Flamanville 3 ou pas, l’ère des menaces de blackout est déjà programmée

De palinodies en atermoiements, un pouvoir comme jamais incompétent et ce qu’il reste du flamboyant opérateur historique d’autrefois n’en finissent pas de se demander comment et avec quels moyens reproduire avec succès un plan Messmer à échelle réduite.

La vérité est que, sans un spectaculaire ressaisissement de notre politique électro-énergétique, la fin de l’histoire du Dassault de l’électricité française menace bel et bien d’avoir sonné. Amputée voilà 24 ans de son organe de pilotage industriel en charge des maîtrises d’œuvre et d’ouvrage au titre d’expert pluridisciplinaire, financièrement exsangue et privée des riches écosystèmes industriels, d’ingénierie et d’expertise des années 1970-80, une EDF gravement à la peine sur ses rares chantiers ne peut même plus compter sur les R&D d’antan pour honorer un contrat signé dans l’urgence, sur un coin de table politique.

Ses dirigeants et sa tutelle savent pourtant pertinemment que le contrat qu’elle a historiquement signé avec le pays devrait être scientifiquement et technologiquement davantage pluridimensionnel et bien plus ambitieux que celui, misérable, dicté par une loi NOME, un ARENH et une LTECV autorisés à se payer sur la bête.

Dès lors, les Français peuvent être assurés que, dans le meilleur des cas, la taille opérationnelle de leur parc électronucléaire sera toujours celle d’aujourd’hui dans une quinzaine d’années, au 1,6 GW près de Flamanville 3. Or, ils ne mesurent pas combien le salutaire prolongement de vie de la machine existante aura forcément un prix non connu d’avance en indisponibilités programmées et fortuites plus ou moins pénalisantes, la standardisation de ses éléments entraînant l’indisponibilité de tous quand un seul défaille. Le spectre du presque blackout national provoqué par les « corrosions sous contrainte » ne peut donc que se manifester de façon croissante à leurs mémoires.

Caractériser l’inéluctable dérive de notre système électrique

Aux termes de la révision plus ou moins anticipée de la PPE (Programmation Pluriannuelle d’Énergie) en vigueur, la place occupée dans notre parc électrogène par les moyens de production les moins pilotables est réputée devoir croître sensiblement, en même temps qu’un niveau d’appel de puissance appelé à exploser et à s’uniformiser dans le temps.

De 14 % du total pour l’éolien et de 10 % pour le solaire, soit déjà 24 % en tout, la puissance non pilotable de notre parc sera passée à 34 % en 2028, 17 % pour l’éolien – dont 3 % offshore – et à 17 % pour le photovoltaïque.

En 2023, un thermique à flamme (THF) essentiellement gazier et frappé d’une prohibition dont les années à venir montreront qu’elle est intenable n’a produit que 7 % de l’électricité nationale. Avec le nucléaire, cette production est pourtant la seule totalement pilotable. Ainsi, réalise-t-on que nos pouvoirs publics suspendent toujours davantage la stabilité du système électrique, et donc la sécurité de notre approvisionnement aux caprices de la météo et à l’arbitraire du cours commercial du gaz en découlant ; certes pilotable, la production hydraulique notamment de chute n’en dépend pas moins de la météo.

Non seulement engager quasi irréversiblement l’économie du pays dans une telle impasse énergétique est proprement suicidaire, quand appels de puissance diurne et nocturne sont appelés à se rejoindre sous la poussée des appétits de la numérisation technologique de notre condition, des datas, de la mobilité électrique et de la climatisation, mais entretenir l’imposture d’une sécurité-solidarité électro-énergétique européenne relève de la prévarication institutionnelle. Car, à l’image de la politique électro énergétique allemande caractérisée ci-après, celles de tous les pays de l’UE sont peu ou prou engagées dans la fuite en avant vers une transition en renouvables dont la principale propriété est d’œuvrer à la sous-capacité de la production communautaire.

En 2023, un éolien représentant 28 % de la puissance totale installée et un solaire en représentant 26 %, soit 54 % de production non pilotable en tout, n’ont couvert outre-Rhin que 39 % de la consommation nationale, l’essentiel de la consommation restante ayant été couvert par un charbon réputé en drastique décroissance au profit de bouchées doubles en renouvelables ; ça promet !

Vivre le blackout, attendre fiévreusement le black-start et constater les dégâts

Spécialistes et experts du sujet sont depuis longtemps formels : au-delà de 30 % de puissance de production non pilotable en service, l’instabilité de tout système électrique est telle que la menace de son ingouvernabilité conduisant au blackout devient très grande, ce qui a été vérifié en exploitation.

Après un blackout, la France compte sur ses centrales hydroélectriques encore opérationnelles et sur ses unités nucléaires ayant réussi « l’îlotage » – la séparation du réseau, sans arrêt de la tranche continuant de débiter sur ses seuls auxiliaires – pour reconstituer le système électrique.

