(Par Jean Kast dans BV du 03 novembre 2024)
Un voyage décidément plein de surprises. Le 30 octobre dernier, durant son déplacement au Maroc, Emmanuel Macron a tenu une table ronde autour de la sécurité alimentaire et l’agriculture durable en Afrique. Il s’est montré très ambitieux sur les « objectifs climatiques » de chacun, usant parfois d’arguments pour le moins étonnants. Ce fut le cas, notamment, lorsqu’il fit un lien inattendu entre dérèglement climatique et montée du terrorisme.
« Voyez la situation autour du lac Tchad, quand on a subi les mutations agricoles liées au réchauffement climatique. Eh bien, on a des situations de migrations subies […] et c’est là-dessus que les terroristes s’installent et que la déstabilisation se joue », dit-il, face à une assistance qu’on imagine perplexe.
Le changement climatique et la question de l’eau sont évidemment des enjeux cruciaux dans cette partie de l’Afrique, mais en faire un moteur premier du terrorisme semble un brin « capillotracté ». D’autant plus qu’Emmanuel Macron est bien placé pour savoir quelles sont les causes réelles du djihadisme et les leviers qui permettent d’en réduire son développement. Entre 2014 et 2022, pas moins de 58 Français y ont d’ailleurs laissé la vie. Il s’agissait de soldats de l’opération Barkhane, menée au Sahel et au Sahara, contre les groupes armés islamistes de la région.
Un rapport d’information déposé en 2021 par la commission de la Défense nationale et des Forces armées détaillait la raison d’être de cette opération militaire. Sans surprise, il n’y était nullement question de sujets environnementaux. Ses auteurs indiquaient que, si la crise du Sahel est par essence multifactorielle,
« l’action militaire est la condition sine qua non de la consolidation des États et de leur développement économique »,
ajoutant que le retrait des troupes ne serait pas souhaitable pour les populations locales
« qui se trouveraient alors face à des logiques prédatrices et violentes ».
Le terrorisme n’y était pas présenté comme la conséquence d’un quelconque réchauffement climatique mais comme le fruit d’organisations bien connues :
« le Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans (RVIM) et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), deux nébuleuses djihadistes respectivement affiliées à Al-Qaïda et Daech ».
Le tabou de l’islamisme
Deux ans plus tôt, Bernard Lugan faisait le même constat, dans les colonnes de la revue Conflits. L’africaniste de renom y pointait la responsabilité de l’idéologie djihadiste et son projet mortifère de constituer au Sahel un « califat universel ».
Sans concession, il y critiquait vertement certaines de nos élites qui prétendent vouloir combattre le terrorisme par le développement, la « démocratie » et la bonne gouvernance tout en s’abstenant d’évoquer les déterminants ethniques ou religieux qui constituent pourtant les soubassements des sociétés indigènes.
« Comment mener une véritable guerre quand, par idéologie, nous refusons de nommer l’ennemi ? pointait Bernard Lugan. Comment combattre ce dernier alors que nous faisons comme s’il était surgi de nulle part, qu’il n’appartenait pas à des ethnies, à des tribus et à des clans pourtant parfaitement identifiés par nos services ? »
Souvenez-vous : à la fin août déjà, un article du Monde nous expliquait que les mariages forcés au Pakistan étaient
« en hausse à cause du dérèglement climatique ».
La démonstration semblait couler de source : les moussons étant déréglées, les Pakistanais sont pauvres et n’ont d’autre issue que vendre leur fille. Logique.