Nouvel épisode dans la guerre anti-ESG aux Etats-Unis. Les sociétés de gestion de JP Morgan et de State Street ont décidé de se retirer de Climate Action 100+. Blackrock a transféré son adhésion à sa division internationale. Officiellement, les trois veulent reprendre leur liberté. Mais les menaces des élus républicains contre les coalitions sur le climat pèsent également dans la balance.
Coup dur pour l’engagement actionnarial. Coup sur coup, les sociétés de gestion JP Morgan AM et State Street Global Advisor ont annoncé qu’elles ne renouvelleraient pas leur adhésion à Climate Action 100+, la coalition mondiale réunissant plus de 700 investisseurs pour inciter les entreprises les plus carbo-intensives à réduire leurs émissions. Blackrock, quant à elle, a juste fait un pas de côté. Le plus grand gestionnaire d’actifs du monde a transféré son adhésion à la coalition à Blackrock International et non plus à sa division américaine, la plus importante du groupe.
Plusieurs raisons expliquent ce désengagement de ces très grandes sociétés de gestion. JP Morgan AM déclare ainsi avoir musclé ses équipes internes sur le dialogue actionnarial et n’avoir plus besoin de passer par la coalition. State Street estime pour sa part que les nouvelles lignes directrices adoptées par la coalition au mois de juin 2023 ne correspondent plus à sa stratégie.
Critiques sur les politiques de vote des grands gestionnaires d’actifs
Climate Action 100+ a en effet annoncé lancer la deuxième phase de son action, qui durera jusqu’en 2030, pendant laquelle elle veut mettre l’accent sur les actions des entreprises plutôt que sur la simple demande de transparence. La coalition a également renforcé les obligations des investisseurs signataires de l’initiative, afin que leurs politiques internes de dialogue actionnarial soient en ligne avec les objectifs de CA100+.
L’initiative constate que les entreprises émettrices ciblées par ses membres ne font que très peu de progrès sur leur politique climatique. Ses campagnes s’avéraient donc trop peu efficaces. Majority Action croit savoir pourquoi : malgré leur adhésion à CA100+, les investisseurs ne sont pas tenus à voter dans le sens prévu par la coalition. L’ONG critique ainsi régulièrement les politiques de vote de grands investisseurs, comme Blackrock ou State Street. Elle montrait même dans son étude de 2023 que les investisseurs membres de la coalition avaient allègrement voté en faveur du renouvellement de 90% des administrateurs de sociétés ciblées par CA100+ lors de la saison des assemblées générales 2022.
Mais le renforcement des règles de la coalition n’est sans doute pas la seule cause du sauve-qui-peut des sociétés de gestion américaines. La bataille anti-ESG menée par de nombreux élus républicains aux Etats-Unis refroidit de plus en plus les ardeurs des investisseurs responsables. Les alliances Net zero, tout comme Climate Action 100+, ont été menacées directement par ces élus comme constituant potentiellement des ententes illicites d’entreprises. Les deux organisations As You Sow et la Glasgow financial alliance for net zero ont même été assignées en justice par la commission judiciaire de la Chambre des représentants des Etats-Unis en novembre dernier.
“Le risque climatique est un risque financier”
Des raisons insuffisantes pour justifier ce recul des grandes sociétés de gestion, selon Brad Lander le “comptroller” de la ville de New York. Le responsable des finances de la ville, qui gère également les fonds de pension des employés, a publié une réponse véhémente aux annonces des trois gérants d’actifs. “Le risque climatique est un risque financier. Aujourd’hui, Blackrock, JP Morgan et State Street ont choisi d’ignorer les deux“, déclare-t-il.
Il ajoute : “en cédant aux demandes des politiciens de droite financés par l’industrie des énergies fossiles et en se retirant de leurs engagements dans Climate Action 100+, ces énormes institutions financières manquent à leur devoir fiduciaire et mettent les milliers de milliards de dollars de leurs clients en risque“. Les fonds de pension de la ville sont clients de ces trois gérants d’actifs et le responsable financier explique clairement vouloir s’assurer de la sécurité de ses investissements, quitte à trouver de nouvelles sociétés de gestion. “Nous ne pouvons pas espérer préserver la valeur à long terme pour nos bénéficiaires si nous mettons le feu à nos investissements“, tranche-t-il.