La Pologne en guerre contre l’Union européenne sur le moteur thermique

(Article initialement publié par le magazine en ligne Factuel le 19 septembre 2023)

La Pologne se rebelle contre l’interdiction par l’UE des véhicules à combustion interne en 2035. Elle vient de déposer une plainte auprès de la Cour européenne de justice pour tenter de sauver son industrie automobile et ses mines de charbon. Cela aura-t-il une influence sur les élections européennes de juin prochain et sur la nomination du président de la Commission européenne ?

Selon Ursula von der Leyen, dans son discours sur l’état de l’Union devant le Parlement européen le 13 septembre, grâce au Pacte vert, tout va bien dans l’Union Européenne (UE). Pourtant, des millions de personnes n’ont plus les moyens de payer leur énergie.

Mais avant de revenir sur l’énergie, quelques mots sur la question migratoire européenne. Alors que la petite île italienne de Lampedusa a dû prendre en charge 7.000 migrants en 48 heures – et non des réfugiés climatiques, comme me l’a fait remarquer un collègue – la Pologne a déploré que la présidente de la Commission ne veuille pas voir la réalité du problème.

Réagissant à ce discours, Szymon Szynkowski vel Sęk, le ministre polonais des Affaires européennes, a déclaré : 

« Je suis convaincu qu’il y a une certaine réticence de la part des dirigeants européens et des institutions européennes à remarquer les problèmes qui affligent l’UE aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que les questions migratoires constituent aujourd’hui un problème majeur qui préoccupe de nombreux pays de l’UE de l’Ouest. »

On sait que les relations entre le gouvernement polonais et la Commission européenne ne sont pas harmonieuses, tant les différences idéologiques s’entrechoquent. Sur la migration, il est clair que la Pologne n’a pas l’intention d’obéir aux injonctions de Bruxelles de prendre des migrants. Mais dans le domaine de l’énergie aussi, des tensions se manifestent depuis un certain temps.

L’atelier polonais détruit par l’alchimie

La Pologne peut être considérée comme le principal atelier de l’UE pour la production de composants automobiles, que les grands constructeurs assemblent ensuite dans leurs usines de montage. Une multitude de PME du secteur de la construction mécanique se sont spécialisées dans la fabrication des composants de nos voitures.

La voiture électrique représente une menace sérieuse pour l’industrie manufacturière polonaise. Un moteur électrique est infiniment plus simple qu’un moteur à combustion interne et nécessite moins de travail pour être produit ; de plus, les véhicules électriques n’ont besoin ni de boîte de vitesses ni d’embrayage, et même le freinage est plus simple, car le frein moteur est puissant.

Il est compréhensible que les Polonais soient fortement opposés à l’obligation de ne plus pouvoir vendre de véhicules à moteur à combustion interne d’ici 2035, car cela jetterait à la rue des milliers de travailleurs qui avaient des emplois sûrs et bien rémunérés dans le secteur de l’automobile.

Pendant un temps, l’Allemagne s’est jointe à l’Italie et à la Pologne pour s’opposer à cette étrange décision. Puis, le premier vice-président de la Commission européenne, le Néerlandais Frans Timmermans, a sorti de son chapeau vert de magicien écologiste une solution pour convaincre l’Allemagne :

« ne vous inquiétez pas, nous allons autoriser les véhicules à combustion interne fonctionnant avec des E-carburants. Des E-carburants qui n’existent pas et ne seront jamais économiques, car ils doivent être fabriqués à partir d’hydrogène produit à partir d’énergie éolienne et solaire photovoltaïque et de CO₂. Pour l’instant, l’énergie éolienne ne produit que 2,2 % de l’énergie primaire consommée dans l’UE, mais on promet qu’il y en aura tellement qu’elle suffira à produire 100 % d’électricité verte et, en complément, des carburants synthétiques… d’ici à 2035 ».

La chimie interdit de telles utopies, mais à Bruxelles-Strasbourg, on s’en moque. Berlin non plus, et c’est d’autant plus étrange dans le pays qui a vu naître l’industrie chimique. Bref, l’alchimiste vert qui veut transformer l’échappement de la vie en énergie – le CO₂ – a réussi à convaincre Berlin.

Laissées à elles-mêmes, l’Italie et la Pologne n’ont donc pas pu s’opposer à l’erreur qui va détruire le secteur automobile, ce secteur que les États-Unis et la Chine nous enviaient.

La Pologne se rebiffe

Après l’échec du socialisme soviétique, idéologie imposée par la force aux pays d’Europe centrale et orientale, ces derniers ont adopté sans réserve l’économie de marché. La Pologne en est un bon exemple. Depuis son adhésion à l’UE, les données d’Eurostat montrent que le taux de croissance de la Pologne oscille autour de 5 %, soit près du double de celui de l’UE-27.

Dans le secteur automobile, bien sûr, il n’y avait aucun espoir de vendre la Polski, la voiture sous licence Fiat, produite en Pologne. La Pologne a donc habilement choisi de devenir un sous-traitant des grandes entreprises de l’ouest de l’UE. Elle a réussi à s’organiser pour que ses travailleurs spécialisés produisent les pièces que les entreprises allemandes, italiennes et françaises assemblent dans leur propre pays ou ailleurs.

Selon PZPM (l’association polonaise de l’industrie automobile), en 2019, 153.900 personnes travaillaient dans ce secteur. Mais la pression exercée par l’UE sur le secteur automobile a réduit ce nombre à 141.400 travailleurs. De même, en 2019, la Pologne a produit 434.700 moteurs, mais seulement 255.100 en 2022. Ces baisses de 41 % de la production de moteurs et de 8 % de l’emploi sont inquiétantes, et il est compréhensible que le gouvernement polonais soit très attentif et tente d’inverser cette tendance.

