(Par André Pellen dans Contrepoints du 17/9/24)
Auréolé d’un sauvetage de l’euro dont nous ne saurons avant longtemps s’il a été ou non obtenu à la Pyrrhus, l’auteur du récent The future of European competitiveness n’y illustre pas moins que les économistes sont moins ingénieurs que les ingénieurs ne sont économistes. Dans les présentes circonstances, la pertinence douteuse de ses recommandations énergétiques ne peut en effet qu’inciter les ressortissants de l’UE à se fier davantage aux seconds qu’aux premiers.
La récente prise de conscience par le gouvernement italien du fourvoiement de sa politique énergétique ne semble pas avoir influencé plus que ça la doctrine sommairement rapportée ci-dessous de celui qui l’administrait il y a encore deux ans.
À cette époque, un taux de dépendance énergétique national de 73 %, contre 58 % en moyenne pour l’UE, ne lui était pourtant pas inconnu, comme ne lui était sûrement pas inconnu que le gaz représente près de 50 % de la production électrique italienne.
Un déterminisme intangible semble à la manœuvre, tendant à rendre principal le recours aux énergies renouvelables, et accessoire le recours à l’énergie nucléaire. En témoigne l’extrait ci-après, commenté du rapport mentionné au début.
L’importance à accorder au nucléaire dans l’avenir du système énergétique
L’énergie nucléaire peut contribuer, parallèlement au déploiement généralisé des énergies renouvelables et d’autres technologies, à atteindre les objectifs climatiques de l’UE et à renforcer la sécurité de l’approvisionnement. Selon The European Commission’s EC REF2020, le nouveau nucléaire pourrait également jouer un rôle dans les systèmes énergétiques intégrés à forte pénétration des énergies renouvelables en fournissant une production flexible.
Commentaire
En somme, la production électronucléaire doit se résigner au rôle de supplétif de moins en moins sollicitable – ce dont on entretient l’illusion – d’une production électro-renouvelable à rendre partout massivement pénétrante à n’importe quel prix.
Prolonger la durée de vie du parc de réacteurs existant pour maintenir un approvisionnement à faible émission de carbone, à condition que la sûreté puisse être démontrée.
Commentaire
Quand en aurons-nous fini avec ce marronnier d’une démonstration théorique de sûreté absolue, l’alibi que les antinucléaires insatisfaits par principe ne lâcheront jamais ? En guise de démonstration, que veut-on de plus que les 2200 années de réacteurs d’exploitation électronucléaire française sans incident et la robuste statistique démontrant que la production électrique de loin la plus sûre – en tout cas ayant fait jusqu’ici le moins de victimes – est certainement la nucléaire, TMI, Tchernobyl et Fukushima compris ?
Construire de nouveaux réacteurs nucléaires en utilisant des technologies établies. Pour faire de l’énergie nucléaire une source d’énergie rentable, les coûts doivent être maîtrisés (le LCOE du nucléaire a augmenté de 46 %, passant de 123 USD/MWh en 2009 à 180 USD/MWh en 2023, selon les données de Lazard et BNEF, soit plus que le LCOE des autres sources d’énergie propre les plus courantes).
Commentaire
Quand, pour la seule période 2004-2015, les Européens ont dépensé 860 milliards d’euros dans les renouvelables (cf le numéro 84 de leur lettre géopolitique de l’électricité), les Allemands y ayant contribué pour plus de 200 milliards, Mario Draghi aurait-il le culot de sous-entendre que ces dernières auxquelles il est ici fait un sort seraient plus rentables que le nucléaire ? Outre le caractère farfelu des chiffres annoncés, sait-il au moins que, compris entre 120 et 140 euros, le prix du MWh EPR de Flamanville est celui d’un prototype, par conséquent appelé à s’effondrer pour les MWh des filières industrielles en découlant, comme il l’a été pour tous les paliers en exploitation ?
Mettre sur le marché une nouvelle génération de réacteurs nucléaires, notamment les petits réacteurs modulaires (SMR).
