidoyer, voire l’injonction, en ne laissant plus aucune place à la fonction politique pour arbitrer entre ses recommandations et d’autres objectifs concurrents.
Des risques mal évalués, une urgence fantasmée
Notre auteur rappelle qu’il n’y a pas de définition objective des seuils de danger du réchauffement. L’objectif 2° est né en 2010 d’une négociation politique entre les parties à la convention-cadre, de même que l’objectif 1,5° un peu plus tard. On n’a jamais évalué les bienfaits du réchauffement pour bien des régions.
Le GIEC signale en fait deux dangers : les points de rupture, considérés comme très improbables par la littérature, et les évènements extrêmes, dont on n’a pas trouvé à ce jour que la gravité augmente avec le réchauffement. Pour le reste, on est confronté à des risques très progressifs de type montée du niveau de la mer ou pénurie d’eau.
Le GIEC commet une faute de caractérisation des risques en entretenant la confusion entre risques progressifs lents et calamités soudaines Les efforts de réduction des émissions consentis pour freiner les risques lents affaiblissent nos capacités de réponse aux situations d’urgence, dont l’histoire prouve qu’elles peuvent survenir indépendamment de la concentration des gaz à effet de serre.
Les faiblesses des modèles
J. Curry rappelle qu’aucun progrès n’a été réalisé dans l’estimation de la sensibilité de la température au carbone depuis 1970. Bien plus les familles de modèles du climat global sont plus divergentes que jamais : le GIEC a dû écarter des modèles qui « chauffaient trop » de son dernier rapport d’évaluation.
La prévision la plus récente du GIEC annonce que le réchauffement atteindra 1,5°C dès 2030 et 2°C en 2050. J. Curry introduit des scénarios de variabilité naturelle causée par les cycles de l’océan, du soleil et des volcans. Ils causeraient un refroidissement pouvant modifier l’ordre de grandeur du réchauffement par effet de serre. Elle conclut à la probabilité de 1,5° en 2050 seulement.
Elle souligne l’inertie du système climatique, qui ne permet pas de garantir un impact rapide de la politique de décarbonation. L’interruption immédiate des émissions donnerait selon le GIEC un résultat médian de – 0,3° après 50 ans, mais avec une grande dispersion selon les modèles, allant d’un refroidissement à ce terme jusqu’à une poursuite de réchauffement pendant des dizaines voire des centaines d’années.
La gestion du risque
Selon J. Curry Il faut découpler clairement les risques émergents associés au changement climatique à long terme, et les risques immédiats associée aux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes.
Les seconds relèvent d’évaluations locales, exploitant l’historique des calamités naturelles plutôt que les modèles qui supportent mal la réduction d’échelle. Selon les données du GIEC, un réchauffement de 2°C n’affecterait pas sensiblement les records enregistrés de vent, de submersion marine ou de pluie torrentielle en cas d’ouragan en Floride.
Notre auteur critique résolument le principe de précaution, qui interdit de modérer la politique de réduction des émissions dans des délais courts, au profit du principe classique de prudence.
Elle propose d’adopter le cadre de la prise de décisions en avenir incertain, qui inverserait le processus actuel : face à l’incertitude, ce n’est pas la prédiction qui peut dicter l’action, mais la revue des avenirs possibles qui permet le débat puis le compromis entre les intérêts divergents. Elle recommande en outre la prise de décision adaptative dynamique, qui privilégie les actions « sans regret » et celles qui sont urgentes, repoussant les autres à plus tard.
Quelle inflexion de la politique du climat ?
J. Curry plaide résolument pour l’adaptation comme réponse aux évènements extrêmes, sans attendre les bénéfices incertains et lointains de l’atténuation. Elle compare à titre d’exemple les inondations au Bangladesh et en Birmanie, dont les impacts sont sans commune mesure en raison des investissements d’adaptation réalisés dans le premier pays, au contraire du second.
Elle introduit ensuite la question du développement des pays pauvres, car la politique de réduction des émissions les prive des moyens de s’adapter. L’Afrique subsaharienne dispose d’une puissance de génération d’électricité égale à celle de la Grande-Bretagne pour une population d’un milliard d’habitants. La tripler avec du gaz naturel aurait comme conséquence une augmentation négligeable de 0,6% des émissions mondiales annuelles, mais les financements internationaux l’interdisent.
Elle accorde la priorité à la réduction des émissions de GES (gaz à effet de serre) à courte durée de vie : leur atténuation peut faire gagner 0,5° dès 2050.
Enfin, elle appelle à gérer la transition énergétique en comparant son impact sur le climat avec les dégâts collatéraux qu’elle peut provoquer. Une rupture d’électricité provoque l’effondrement d’une société développée. Le net zéro en 2050, susceptible de rendre très vulnérable notre approvisionnement en énergie, excède notre tolérance au risque.
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Le livre de Judith Curry mérite une traduction française dès que possible. Il fournit tous les arguments en faveur d’une politique du climat « post apocalyptique », celle du pragmatisme climatique plaidé par le Hartwell paper[2]. Elle en résume la philosophie dans ces termes :
La politique de l’incertitude repose sur l’humilité (et non l’orgueil) de ce qui est connu, l’espoir (et non la peur) de ce qui est possible et la possibilité d’une plus grande diversité de valeurs.
On ne peut que souhaiter que ces idées nourrissent le débat sur le climat en France, ce qui suppose que les partis politiques et les media s’affranchissent des tabous, retrouvent leur fonction d’examen critique et de débat ouvert, et regagnent ainsi la confiance et l’engagement des citoyens.
[1] Controverse sur la fameuse courbe en crosse de hockey de Mann et al. décrivant l’accélération du réchauffement climatique, dont les auteurs ont refusé à l’époque de publier leurs données pour esquiver le débat.
[2] Document publié en 2010 après l’échec de la conférence de Kyoto par 14 scientifiques d’Amérique, d’Europe et d’Asie pour demander la réorientation de la politique du climat, combinant l’adaptation et l’atténuation, et centrée sur le principe de dignité humaine.
Une réponse
Judith Curry a bien tort de considérer que les évènements climatiques extrêmes augmentent en nombre et en intensité! Les observations démontrent le contraire! Ce qui augmente à coup sûr c’est l’occupation des sols nouveaux et les montants d’investissements qu’ils supportent! De nombreux évènements n’avaient autrefois aucun impact et maintenant, les occupations de zones vulnérables augmentant, les impacts apparaissent sans qu’augmente le nombre de victimes qui au contraire diminue. La Démographie et les choix locaux de l’urbanisme sont les responsables de ses situations. La question est donc: Comment gérer intelligemment la planète? Pour le reste, rejoint-elle vraiment les réaliste?