(Par François Henimann dans Contrepoints du 13/2/24)
Cette analyse démontre que la stratégie proposée pour décarboner l’économie risque de déstabiliser des pans entiers de notre industrie.Cette analyse démontre que la stratégie proposée pour décarboner l’économie risque de déstabiliser des pans entiers de notre industrie.
La nécessité de décarboner à terme notre économie, qui dépend encore à 58 % des énergies fossiles pour sa consommation d’énergie, est incontestable, pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique, et pour des raisons géopolitiques et de souveraineté liées à notre dépendance aux importations de pétrole et de gaz, la consommation de charbon étant devenue marginale en France. (NDLR : nous contestons, bien entendu, cette nécessité, mais cela ne remet pas en cause la pertinence de l’article)
Cependant, la voie à emprunter doit être pragmatique et ne doit pas mettre en danger la politique de réindustrialisation de la France, qui suppose une croissance durable avec un accès à un approvisionnement énergétique abondant, à un prix accessible, et résilient aux aléas de toutes natures (sécurité d’approvisionnement).
Cette politique ne doit donc pas être guidée par une « urgence climatique » qui conduirait à se fixer des objectifs excessifs et irréalistes en terme de rythme de réduction de la consommation d’énergie, de décarbonation (le tout véhicules électriques avec interdiction des véhicules thermiques dès 2035, la suppression des chaudières à gaz…), et de développement à marche forcée des ENR, au risque de surcoûts non supportables par notre économie et le corps social, et de passage d’une dépendance aux importations de combustibles fossiles à une dépendance à l’achat de matériaux et d’équipements (batteries, panneaux solaires, éoliennes, électrolyseurs…) provenant d’Asie, et de Chine en particulier. Cela sans bénéfice climatique significatif pour la planète, car les produits fabriqués en Asie le sont avec une énergie largement dominée par le charbon …
Cette note démontre que la stratégie proposée (SFEC) n’échappe pas à ce risque, en se situant dans la perspective du « fit for 55 » européen, approuvé sous présidence française de l’UE, et qui s’apparente à une dangereuse fuite en avant, risquant de déstabiliser des pans entiers de l’industrie européenne.
La décarbonation des énergies, à l’échelle de la France, qui permet de remplacer des énergies fossiles importées par des énergies décarbonées produites en France, a un effet vertueux sur l’emploi, le PIB et la balance commerciale du pays (aux équipements importés près, comme les panneaux photovoltaïques) : c’est le cas du parc nucléaire et du parc hydraulique construits au siècle dernier, ainsi que pour les ENR électriques et les ENR thermiques développées depuis une quinzaine d’années.
C’est pour cela que fermer une centrale nucléaire comme Fessenheim a constitué une faute lourde, au détriment de la diminution des émissions de CO2, et de la santé de l’économie française (11 TWh de perte annuelle de production, soit 660 millions d’euros à 60 euros/MWh).
À l’exception de l’éradication du charbon, la décarbonation de la production d’électricité n’est pas un sujet en France, les parcs de production nucléaire et renouvelable (hydraulique, éolien, solaire et biomasse) représentant plus de 93 % de la production.
En termes de méthode, la préparation de cette stratégie s’est certes appuyée sur un travail de concertation avec des groupes de travail transpartisans et de participation citoyenne, mais il est regrettable que le rapport de la Commission d’enquête parlementaire du printemps 2023 sur la perte de souveraineté énergétique de la France n’ait pas été pris en compte, ce qui constitue un déficit de démocratie parlementaire incompréhensible.