Commentaire
On attend que les conseillers de Mario Draghi nous démontrent que se doter de 4 à 8 réacteurs PWR issus de la technologie sous-marine, plutôt que d’un seul réacteur PWR de 1200 MW, est économiquement plus rentable – en investissements complets pour le système électrique, en coût d’exploitation, en charges fixes… – sur les durées de vie totales, plus sûrs, d’exploitation plus fiable aux plans de la commodité et de la disponibilité et plus respectueux de l’environnement.
Accroître la sécurité d’approvisionnement et limiter les prix élevés
Des réductions temporaires des taxes sur l’énergie, des subventions d’État, des plafonds de prix, des plafonds de revenus, une réglementation des marchés financiers et des efforts pour réduire la demande.
Commentaire
On ne peut pas ériger l’ascèse énergétique en principe économique permanent. La réduction volontaire de la demande finira forcément par devenir asymptotique. Aussi, lorsque l’étiage sera atteint, quelle disposition garantissant la pérennité de l’équilibre production-consommation restera-t-il à prendre, autre que celle d’augmenter les capacités de production ?
Garantir des prix plus stables pour les consommateurs et des flux de revenus pour les investisseurs. Pour y parvenir, l’utilisation de contrats à long terme comme moteur du déploiement des énergies renouvelables est encouragée. Une obligation d’utiliser des contrats bilatéraux pour différence (CfD) pour le soutien direct des prix a été introduite et le recours aux contrats d’achat d’électricité (PPA) est encouragé dans la conception du marché de l’électricité.
Commentaire
Sur ce point, on ne peut que renvoyer le lecteur au récent article intitulé « Réguler le prix de vente de l’électricité sans égard à son prix de revient et à la marge producteur ».
Améliorer les permis avec la directive révisée sur les énergies renouvelables (RED) et le règlement d’urgence pour accélérer les procédures.
Commentaire
La preuve éclatante est ici apportée de la volonté de rendre la production électro-renouvelable partout massivement pénétrante, (implicitement) à n’importe quel prix !
Objectifs
Premièrement, le coût de l’énergie doit être abaissé pour l’utilisateur final. Les avantages financiers de la décarbonation doivent être anticipés et transférés à tous les consommateurs.
Commentaire
L’article auquel le lecteur est renvoyé ci-avant montre que le seul moyen de baisser le coût de l’énergie à l’utilisateur final est tout bonnement de produire cette dernière au moindre prix. En ce qui concerne la décarbonation, les Français découvrent avec plaisir qu’elle va leur procurer des avantages financiers. Mario Draghi et ses amis pourraient-ils leur préciser lesquels ? Car la dure obligation de décarboner tous azimuts ne leur saute pas vraiment aux yeux, quand leur pays ne doit répondre que de 0,9 % du CO2 anthropique planétaire, soit le trentième de ce dont la Chine est responsable, le quinzième de ce qu’ont produit les américains.
Deuxièmement, la décarbonation doit être accélérée. Pour y parvenir, toutes les technologies et solutions disponibles (par exemple les énergies renouvelables, le nucléaire, l’hydrogène, les batteries, la réponse à la demande, le déploiement des infrastructures et les technologies d’efficacité énergétique et de CCUS) doivent être exploitées en adoptant une approche technologiquement neutre et en développant un système global rentable.
Par exemple, décarboner progressivement le passage à l’hydrogène et aux gaz verts dans l’industrie, lorsque cela est rentable.
Commentaire
Le passage à l’hydrogène ne sera jamais rentable ! En dehors de la valorisation du sous-produit H2 de la pétrochimie, toute tentative de démonstration visant à faire passer ce gaz pour une ressource énergétique primaire et même secondaire rentable relève de l’escroquerie. On ne compte plus les démontages méthodiques de telles tentatives en apportant la preuve.
Une réponse
“La décarbonation doit être accélérée”
Si l’on pompe et que ça ne marche pas, alors il faut pomper plus fort.