Le patrimoine bâti, mis à mal par les normes énergétiques européennes

Mardi 28 mai, Stéphane Bern a été entendu au Sénat par Marie-Pierre Monier, sénatrice PS de la Drôme et membre de la commission de la culture, dans le cadre d’une mission d’information sur le périmètre d’intervention et les compétences des architectes des Bâtiments de France (ABF). L’occasion, pour notre « Monsieur patrimoine », de pointer du doigt des normes européennes inadaptées.

L’animateur vedette a été interrogé sur le rôle majeur des ABF dans la « protection et la préservation du patrimoine français dans sa diversité », selon ses propos. Il a abordé, aussi, leur rapport de force avec les maires et leurs faibles effectifs dans les unités départementales de l’architecture et du patrimoine (UDP) où ils travaillent. Mais c’est surtout contre le fameux diagnostic de performance énergétique (DPE) sur le patrimoine bâti non protégé que Bern s’est insurgé.

Il déplore, en effet, le décalage de ces normes édictées par l’Union européenne en matière d’isolation énergétique avec la réalité du patrimoine bâti historique : 

« Les propriétaires privés se sentent démunis. On leur demande des choses aberrantes, de changer les volets, de changer les fenêtres qui datent du XVIIIe siècle, les huisseries qui ont été protégées à grands frais et, maintenant, on leur demande de les transformer pour mettre du triple vitrage. » 

Un seul résultat : l’uniformisation et la dénaturation. 

« Au nom de cette loi, on applique les normes européennes de façon drastique, sans aucune préoccupation de l’habitat régional. » 

N’en déplaise aux faiseurs de règlements, 

« on ne défend pas une ferme comtoise comme une longère percheronne ou une maison basque. Il y a là vraiment une inquiétude qui naît de la part des propriétaires privés. » 

C’est sans compter sur l’application de panneaux de polystyrène sur des pans de bois ou des maisons de pierre, avec ces normes, comme l’a souligné la sénatrice Monier.

L’origine de ces normes

Ces normes de performance énergétique sont entrées en vigueur en 2012. En 2023, le Parlement européen a adopté une refonte du texte. Selon Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, le texte contribue à la réalisation de l’initiative du « nouveau Bauhaus européen », qui 

« associe la grande vision du Pacte vert pour l’Europe à des changements concrets sur le terrain […] que tout un chacun peut percevoir, non seulement dans les bâtiments et les espaces publics, mais aussi dans la mode ou l’ameublement. » 

En marge de la question architecturale, tout cela aurait vocation à 

« favoriser l’avènement d’une société plus inclusive propice au bien-être de tous »

La directive susvisée entend promouvoir l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments et la réduction des émissions de gaz à effet de serre provenant des bâtiments dans l’Union, en vue de parvenir à un parc immobilier à émissions nulles d’ici à 2050. Il se veut prendre en compte les conditions climatiques extérieures et les particularités locales.

Des garde-fous insuffisants

Cependant, aujourd’hui, il n’y a pas encore de garde-fous à l’application de ces normes. Dans la mesure où le bâti n’est pas labellisé « monument historique », les normes de performance énergétique ne se heurtent pas aux normes internationales de la conservation et de la restauration des monuments et des sites, dont la charte de Venise de 1964 : 

« En ce qui concerne les bâtiments qui présentent un intérêt historique ou architectural, mais ne sont pas officiellement protégés, les États membres devraient définir des critères pour l’application de la classe de performance énergétique la plus élevée [ …] tout en conservant le caractère du bâtiment. »

Toutefois, des dérogations à l’application des normes sont possibles, selon les directions des affaires culturelles régionales (DRAC), indique Stéphane Bern. Mais dans des proportions insuffisantes. Saisi à ce sujet fin mai, le ministre de la Culture Rachida Dati n’a pas encore répondu. En attendant, le bâti est à la merci des normes de l’UE : il est dans un secteur « où les architectes des Bâtiments de France n’interviennent pas et où tout est possible », précise la sénatrice Marie-Pierre Monier. Tout est possible, y compris des horreurs…

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