Pour ce faire, le gestionnaire du réseau de transport (GRT) commence par ramener la tension du réseau sur le jeu de barres de secours des tranches « îlotées », avant de faire débiter par chacune d’elles une puissance croissante sur « l’antenne » qui lui est dédiée, un tronçon de réseau autonome en production et en consommation. Parallèlement, les postes de transformation alimentant les différentes sections de ce dernier sont remis en service un à un par le distributeur, pour écouler au fur et à mesure une puissance de plus en plus disponible.

Par ailleurs, les dispatchers s’emploient à ligner chacune des centrales hydroélectriques encore opérationnelles sur une seule des tranches nucléaires arrêtées après échec de l’îlotage, opération délicate car le renvoi de la tension sur les bobinages de transformateurs à vide peut faire craindre les phénomènes de ferro-résonnance que des essais périodiques visent à prévenir. Chaque centrale hydroélectrique est ensuite tenue de fournir l’importante puissance nécessaire au démarrage en charge et en court-circuit des moteurs des pompes primaires et des moteurs des pompes de circulation de sa tranche nucléaire. Les auxiliaires de cette dernière devront encore être alimentés quelque temps de l’extérieur, pour une puissance allant de 35 à 50 MW selon le palier concerné, avant de rendre sa totale autonomie à l’unité de production. Il faut ainsi plusieurs heures pour pouvoir recoupler cette dernière au réseau.

À chaque recouplage, une nouvelle antenne de consommation à puissance croissante est alimentée conformément à ce qui vient d’être décrit. Au final, l’opération la plus délicate consiste à coupler entre elles les antennes ainsi reconstituées et n’ayant aucune chance d’être en phase, afin de remailler le réseau national. Avec l’appui de possibles importations, il faut compter 24 heures au moins pour reconstruire ce dernier dans sa totalité.

Or, outre que l’indigente capacité de production du système électrique européen rend cet appui très improbable, outre qu’un blackout français aurait au contraire toutes les chances de prendre en défaut la fragile stabilité de ce système – le faisant s’écrouler comme un château de cartes –, on frémit à l’idée que la composition de notre parc pourrait un jour tendre vers les 100 % renouvelables à dominante éoliennes ! Dans une telle situation, non seulement la spécificité non pilotable de ce parc génèrerait des délestages et des blackout à répétition, mais, après chacun d’eux, imagine-t-on un instant la reconstruction du réseau national au moyen de la reconstitution d’une « antenne » par éolienne synchrone ? Selon l’ADEME, elles seraient 50 000 à devoir se rendre solidaires et solidaires de l’ensemble d’un parc photovoltaïque totalement désemparé, à la fréquence rigoureuse de 50 Hz ; éolien et photovoltaïque étant par ailleurs notoirement incapables de gérer la tension commune d’un système électrique national !

Loin d’être improbable, ce scénario à faire froid dans le dos dont on devine sans peine qu’il pourrait laisser plusieurs jours sans courant des territoires entiers, ne semble pas émouvoir le landerneau de nos acteurs économiques. Il y a pourtant gros à parier que, le moment venu, ceux-ci n’hésiteront pas à impétrer sans vergogne le secours de l’État, c’est-à-dire celui du contribuable et du consommateur domestique, comme c’est depuis longtemps le cas en Allemagne.

Un « je ne savais pas » de moins en moins recevable en situation de fait accompli

La description de ce dont il vient d’être question et qui pend individuellement et collectivement au nez de tout citoyen et de tout électeur peut être largement recoupée. Synthétisées ou non, ses versions complétées ou enrichies et leurs corollaires abondent dont la grande accessibilité et le caractère socialement prégnant des contenus ne permettent plus de pardonner qu’on les ignore, à défaut de ne pas y réagir. En ira-t-il de ça comme il en est allé des innombrables mises en garde contre un marché frelaté du KWh électrique confisqué par l’UE et plombé par l’extravagante transition énergétique que les Allemands sont parvenus à imposer à tous les membres de cette dernière ?

On rappelle que, en 2013, Peter Altmeier, le ministre allemand de l’Environnement annonçait que l’Energiewende à base d’éolien et de photovoltaïque coûterait 1000 milliards d’euros d’ici à 2030, que, selon Siemens il faudrait y ajouter de 400 à 700 milliards d’euros pour la refonte nécessaire du réseau électrique. On rappelle également que la subvention de ce qui se révèle être chez nous le même désastre économique et industriel a déjà coûté quelque 200 milliards d’euros à l’État français, une somme que l’on s’apprête à abonder de 200 à 300 milliards supplémentaires pour la raison évoquée par Siemens.

En définitive, qui peut sérieusement croire que la mascarade commerciale quotidiennement interprétée par l’UE est de nature à prévenir tout blackout, prétendant faire émerger des cours du MWh on ne peut plus légitimes, on ne peut plus optimisés et pouvant aller jusqu’à être négatifs – tant l’offre suscitée par le « marché libre et non faussé des KWh » peut se révéler durablement généreuse ! – sans que, bizarrement, les tarifs exorbitants pratiqués à la consommation n’en soient le moins du monde affectés ?

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