Un objectif de réduction de la consommation d’énergie incompatible avec une réindustrialisation de la France
La stratégie proposée retient pour objectif une réduction de la consommation d’énergie finale à 1209 TWh en 2030 et à 900 TWh en 2050, alors que cette consommation était en 2021 de 1611 TWh (en lente diminution depuis le niveau de 2012 de 1661 TWh) :
Les efforts d’amélioration de l’efficacité énergétique conduits depuis près de 30 ans dans tous les secteurs de l’économie (bâtiments, transports, industrie), en intégrant la diminution de 3,1 % de la consommation en 2022 (augmentation des prix, plan de sobriété), ont permis de découpler croissance économique et consommation d’énergie, avec une diminution moyenne annuelle de 1,5 % par an de l’intensité énergétique, la consommation finale d’énergie par unité de PIB diminuant à 66 pour une base 100 en 1994 :
La légère diminution de la consommation d’énergie de 0,3 % par an observée de 2012 à 2019 (en deçà de l’objectif des PPE précédentes) est cohérente avec le taux annuel de croissance moyen du PIB de 1,2% en euros constants, et le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique de 1,5 % par an.
L’objectif fixé pour 2030 (1209 TWh), en forte diminution par rapport à celui de la PPE précédente (1378 TWh), correspond à une diminution annuelle de la consommation d’énergie de 3,7 % par an : c’est une inflexion brutale correspondant à une croissance zéro du PIB, assortie d’une amélioration hypothétique de l’efficacité énergétique de 3,7 % par an, soit un rythme 2,5 fois supérieur au rythme historique.
Une croissance du PIB de 1,5 % par an, nécessaire dans le cadre d’une réindustrialisation de la France (remonter la part de la production industrielle dans le PIB de 10 % à 20 % en 2050), supposerait, pour atteindre l’objectif, une amélioration de l’efficacité énergétique de 5,3 % par an, qui apparaît totalement hors de portée, même en imposant des mesures de sobriété de façon autoritaire et « punitive » (interdictions d’usage et restrictions fortes des libertés individuelles, …).
L’objectif de 900 TWh fixé pour 2050, horizon théorique du « Net Zéro Carbone », correspond à une diminution moyenne de la consommation finale d’énergie de 2,1 % par an : si cet objectif est envisageable, c’est au prix d’une croissance nulle, incompatible avec une politique de réindustrialisation de la France, qui suppose une augmentation nette de la consommation énergétique du secteur. Une croissance du PIB de 1,5 % par an supposerait une amélioration de l’efficacité énergétique de 3,6 % par an, qui n’apparaît pas soutenable.
En effet, les efforts de sobriété auxquels ont consenti les Français en 2022, peuvent sans doute être consolidés dans la durée, mais ne sont pas cumulatifs. Ils constituent en quelque sorte un « fusil à un coup » : une fois que l’on a abaissé la température de chauffage à 18 ou 19 °C, on ne va pas la diminuer à 17 °C, puis de 1° C supplémentaire par an les années suivantes.
En conclusion, les « objectifs » de réduction de la consommation d’énergie de la SFEC conduisent au mieux à une croissance zéro, et plus probablement à une décroissance de l’économie, comme le démontre la modélisation du graphique suivant :
Pour une croissance du PIB de 1,5 % par an, la quantité d’énergie nécessaire, avec un pilotage des actions d’amélioration de l’efficacité énergétique et le maintien des efforts de sobriété et de lutte contre le gaspillage, peut être estimée dans une fourchette de 1200 à 1350 TWh, sous réserve d’une amélioration de l’efficacité énergétique de 2,1 à 2,5 % par an, soit + 50 % par rapport au rythme historique, ce qui représente un effort considérable.
Fonder la stratégie énergétique de la France sur un tel oukase malthusien de réduction drastique de la consommation d’énergie est inconséquent, car de plus, cela fausse la vision de la production d’électricité bas carbone qui sera nécessaire pour décarboner l’économie : à horizon 2050, en retenant un taux d’électrification de l’ordre de 60 à 65 % dans la consommation finale d’énergie (production H2 incluse), la consommation d’électricité est de l’ordre de 560 TWh avec une hypothèse de consommation totale d’énergie de 900 TWh, et de l’ordre de 800 TWh avec la fourchette indiquée ci-dessus.