Cependant, la Pologne n’a pas baissé les bras et nous venons d’apprendre que le 17 juillet, elle a déposé un recours auprès de la Cour de justice de l’UE (affaire C-444/23).

La République de Pologne demande l’annulation totale du règlement n° 2023/851 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023, en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d’émissions de CO₂ pour les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers neufs, conformément à l’ambition climatique de l’Union. À titre subsidiaire, elle demande l’annulation partielle de ce règlement, en ce qui concerne les dispositions applicables à partir du 1er janvier 2035, relatives aux objectifs d’émissions pour les voitures particulières et les véhicules utilitaires légers neufs, dans l’hypothèse où la Cour estimerait que les moyens soulevés ne justifient pas l’annulation de ce règlement dans son intégralité.

Selon la Pologne, le législateur de l’UE – le Parlement européen et le Conseil de l’UE – a enfreint l’article 192, 2c du traité de Lisbonne, qui exige l’unanimité au sein du Conseil, parce que la décision contestée 

« affecte de manière significative le choix d’un État membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ».

La Pologne entend défendre le bien-être de sa population

La Pologne considère que ce règlement aura un impact significatif sur l’industrie automobile, ainsi que sur les entreprises des secteurs économiques connexes, et que le législateur européen a donc manqué à son obligation de promouvoir le bien-être des peuples de l’Union, son obligation de promouvoir la justice sociale, d’œuvrer pour un développement économique durable et de promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale, ainsi que la solidarité entre les États membres.

Varsovie considère également que le législateur a manqué à son obligation de prendre en compte les exigences de la promotion d’un niveau d’emploi élevé, et de la lutte contre l’exclusion sociale (article 9 du traité), ainsi que l’interdiction de la discrimination fondée sur la richesse.

L’argument est logique, car le développement durable ne consiste pas seulement à promouvoir l’écologie, mais aussi à assurer le bien-être de la société et la croissance économique.

En fait, « durable » est le qualificatif de « développement », même si les écologistes ont réussi à effacer le mot « développement », remplaçant l’expression « développement durable » par le substantif « durabilité ». Le gouvernement polonais ne l’entend pas ainsi.

La politique verte est disproportionnée

Elle estime que le principe de proportionnalité n’a pas été pris en compte, les inconvénients qui en découlent, notamment les coûts, étant manifestement disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis. Selon la Pologne, les coûts d’adaptation des économies et des sociétés de l’Union, aux normes plus strictes de réduction des émissions de CO₂ prévues par le règlement attaqué, sont nettement plus élevés que les avantages qui en résultent. Pour la Pologne, en raison de la transition vers une mobilité sans émissions, le règlement attaqué fait peser une charge disproportionnée sur les citoyens européens, en particulier les plus défavorisés, et sur l’industrie automobile européenne. Le règlement contesté risque d’avoir des effets négatifs graves sur l’industrie automobile européenne, l’exclusion sociale, l’exclusion des plus pauvres des moyens de transport, ainsi qu’une augmentation des différences de niveau de vie entre les citoyens.

Manipulation du marché du carbone

La Pologne accuse également le Conseil et le Parlement européens de ne pas avoir présenté une évaluation suffisante des effets de ce règlement (une obligation pour tous les textes législatifs présentés par la Commission européenne).

Elle estime que l’évaluation est fondamentalement erronée en ce qui concerne l’impact des obligations et des objectifs énoncés dans le règlement sur les différents États membres.

En outre, Varsovie estime qu’il n’a pas été suffisamment tenu compte des données scientifiques et techniques disponibles, des avantages et des coûts potentiels liés à une activité ou à l’abandon d’une activité, ainsi que du développement économique et social de l’Union dans son ensemble et du développement équilibré de ses régions.

En bref, ce règlement a été adopté sur une base idéologique que la Pologne rejette.

Parallèlement, le gouvernement polonais s’attaque au nombre de quotas de CO₂ à placer dans la réserve de stabilité du marché du carbone jusqu’en 2030, afin d’augmenter artificiellement le prix de la tonne de CO₂. Ici aussi, l’affaire est basée, selon le gouvernement polonais, sur une violation de l’article 192.2 C.

Il affirme que cette réserve manipulant le marché du carbone pourrait supprimer des emplois dans le secteur minier, conduisant à « une plus grande inégalité sociale entre les États membres et à une augmentation de l’exclusion sociale. » 

Non seulement le secteur automobile de la Pologne est crucial, mais son charbon, et donc son secteur minier, le sont encore plus, puisque le pays génère environ 70 % de son électricité à partir du charbon, qu’il produit principalement en Silésie.

Il est peu probable qu’un tel imbroglio institutionnel sur le non-respect de la base juridique de ce règlement soit résolu avant les élections européennes du 9 juin 2024.

Mais que la Pologne perde le procès ou non, il ne fait aucun doute que des Polonais en prendront compte dans leur vote.

La presse spécialisée de Bruxelles-Strasbourg a décrypté le discours de la Présidente de la Commission européenne devant le Parlement européen comme étant son acte de candidature à sa réélection. Mais la désignation de la Présidence de la Commission européenne est décidée par les États membres.

Le gouvernement italien, laissé seul face aux migrants, et le gouvernement polonais, qui n’accepte pas la destruction de son industrie automobile, sauront pour qui ne pas voter.

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