Après Michelin, le dégraissage risque de se poursuivre dans les usines françaises, craint le ministre de l’Industrie, l’automobile et la chimie étant particulièrement fragilisées, aussi bien en France qu’en Allemagne.
Le bilan social « va se compter en milliers d’emplois », selon le ministre, qui préconise une réponse européenne, notamment pour soutenir le secteur automobile. Les équipementiers automobiles européens ont déjà tiré la sonnette d’alarme face au nombre inédit de suppressions d’emplois dans le secteur.
L’industrie automobile, en perte de compétitivité par rapport à l’Asie et aux États-Unis, est touchée à la fois par le recul des ventes sur le continent, la concurrence chinoise à bas prix et la lenteur de l’électrification.
« Des annonces de fermetures de sites, il y en aura probablement dans les semaines et les mois qui viennent », a déclaré le ministre de l’Industrie M. Ferracci, le 9 novembre.
Plus largement, pour la filière automobile en difficulté, pour laquelle il a annoncé un plan d’urgence, M. Ferracci a prôné une « approche de soutien à l’industrie automobile européenne ». Quelque 32.000 suppressions de postes en Europe ont été annoncées au premier semestre 2024, soit plus que pendant la pandémie de Covid, dans ce secteur qui emploie 1,7 million de salariés en Europe.
« Les chaînes de valeur sont complètement intégrées. Vous avez des fournisseurs en Allemagne pour des constructeurs qui sont en France, et vous avez des fournisseurs qui sont en France pour des constructeurs qui sont en Allemagne. La protection commerciale vis-à-vis des véhicules chinois doit se concevoir au niveau européen », a-t-il souligné.
Parmi les mesures évoquées, il signale « un bonus écologique à l’échelle européenne », un « emprunt commun européen » pour financer des « mécanismes de soutien » à la filière.
« Dès le 1er semestre 2025, la Commission européenne a dit qu’elle allait mettre en priorité un clean industrial act, c’est-à-dire une législation européenne sur l’industrie propre dans laquelle nous pourrons mettre en place un certain nombre de mesures ».
De son côté, le ministre de l’Économie, Antoine Armand, a réagi lors de sa visite du Salon Made in France, à Paris.
« Nous sommes dans une conjoncture internationale extraordinairement exigeante avec le coût des matières premières, la question de l’énergie, des pratiques commerciales agressives venues de beaucoup de pays et donc il faut qu’on ne soit pas du tout naïfs, il faut qu’on soit extrêmement fermes et extrêmement exigeants vis-à-vis des autres plaques continentales qui viennent créer de l’instabilité et créer de la fragilité », a-t-il déclaré.
Schaeffler, Michelin, Walor : les plans sociaux se sont multipliés chez les fabricants de pièces automobiles en France et en Allemagne au cours des derniers mois. Le secteur de l’industrie automobile et des équipementiers est en proie à une crise, déclenchée par une baisse des ventes de voitures, notamment en Europe et en Chine, le marché principal des fabricants européens.
« C’est la pire période qu’on ait connue, et aussi la plus difficile en termes de durée », selon le secrétaire général de l’Association européenne des fournisseurs automobiles (Clepa), Benjamin Krieger.
« C’est dur pour les constructeurs mais ils ont compensé par des augmentations de prix. C’est plus compliqué pour les équipementiers », souligne Marc Mortureux à la Plateforme automobile, qui représente les constructeurs et équipementiers français.
En France, la fermeture de deux sites Michelin est devenue « inéluctable » en raison de la concurrence asiatique sur les pneus de camionnettes et poids lourds – les secteurs des deux usines, mais aussi de la « dégradation de la compétitivité de l’Europe », a indiqué la direction du groupe français.
Le fabricant de pneus allemand Continental a aussi annoncé début 2024 la suppression de 7150 postes dans le monde, dans le cadre d’un plan d’économies visant à accroître sa compétitivité pour la transition délicate vers la mobilité électrique.
Dans l’est de la France, Dumarey Powerglide, qui fabrique notamment des boîtes de vitesse, a vu son plus gros client, ZF, stopper ses commandes. Près de la moitié des 591 salariés vont devoir quitter l’entreprise, qui employait encore 2500 salariés il y a quelques années.
À quelques kilomètres de là, l’équipementier Walor a été racheté fin 2023 par le fonds allemand Mutares. Ses deux usines dans les Ardennes (212 salariés) fabriquent des bielles, des grosses pièces en acier essentielles pour les moteurs thermiques, mais inutiles pour les électriques.
L’automobile n’est pas le seul secteur touché
Dans l’aéronautique, la branche défense et espace d’Airbus, qui fabrique notamment des satellites et compte 35.000 salariés, devrait supprimer 2500 postes en 2026. M. Ferracci a indiqué qu’il veillerait à ce qu’il n’y ait pas de licenciements, les salariés ayant vocation à être reclassés dans d’autres entités d’Airbus.
La chimie française, particulièrement sensible aux coûts de l’énergie et de l’électricité, a dit mi-octobre craindre de perdre « 15.000 emplois » en trois ans sur 200.000, soit 8 %.
Déjà un millier de suppressions d’emplois ont eu lieu ces derniers mois chez Solvay, Syensqo, Weylchem Lamotte, qui s’ajoutent aux 670 prévues par le groupe pétrochimique ExxonMobil à Port-Jérome en Normandie.
En région Auvergne-Rhône-Alpes, la faillite de Vencorex, sur la plateforme chimique de Pont-de-Claix (Isère), met « près de 5 000 emplois en jeu » dans d’autres secteurs industriels que le groupe alimente, estime la CGT.
Là aussi, le décrochage est perceptible dans toute l’Europe. La chimie allemande, première du monde, paye les conséquences de la perte du gaz russe bon marché. Unilever, Evonik, BASF ont également annoncé des réductions d’effectifs.
La désindustrialisation a progressé au premier semestre
Les annonces de cessations d’activité dans l’industrie et l’énergie ont progressé plus vite que celles des ouvertures d’usines nouvelles au premier semestre 2024, selon le cabinet spécialisé Trendeo. Le baromètre Trendeo constitue l’un des outils de suivi des efforts de réindustrialisation du pays, depuis 2017.
De janvier à juin, Trendeo a recensé 61 annonces de fermetures d’usines ou d’ateliers de plus de 10 salariés, souvent au cours de liquidations judiciaires, une hausse de 9 % par rapport aux six premiers mois de 2023, a indiqué Yves Cousquer, le fondateur de Trendeo.
Le solde net reste encore positif, avec 18 ouvertures de plus annoncées que de cessations d’activité, mais il baisse de 30 % par rapport au premier semestre 2023 (solde de 26), ajoute le cabinet.
Ces chiffres corroborent les tendances des statistiques générales publiées par la Banque de France selon laquelle les défaillances d’entreprises ont augmenté en août, atteignant toutes catégories confondues leur niveau de 2019, c’est à dire avant la pandémie, avec un record de 50 % des faillites dans l’industrie en un an, malgré la volonté du gouvernement de réindustrialiser le pays.
La Cour des Comptes a d’ailleurs jugé « décevant » le système de détection et de traitement des PME de moins de 250 salariés en difficulté, alors que ces entreprises représentent « l’essentiel du tissu productif français ».
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