La trajectoire de la consommation d’énergie en France ne peut être fondée sur un objectif idéologique et irréaliste fixé a priori, mais être la résultante de la croissance du PIB, et d’une action déterminée dans la durée sur le levier de la diminution de l’intensité énergétique, pilotée avec des objectifs ambitieux mais réalistes par secteur.
En effet, l’évolution de l’intensité énergétique est différenciée par secteur :
On constate par exemple que les progrès en efficacité énergétique sont plus rapides dans les secteurs de l’industrie, du logement et, dans une moindre mesure, des véhicules légers, alors que les progrès dans les bâtiments tertiaires et les poids lourds sont plus lents.
Enfin, il convient de signaler une erreur de méthode contenue dans l’extrait suivant :
Si cette assertion est exacte pour le passage d’un véhicule thermique à un véhicule électrique (consommation de 20 kWh d’électricité stockés dans la batterie pour parcourir 100 km avec un véhicule léger, contre 60 kWh de carburant) – pour autant que l’électricité ne soit pas produite par une centrale à carburant, quand la recharge a lieu pendant les heures de pointe -, elle est manifestement fausse pour le passage d’un chauffage à combustion à une pompe à chaleur :
À isolation de l’enveloppe du bâtiment et usage identiques, on consomme la même quantité d’énergie finale : avec une pompe à chaleur on substitue en gros 3 kWh de combustion, par 1 kWh d’électricité (consommation de la pompe) et 2 kWh de chaleur renouvelable (ENR Thermique) extraite de l’environnement (air ou eau).
Les deux leviers de l’efficacité énergétique dans les bâtiments sont les suivants :
Un comportement des occupants économe en énergie
Notamment dans les bâtiments tertiaires où la consommation en dehors des heures d’utilisation (chauffage, éclairage) est excessive : la réduction drastique de ce gaspillage, qui demande peu d’investissements, devrait permettre en quelques années d’économiser plus de 50 TWh, sur une consommation annuelle totale de 260 TWh.
Isolation thermique et équipements économes en énergie (éclairage LED, électroménager,..)
Pour les bâtiments neufs, la Réglementation Environnementale RE 2020 (350 000 logements par an) garantit un niveau satisfaisant. Pour les bâtiments existants, la stratégie proposée priorise à juste titre la rénovation d’ampleur des « passoires énergétiques » (logements catégories F et G), mais ne doit pas conduire pour autant à vouloir les amener tous dans les catégories A, B ou C, ce qui conduirait à des dépenses prohibitives (coût de la tonne de CO2 évitée de 400 à 500 euros). À ce titre, la réforme de l’aide principale (MaPrimeRenov) pour 2024 apparaît bien adaptée : gain de deux catégories au minimum, un objectif réaliste pouvant consister à obtenir un bâti a minima de catégorie D. Cependant, il ne faudrait pas décourager les gestes successifs dans un parcours pluri-annuel visant cet objectif, pour ne pas exclure du marché les artisans.
Pour autant, l’objectif fixé pour 2030 par le décret éco énergie tertiaire de 2019 (réduction de la consommation totale de 40 %) et l’objectif annuel de rénovation globale de 200 000 logements dès 2024 (pour 100 000 actuellement), et jusqu’à 900 000 en 2030 apparaissent peu réalistes, alors que le nombre de logements de catégories F ou G est évalué à environ 5 millions : dans ces conditions, les échéances fixées à 2025 (G) et 2028 (F) d’interdiction de location de ces logements apparaissent difficilement soutenables.
Efficacité énergétique dans les transports : vers l’abandon du plan Fret Français Ferroviaire du Futur élaboré en 2020 ?
S’agissant du secteur des transports, la stratégie proposée ne retient comme vecteur d’efficacité énergétique que le véhicule électrique à batterie, qui est loin d’être une solution universelle, et est adaptée essentiellement pour les déplacements quotidiens des véhicules légers (moins de 150 km par jour, 75 % des km parcourus), mais pas pour les usages intensifs et les parcours longues distances, ni pour les transports lourds.
