(Par Vincent Bénard dans IREF du )
Les hydrocarbures fournissent aujourd’hui toujours plus de 80% de l’énergie mondiale, malgré les sommes énormes engagées depuis un quart de siècle dans les alternatives dites « décarbonées ». Les hydrocarbures sont impliqués dans absolument tout ce que nous consommons, via l’énergie ou la pétrochimie. Les politiciens du monde occidental prétendent quasiment éliminer les énergies carbonées de nos vies dans les 25 années à venir. Est-ce réaliste ?
La relation entre énergie et prospérité
La société actuelle n’existerait pas sans de grandes quantités d’énergie disponible. Depuis 1900, la consommation d’énergie primaire a été multipliée par 16, alors que la population ne l’a été « que » par 4. Cela a permis une multiplication par 8 de la richesse moyenne par habitant.
Cette richesse croissante de l’humanité vient de sa capacité à inventer un nombre considérable de moyens de consommer de l’énergie, bien plus qu’elle n’a créé de moyens d’en produire. Nul besoin d’énergie pour faire voler des avions ou rouler des voitures avant que ces engins n’existent, c’est une lapalissade mais elle est valable pour à peu près tout ce que nous utilisons aujourd’hui.
Une bonne politique énergétique est donc celle qui permet de satisfaire les besoins présents et préserve les meilleures chances d’accompagner la croissance des besoins futurs. Et les besoins futurs sont incommensurables. D’une part, le souhait des populations des pays émergents de rattraper notre niveau de vie s’accompagne d’une forte augmentation de leur consommation. D’autre part, l’arrivée de l’Intelligence artificielle comme outil incontournable des processus productifs laisse présager une explosion, au sens littéral, de la consommation électrique du « cloud », la grande nébuleuse interconnectée qui irrigue les échanges numériques mondiaux.
Les quatre piliers d’un bon mix énergétique
Pour soutenir ce développement économique, l’énergie doit avoir et surtout conserver dans le temps quatre caractéristiques : elle doit être abondante, fiable, économique et soutenable.
- Abondante, c’est une évidence : sans énergie, pas de baisse de la pauvreté.
- Fiable en est une autre : aucun investissement n’est possible sans la certitude de disposer de l’énergie nécessaire au fur et à mesure des besoins.
- Économique, ce n’est pas une option : pour l’avoir négligé, l’Angleterre et l’Allemagne sont en train de perdre des pans massifs de leurs industries « intensives en énergie ».
- Enfin, la soutenabilité est essentielle, même si cette notion est souvent mal comprise. Cela veut dire que le « retour sur investissement énergétique » (en anglais, EROI) doit être élevé, que le besoin en ressources (matériaux, cerveaux, etc.) par unité d’énergie produite doit être faible.
Le succès des énergies fossiles tient au respect des trois premières conditions. Leur soutenabilité à long terme nous amène en revanche à nous interroger : leurs réserves ne sont pas infinies, et on leur impute à tort ou à raison des externalités climatiques négatives. Mais au moins leur EROI est-il assez élevé pour soutenir la croissance de la demande.
L’irréalisme des fantasmes énergétiques politiciens
Les solutions promues à grand coup de subventions par nos politiciens pour « sortir des fossiles » ne sont ni économiques, ni fiables, ni soutenables. Les énergies renouvelables intermittentes ne sont pas pilotables, donc pas fiables, et le coût estimé des solutions imaginées afin de vaincre ce défaut rédhibitoire est prohibitif. De surcroît, leur EROI est désastreux, et la faible durée de vie de ces équipements pousse les géologues à s’interroger sur la capacité de la croûte terrestre à produire assez de matériaux pour les renouveler lorsqu‘ils arriveront en fin de vie. L’EROI faible plombe également les espoirs placés dans la production de bio-carburants (biogaz, biofuels), laquelle, en outre, pourrait cannibaliser la production agricole destinée à nous nourrir. Le nucléaire ? Les réacteurs actuels sont trop chers (cf. rapport de l’IREF), c’est encore une énergie de niche réservée aux pays capables de former un grand nombre de techniciens compétents et il faudra au moins encore une génération de sauts technologiques avant que cette filière ne devienne « mainstream ».
À ces constats de bon sens, les « transitionnistes » répondent que des ruptures technologiques permettront de répondre au défi d’une transition écologique rapide. C’est ignorer plusieurs difficultés : Pour remplacer les énergies fossiles, qui sont absolument partout dans notre vie, il ne faudra pas une ou deux, mais une pluie de ruptures technologiques. S’il est impossible de prévoir quand se produira une telle rupture dans un domaine, il est impossible qu’une pluie de miracles se produise d’ici 2050. Fonder une politique publique sur une conjecture aussi hasardeuse est irresponsable.
Et quand bien même certains de ces miracles auraient lieu, le temps nécessaire pour que leurs fruits industriels se diffusent dans la société se comptera en générations. Entre l’avion des frères Wright et le premier avion de ligne transatlantique, un demi siècle a été nécessaire. La batterie Lithium ion, inventée en 1976, a mis quinze ans pour sortir du laboratoire et être commercialisée dans des calculatrices, et trente ans pour arriver timidement dans nos automobiles. Et cinquante ans après, elle ne s’est toujours pas imposée, malgré des aides publiques massives.
Certains espèrent que l’IA permettra de raccourcir les cycles d’industrialisation des bonnes idées, du laboratoire au client. C’est sans doute vrai. Mais nous l’avons vu, les besoins en énergie de l’IA croissent eux même de façon exponentielle. La transition énergétique a elle-même besoin de beaucoup d’énergie !
Conclusion: laissez faire les entrepreneurs de l’énergie !
Voilà pourquoi les espoirs de décarbonation de la société pour 2050 sont une chimère. Il n’y aura pas de transition rapide hors des énergies fossiles. Pire encore, les ressources financières, minières et humaines détournées vers ces éléphants blancs par les États manquent cruellement à l’économie entrepreneuriale classique pour développer les vraies innovations énergétiques qui amélioreront notre avenir. Il est urgent que les politiciens cessent de croire que leurs rêves sont réalisables du jour au lendemain, urgent qu’ils se désengagent de la politique énergétique, urgent qu’ils laissent faire la société civile.