La France est-elle en retard dans la décarbonation de son industrie ?

Nous savons combien la production énergétique allemande est, contrairement à la nôtre, particulièrement dépendante du charbon (pour un tiers). Malgré tout, dans les données d’Eurostat (la direction de la Commission européenne chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire), l’industrie française apparaît plus carbonée que l’industrie allemande. Comment expliquer ce paradoxe ?

Le think tank La Fabrique de l’industrie se demande, dans une étude récente, si l’industrie allemande est vraiment plus verte que la française. Selon les données d’Eurostat, l’industrie manufacturière française a émis 380 g. éq. CO2 par euro de valeur ajoutée en 2021 (pour ses émissions directes ou scope 1 dans le jargon bruxellois) soit un tiers de plus que son homologue allemande (290 g éq. CO2/€ VA).

Comment expliquer un tel écart alors que la France a une production électrique parmi les plus décarbonées de l’Union européenne (56 g éq. CO2/kWh contre 347 g éq. CO2/kWh en Allemagne en 2021) ? En fait, nous dit La Fabrique de l’industrie, la différence entre les deux pays est « avant tout le reflet de mix sectoriels et produits différents ».

La stratégie nationale bas carbone

Avant d’entrer dans les détails, rappelons que la stratégie nationale bas carbone (SNBC) de la France trace une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’en 2050, avec l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à cette échéance. L’Allemagne, elle, a avancé (en 2021) cet objectif de neutralité carbone à 2045 et a renforcé ses cibles intermédiaires pour 2030.

Cette stratégie découle directement de l’Accord de Paris de 2015 (COP 21) dans lesquels les pays signataires s’engagent à limiter l’augmentation de la température moyenne à 2°C, et si possible 1,5°C et, pour cela, à atteindre la neutralité carbone au cours de la deuxième moitié du XXIème siècle au niveau mondial comme le recommande le GIEC.

En France, atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 implique une division par 6 des émissions de gaz à effet de serre sur son territoire par rapport à 1990. Concrètement, cela suppose de réduire les émissions de la France à 80 MtCO2e contre 458 MtCO2e en 2015 et 445 en 2018.

Tout cela peut sembler irréalisable, voire complétement délirant, toujours est-il que ces objectifs ont désormais force de loi. Le tribunal administratif de Paris a condamné, en 2021, l’État français pour l’insuffisance de son action climatique. L’État allemand a été condamné, la même année, par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Les tissus industriels français et allemands sont différents

Revenons maintenant au rapport de La Fabrique de l’industrie qui tente de comprendre pourquoi, d’après les données d’Eurostat, l’intensité carbone de l’industrie, définie comme le volume d’émissions directes de gaz à effet de serre (GES) par euro de valeur ajoutée, est plus élevée en France qu’en Allemagne.

La première explication tient à la différence de structure des tissus industriels des deux pays. La France a un tissu industriel dont les activités intensives en carbone sont surreprésentées : « La métallurgie, la chimie, la fabrication de produits minéraux non métalliques, l’industrie du papier carton et la cokéfaction-raffinage, qui sont les cinq industries les plus émettrices de carbone, représentaient 21% de la valeur ajoutée manufacturière française en 2021, contre 15,5% outre-Rhin ».

La Fabrique de l’industrie a calculé que « l’industrie allemande serait plus carbonée que l’industrie française si sa structure sectorielle était identique à celle qui est observée en France : son intensité carbone moyenne passerait de 290 g éq. CO2/€ VA à 412 g éq. CO2/€ VA », soit 8,5% de plus que la France.

Cette première raison explique à elle seule 77 % de l’écart d’intensité carbone entre l’industrie française et l’industrie allemande. Le reste pourrait provenir de la seconde explication – néanmoins non chiffrable selon le rapport – qui porte sur le positionnement de gamme des deux industries.

Comme l’explique le think tank, « une industrie mieux ancrée dans la production haut de gamme dégage plus de valeur ajoutée que ses concurrentes, sans forcément produire plus d’émissions de GES, ce qui fait baisser son intensité carbone et son intensité énergétique ». Ainsi, les secteurs où le positionnement haut de gamme de l’Allemagne est le plus fort – automobile et produits métalliques – présentent une intensité carbone moins élevée que leurs homologues françaises. De même, « l’industrie française affiche une forte compétitivité hors prix dans l’aéronautique et la mode (maroquinerie et vêtements), deux secteurs où l’écart d’intensité carbone est, cette fois, en faveur de la France ».

Le document de La Fabrique de l’industrie examine ensuite les quatre principales industries émettrices de GES, à savoir la production d’acier, de ciment, de verre, l’industrie chimique et du raffinage de pétrole, en recalculant les intensités carbone non plus par euro de valeur ajoutée mais par tonne de matière produite. Nous n’entrerons pas dans le détail de ces études de cas et laissons les lecteurs intéressés consulter l’étude.

En conclusion, le rapport indique que l’intensité carbone a vocation à devenir un indicateur critique de compétitivité de l’industrie européenne, à mesure que les quotas carbone en circulation sur le SEQE (système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union européenne) sont de moins en moins nombreux et de moins en moins gratuits.

L’Europe, futur désert industriel

En revanche, elle ne dit rien des effets à long terme des politiques climatiques mises en œuvre dans les pays européens sur leur industrie. En effet, comme l’a montré l’Iref, « le plan pour une “industrie net zéro” risque de se muer en plan pour une “industrie zéro”, ou en tout cas en forte contraction ».

Le renchérissement programmé des quotas carbone va immanquablement conduire à la délocalisation des industries dans des pays imposant moins de contraintes puisqu’il est aujourd’hui impossible de décarboner l’économie au rythme où c’est prévu. Tout simplement parce que « les technologies qui pourraient réaliser cet exploit n’existent pas, et quand bien même, le rythme des investissements nécessaires pour les déployer dans un délai aussi court excèderait de loin les capacités des économies et du système financier européen ».

Et puis, cela ne sert pas à grand-chose comme l’Iref l’a démontré dans l’une de ses études, puisque l’impact climatique des politiques anti-CO2 de l’Union européenne est proche de zéro.  

Souhaitons donc que sur ce sujet nos dirigeants fassent preuve de bon sens. Les difficultés budgétaires du pays pourraient les y aider. Il arrive parfois qu’à quelque chose malheur soit bon !

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