Le principal levier d’efficacité énergétique dans les transports est le remplacement du transport par camions par une combinaison intermodale camions / ferroviaire / fluvial : le transport d’une tonne de marchandise par le train consomme six fois moins d’énergie et émet neuf fois moins de CO2 que par la route.
Sur 490 TWh de carburants brûlés dans les transports routiers (dont 450 TWh issus du pétrole), 200 TWh sont consommés dans le transport de marchandises. La situation s’est largement dégradée depuis l’an 2000, la part modale du ferroviaire étant revenue de 18 % à 9 %, alors que la moyenne européenne est à 18 %, avec un objectif de 30 % pour 2030, déjà atteint par la Suisse et l’Autriche.
Le plan 4F ambitionne de doubler la part modale du ferroviaire d’ici 2030, ce qui permettrait d’économiser 22 TWh de carburants, et 60 TWh à l’horizon 2050, en portant la part modale à 33 %, soit un potentiel de 13 % d’économie sur le total de la consommation de pétrole dans les transports.
La SNCF a un rôle à jouer, mais parmi d’autres acteurs en concurrence, d’autant que la Commission européenne lui impose de réduire la voilure dans le fret.
Bien que faisant régulièrement l’objet d’annonces de soutien gouvernemental (en dernier lieu en mai 2023 avec 4 milliards d’euros d’investissement, ce plan prioritaire pour l’efficacité énergétique dans les transports ne figure pas dans la Stratégie énergie climat proposée, ce qui est incompréhensible.
En ce qui concerne le transport de voyageurs, hors décarbonation par les véhicules électriques, l’amélioration de l’efficience des véhicules thermiques (rajeunissement du parc), ainsi que le report modal vers les transports en commun (trains, tramways et RER métropolitains), le vélo et le covoiturage devraient permettre une économie de l’ordre de 30 TWh de carburants à l’horizon 2050.
Accélération des ENR et renforcement associé des réseaux : des objectifs irréalistes et coûteux
Le développement des ENR électriques intermittentes est utile et nécessaire pour parvenir à augmenter de plus de 60 % la production d’électricité à l’horizon de la décarbonation de l’économie française, dans la mesure où il est considéré comme un complément de production d’électricité décarbonée d’une base pilotable largement prépondérante (nucléaire et hydraulique), et non comme le moyen principal, comme cela est programmé dans l’Energiewende allemande, et, jusqu’à présent, par la Commission européenne.
La SFEC ne s’inscrit pas dans une telle perspective, en s’appuyant essentiellement sur un développement accéléré des ENR électriques, et en second lieu sur une relance limitée du nucléaire, qui en l’état ne permettra pas à l’horizon 2050 le maintien de la capacité de production nucléaire (voir chapitre suivant).
Enfin, une part de production intermittente prépondérante, avec une puissance installée largement supérieure à celle des centrales utilisant des machines tournantes pour produire de l’électricité (nucléaire, hydraulique, gaz ou biomasse), entraîne un risque élevé d’instabilité des réseaux, car il n’y a plus assez d’inertie dans le système électrique pour donner le temps suffisant pour réajuster la production en cas d’aléa. Ce risque de blackout total ou partiel est de plus aggravé dans le cadre du réseau européen interconnecté, avec notamment un pays comme l’Allemagne qui compte s’appuyer pour l’essentiel sur l’éolien et le solaire pour sa production d’électricité.
L’éolien maritime
Même en tenant compte de l’augmentation de la puissance unitaire des éoliennes, il est irréaliste de vouloir atteindre 45 GW en 2050, alors que la PPE en vigueur indique, sur la base d’une étude de l’ADEME, que le potentiel de l’éolien posé est de 16 GW, en raison de l’étroitesse du plateau continental le long du littoral Atlantique et de la Manche (il n’y a pas de potentiel en Méditerranée).
De même, l’objectif de 18 GW en 2035, alors qu’au maximum 3,6 GW seront mis en service en 2030, semble largement surévalué (un appel d’offres de 10 GW est prévu en 2025).
L’éolien flottant
La France y est en pointe, mais la technologie est encore au stade expérimental. Elle n’a pas à ce stade prouvé son intérêt économique (le prix est le double de celui de l’éolien posé), d’autant que le coût du raccordement électrique est aussi plus élevé (au-delà de 25 euros/MWh).
Il paraît prudent de faire une évaluation sur la base d’un retour d’expérience des trois fermes pilote de 30 MW en cours de réalisation en Méditerranée, avant de lancer définitivement les trois projets de 250 MW en cours d’instruction (en Bretagne Sud et en Méditerranée).
Écrire dans le document que 18 GW d’éolien offshore est l’équivalent de la production de 13 réacteurs nucléaires relève de la désinformation pure et simple du citoyen, pour trois raisons :
- 18 GW d’éolien flottant peuvent produire 60 TWh par an d’électricité (selon le document 70 TWh avec un taux de charge de 44 %), alors que 18 GW de nucléaire (correspondant à 11 réacteurs EPR2 en puissance installée) ont une capacité de production annuelle de 120 TWh
- La production éolienne ne peut se substituer à la production nucléaire, car elle est intermittente et n’offre aucune puissance garantie lors des pointes de consommation par grand froid hivernal.
- En termes de coût, les six premiers parcs (3 GW) ont un coût du MWh supérieur à 160 euros/MWh (raccordement compris qui s’impute sur le TURPE), et l’éolien flottant sera au même niveau : le coût moyen de l’éolien maritime est donc deux fois plus élevé que le coût du MWh du nouveau nucléaire. Le coût supplémentaire de la production de 14 GW d’éolien maritime pendant 20 ans (47 TWh par an) peut être estimé à 75 milliards d’euros, ce qui permettrait de construire 11 EPR2, qui vont produire 120 TWh par an pendant 60 ans.
De plus, il ne faut pas sous-estimer l’agressivité du milieu marin (salinité, tempêtes), avec un risque élevé sur la maintenance, et surtout sur la capacité au terme de 20 ans de pérenniser les installations, comme cela est envisagé pour l’éolien terrestre, avec le repowering.
En conclusion, l’éolien maritime n’est pas un moyen durable et écologique de production d’électricité en France, et sa part devrait rester marginale à l’horizon 2050 (10 à 15 GW), sauf à couvrir l’horizon de nos côtes de mâts d’éoliennes hauts de plusieurs centaines de mètres, pour un bilan économique calamiteux…
L’éolien terrestre
Conserver le rythme actuel de développement pour aboutir à 40 GW en 2035 revient à revenir sur la perspective tracée par Emmanuel Macron lors de son discours de candidat à Belfort, où il s’engageait à diminuer le rythme pour la bonne insertion des champs sur les territoires, en repoussant ce point d’arrivée à 2050.
Il faut en particulier tenir compte du fait que 1 GW par an (soit une centaine de parcs) arrive désormais en fin de contrat d’achat (15 ans), et que chaque parc concerné doit faire l’objet, soit d’un démantèlement s’il est placé trop près des habitations ou d’un site remarquable, soit d’un repowering : la décision devrait être prise par les élus locaux qui, dans la loi « d’accélération des renouvelables » du printemps dernier, ont l’initiative pour déterminer, en concertation avec la population, les zones d’implantation possibles des productions ENR.
En ce qui concerne le repowering, vouloir démanteler et remplacer les infrastructures existantes (mâts, massifs de béton, raccordement au réseau de distribution d’électricité) par de nouvelles éoliennes plus hautes et plus puissantes n’est pas très écologique, ni même économique : une politique de développement durable consisterait plutôt à conserver l’infrastructure et remplacer les équipements arrivés en fin de vie (générateur, pales), avec un investissement marginal qui autoriserait un coût du MWh très compétitif, ne demandant aucune subvention.
Cette politique permettrait aux opérateurs rénovant des parcs éoliens de proposer des contrats d’achat d’électricité éolienne à long terme pour, par exemple, produire de l’hydrogène bas carbone, en synergie avec l’électricité du réseau quand il n’y a pas ou peu de vent (majoritairement nucléaire en dehors des heures de pointe). Une production locale adossée à un parc éolien est également possible : un électrolyseur de 6 MW alimenté en priorité par un parc éolien de 12 MW, et en complément par le réseau (en dehors des heures de pointe) permet de produire 850 tonnes d’hydrogène par an, 50 % en autoconsommant 93 % de l’électricité éolienne, et 50 % avec l’électricité du réseau.
Solaire photovoltaïque
Les objectifs de 54 à 60 GW dès 2030, et de 75 à 100 GW dès 2035 apparaissent peu réalistes, alors que 16 GW sont installés, et que le rythme de 3 GW par an (grands parcs au sol et toitures) n’a encore jamais été atteint : 35 GW en 2030 et 50 GW en 2035 apparaîtraient déjà comme des objectifs très ambitieux.
Pour atteindre ces objectifs, la loi d’accélération des énergies renouvelables fixe en priorité l’utilisation de terrains déjà artificialisés et de toitures, mais ouvre la porte au défrichement de zones boisées (jusqu’à 25 Ha) et au développement de l’utilisation de terres agricoles (agrivoltaïsme), qui risquent de détourner les agriculteurs de leur vocation première, la production agricole servant en priorité l’alimentation humaine et animale.
Enfin, une telle accélération repose quasiment intégralement sur l’importation de panneaux solaires, principalement de Chine, qui ont de plus un bilan CO2 dégradé (45 g CO2 eq/kWh produit) en raison de leur process de fabrication utilisant largement de l’électricité produite à base de charbon : le critère qualitatif des appels d’offres lancés par la CRE (Évaluation Carbone Simplifié) ne permet pas de dissuader l’utilisation de panneaux à bas coût très chargés en carbone, le seuil de référence de la note zéro ayant même été relevé (de 700 kg CO2 à 1150 kg CO2 par KWhc de puissance) depuis 2018 !
Et le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » que l’Union européenne met difficilement en place, et qui ne sera effectif sur un plan financier qu’à partir de 2026, ne concerne pas la production des panneaux solaires, ni d’ailleurs celle des batteries…
Développement des réseaux
La stratégie de développement à marche forcée des ENR conduit ENEDIS à porter ses investissements au-delà de 5 milliards d’euros par an, et RTE à prévoir 100 milliards d’euros d’ici 2042, soit là aussi 5 milliards par an, contre moins de 2 milliards jusqu’à présent : ces sommes sont considérables (plus de 35 milliards d’euros pour le raccordement de l’éolien maritime par exemple), et auront un impact sur le TURPE, que l’on peut évaluer à un besoin d’EBITDA supplémentaire de 4 à 5 milliards par an, soit environ 12 euros/MWh sur la facture des clients.
Le TURPE (Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité) est déjà passé de 55 euros/MWh en 2022 à 61,5 euros/MWh en septembre 2023 pour les particuliers et les TPE, en raison de l’augmentation des investissements sur les réseaux de distribution et de transport d’électricité, mais aussi de l’augmentation du coût d’achat des pertes, celui-ci étant affecté par une diminution du volume de l’ARENH disponible, qui oblige ENEDIS et RTE à acheter environ 16 % d’un volume de 36 TWh sur le marché, contre seulement 4 % auparavant.
ENR thermiques
En dehors de la chaleur fatale récupérée et de la chaleur extraite de l’environnement (pompes à chaleur et géothermie), la source principale d’énergie renouvelable thermique est issue de la biomasse et de la valorisation de déchets, sous différentes formes : biocarburants liquides, biogaz et bois-énergie.
La SFEC insiste à juste titre sur le fait que les ressources de biomasse disponibles pour la production énergétique sont limitées et en concurrence avec les usages alimentaires (production agricole) et en matériaux biosourcés : il est donc nécessaire de mener une réflexion pour prioriser les formes d’énergie à développer et les usages, en améliorant leur efficacité (foyers fermés pour le chauffage bois par exemple).
Le développement de la production de biométhane par méthanisation est utile pour la décarbonation partielle du gaz distribué en réseau et la décarbonation des transports routiers lourds et maritimes (bio-GNV). Cependant, atteindre 50 TWh dès 2030 (11 TWh actuellement) est un objectif très ambitieux, alors que le potentiel de méthanisation mobilisable est de l’ordre de 100 TWh, à condition de développer les cultures intermédiaires (CIVE) et d’intégrer 15 % de cultures dédiées (maïs ensilage).
Comme le souligne le document, le coût du biométhane (80 à 110 euros/MWh) reste deux à trois fois supérieur au prix du gaz naturel importé (30 à 60 euros/MWh). Un volume de 50 TWh avec un niveau de subvention de 50 euros/MWh représente une charge annuelle de 2,5 milliards d’euros, à mettre en regard des émissions de CO2 évitées, et des bénéfices pour la balance commerciale, la valeur ajoutée domestique (emplois) et la diminution de l’utilisation d’engrais de synthèse grâce au digestat résidu de la méthanisation.
En ce qui concerne les biocarburants liquides, la SFEC prévoit à juste titre de passer à terme d’une utilisation en mélange dans les carburants routiers à une utilisation pour décarboner le transport aérien, ainsi que les secteurs de l’agriculture, du bâtiment-TP et de la pêche : à titre d’exemple, le volume de gazole non routier utilisé par les agriculteurs et les pêcheurs est de 35 TWh, qui pourraient être utilement remplacés par du biogazole B100 pour leur permettre de décarboner leur activité en conservant leur outil de travail (la production nationale de biocarburants attendue en 2030 est de 50 TWh, très majoritairement du biogazole).
Nucléaire : une relance insuffisante à l’horizon 2050
Pour disposer de 850 TWh de productible en 2050 (pertes comprises), volume nécessaire de production pour décarboner l’économie, et d’une capacité pilotable suffisante pour gérer les pointes de consommation hivernale lors des grands froids (qui pourront atteindre jusqu’à 110 GW avec l’électrification du chauffage des bâtiments, en tenant compte d’un effacement des électrolyseurs, de la production d’eau chaude et de la recharge des véhicules électriques), il y a besoin de 75 à 80 GW de puissance nucléaire installée, et les SMR n’en constitueront qu’une part très minoritaire (4 GW dans le scénario N03, le plus nucléarisé de RTE dans son étude « futurs énergétiques 2050 » publiée fin 2021).
Sur la base d’une prolongation de la durée de vie à 60 ans de l’ensemble des réacteurs encore en fonctionnement du parc historique (après fermeture anticipée de Fessenheim en 2020), et de la mise en service de l’EPR de Flamanville, un « effet falaise » se produira dès 2040, et la capacité nucléaire résiduelle sera au maximum de 16 GW en 2050, et de 1,6 GW en 2060 (EPR Flamanville) :
S’il est possible d’envisager une prolongation au-delà de 60 ans de la durée de vie pour certains réacteurs dans des conditions de sûreté acceptables (cela dépend de l’état de la cuve du réacteur, seul élément non remplaçable), il se peut aussi que certains réacteurs ne reçoivent pas l’autorisation d’exploitation jusqu’à 60 ans, et soient arrêtés lors de la visite décennale des 50 ans, voire des 40 ans : il est donc prudent de baser la stratégie sur cette hypothèse centrale d’une durée de vie de 60 ans, une adaptation restant bien entendu possible dans le temps en fonction du résultat des visites décennales.
La conclusion s’impose, si l’on veut maintenir l’échéance de 2050 pour le « Net Zéro Carbone » en France en 2050, et garantir une sécurité d’approvisionnement en électricité : au-delà des tranches de six et huit EPR2 décidées ou envisagées, c’est un rythme d’engagement et de construction de deux EPR2 par an qui s’avère nécessaire dans la durée jusqu’en 2050, afin de disposer en 2060 de 40 à 45 EPR en plus de l’EPR de Flamanville, quand l’ensemble du parc actuel aura dépassé l’âge de 60 ans.
À partir de 2035, en fonction des perspectives de prolongation avérées de la durée de vie des réacteurs existants, et de l’état du développement d’une filière de réacteurs nucléaires à neutrons rapides, la stratégie pourra être adaptée.
Si un tel rythme d’engagement et de réalisation ne se révèle pas soutenable, et que la construction de 14 EPR2 d’ici 2050 est confirmée comme étant un maximum, alors la capacité de production nucléaire sera revenue de 63 GW à moins de 45 GW (productible de 280 TWh), avec un mix électrique ne comportant plus que 36 % de nucléaire, et d’une capacité de production totale insuffisante (environ 780 TWh) pour assurer la décarbonation de l’économie et sa réindustrialisation, malgré des objectifs démesurément élevés en éolien offshore et solaire photovoltaïque.
La capacité pilotable ne dépassera pas 72 GW, en pérennisant les 9 GW de cycles combinés à gaz et turbines à combustion existantes (TAC), ainsi que les centrales bioénergies existantes et les centrales à charbon de Cordemais et Saint-Avold converties à la biomasse, comme le montre le tableau ci-dessous :
Une telle situation ne serait pas gérable, et nécessiterait a minima la construction de 20 à 25 GW de capacité en cycles combinés à gaz pour ne pas rendre la France plus dépendante qu’actuellement de ses voisins pour la sécurité d’alimentation en électricité lors des pointes hivernales.
Innovations de rupture nucléaire
Le plan France 2030 intègre le soutien au développement de petits réacteurs modulaires (SMR), soit avec une technologie classique à eau pressurisée (projet NUWARD d’EDF, puissance 2 x 170 MW), soit avec de nouvelles technologies, par exemple le projet de réacteur de 40 MW à neutrons rapides et sels fondus développé par la société NAAREA, qui permet la fermeture du cycle du combustible en brûlant des combustibles nucléaires usagés, et ne nécessite pas de source froide autre que l’air ambiant pour s’implanter (cycle CO2 supercritique).
Parmi les huit lauréats de l’appel à projet France 2030, il y a un projet de fusion nucléaire porté par la startup Renaissance fusion.
Signalons que de nombreux projets de développement de réacteurs à fusion portés par des startup existent aux USA, dont un projet porté par la société Helion avec une technologie originale : accélération et compression d’un plasma dans un tunnel linéaire, et production d’électricité directement par induction, sans recourir à un cycle vapeur. Helion construit un prototype Polaris d’une puissance de 50 MWe (MW électrique), avec une perspective de production d’électricité dès fin 2024 ou 2025, a signé un contrat de vente d’électricité avec Microsoft pour 2028, et développe un projet de réacteur de 500 MWe avec Nucor, un sidérurgiste. La concrétisation de la fusion nucléaire pourrait être bien plus rapide qu’anticipé actuellement avec le projet ITER…
Il est par contre extrêmement regrettable que la SFEC ne prévoie pas de reprendre un projet de réacteur à neutrons rapides de taille industrielle pour une production centralisée, qui pourrait prendre la relève des EPR à partir de 2040, et entérine de fait l’abandon définitif du projet Astrid et de toute l’expérience accumulée avec les réacteurs Phénix (qui a produit 26 TWh entre 1973 et 2009 avec une puissance de 250 MW), et Superphénix à Creys-Malville arrêté en 1997.
Cette lacune met en danger notre approvisionnement et notre gestion à long terme du cycle du combustible, sauf à recourir à terme à des technologies étrangères (la Chine vient de démarrer un réacteur de quatrième génération), alors que la France avait une (bonne) longueur d’avance dans cette technologie.
Une réponse
Fin de l’article: il n’est jamais trop tard pour bien faire, à savoir introduire dans le parc un surgénérateur de puissance à neutrons rapides dont nous connaissons la technologie.