Un colloque qui prétend «dépolitiser les enjeux climatiques» s’attire les foudres de certains détenteurs de la pensée adéquate. Doit-on admettre des réalités scientifiques qui semblent faire consensus comme telles ou peut-on encore les discuter dans un climat serein et une démarche constructive ?
Le 1er décembre prochain, un colloque sur le climat est organisé dans une salle communale de Nyon. Lancé de concert par le Mouvement fédératif romand (MFR) et Planetpositive, cet événement
«souhaite présenter, par une approche rigoureuse, les dessous de l’alarmisme ambiant tout en aspirant à promouvoir un débat ouvert, non politisé et libre, sur l’évolution du climat et les questions sociétales et environnementales qui s’y rapportent», peut-on lire dans la présentation.
Plusieurs personnalités, dont des professeurs d’université, se succéderont pour aborder des questions comme :
Le réchauffement de la planète est-il un mythe ou une réalité? Le CO2 est-il vraiment le gaz de la fin des temps? Ou encore Qu’en est-il des intrications politiques et économiques des mesures prises pour lutter contre ledit «réchauffement climatique» ?
«Réalisme» ou «négationnisme» ?
Jusqu’à début novembre, les médias étaient parvenus à passer l’événement sous silence, le réservant aux initiés, mais c’était sans compter la «consternation» d’un élu nyonnais Verts et d’un historien amateur de porcelaine, qui ont tous deux interpellé le syndic de la ville pour demander à ce que l’événement soit interdit. Seulement voilà, la liberté d’expression faisant encore partie des droits constitutionnels, il n’existe pas de base légale pour interdire ce rassemblement de «négationnistes», comme aime à amalgamer – avec un goût certain pour la mesure – les parangons du discours épargné par la contradiction.
«Comment peut-on, à l’heure où le diagnostic d’écocide est plus manifeste que jamais, cautionner une manifestation ne présentant que des imposteurs dénués de toute légitimité en matière environnementale (publications dans des revues à comité de lecture)?», s’insurge par e-mail un enseignant qui se sent «trahi» de voir une tribune offerte à «la clique Esfeld et Cie».
«Ces attaques sont symptomatiques de notre époque»
Deux articles de presse et quelques noms d’oiseau plus tard, on est resté stoïque chez les organisateurs du colloque :
«Que la presse subventionnée relaie régulièrement ces demandes d’interdiction est troublant. Historiquement, les médias avaient un rôle critique vis-à-vis du système. Aujourd’hui, ils semblent plutôt relayer les positions dominantes. Cette attitude risque de les mener à leur propre perte, en aliénant le peu de lectorat qui leur reste, déclare Matthias Faeh, cofondateur de Planetpositive. Quand des élus, censés représenter le peuple, annulent des manifestations légales pour éviter un débat, cela montre qu’ils ne comprennent plus leur rôle. Leur mission est de protéger l’intérêt de tous les citoyens, et non de céder aux pressions de groupes particuliers.»
«Ces attaques sont symptomatiques de notre époque, explique encore l’arboriculteur doté d’une formation d’ingénieur. Certains, influencés par des idéologies rigides, se croient investis d’une mission pour sauver l’humanité, allant jusqu’à nier les droits des autres. C’est une posture dangereuse qui affaiblit le débat et la diversité des idées, essentiels à toute société démocratique.»
Présidente du Mouvement fédératif romand (MFR), Michelle Cailler n’en est pas à ses premières menaces. Déjà, à l’époque de la venue du médecin Louis Fouché dans le canton de Vaud, le mouvement s’était heurté à des élus de gauche humant la dérive sectaire. Mais la juriste de formation ne compte pas se laisser intimider :
«Si j’éprouve parfois de la lassitude, c’est surtout parce que je constate une certaine fixité dans les comportements (notamment des autorités qui se montrent frileuses à l’ouverture des débats qui pourtant concerne très directement leur politique), explique-t-elle. Il est crucial de persévérer, surtout si des réactions se font sentir, car toutes les voix doivent être entendues. C’est ainsi que l’on pourra parler d’un véritable exercice de la démocratie, contrairement à ce que l’on observe actuellement où seule la pensée unique est admise.»
Ces attaques régulières contre les projets de Planetepositive agacent également le journaliste Guy Mettan, qui dénonce une «chasse aux sorcières». Contacté, il explique :
«Je pensais surtout aux articles à répétition de 24 heures contre les conférences organisées par notre consœur Isabelle Bourgeois aux Ateliers de la Côte à Aubonne pendant le Covid et après. J’y suis allé une fois et la deuxième, on a dû aller à la salle communale et la dernière fois ce printemps dans une fondation privée. Ils en ont fait des tonnes et cela a dissuadé les Ateliers de la côte et certains autres organisateurs d’accueillir des événements à la suite de plaintes des locataires de commerce qui craignaient pour leurs recettes et chiffres d’affaires.»
En effet, après plusieurs articles du quotidien vaudois et de Heidi.news, dans un élan d’objectivité et de neutralité dont ils ont le secret, les organisateurs des conférences d’Aubonne ont dû se trouver de nouveaux partenaires.
Sujet tabou?
En ces temps de polarisation extrême, il est des sujets qui ont quitté les rangs du débat, sur lesquels il n’est plus permis d’avoir des doutes. Même des personnalités brillantes comme le célèbre ingénieur Jean-Marc Jancovici semblent s’être lassées de voir certaines réalités scientifiques constamment remises en cause. Jusqu’à estimer qu’il n’est plus utile d’en parler. Lors d’un échange sur le sujet, le fondateur du ShiftProject nous a fait parvenir un ancien billet de son cru, dans lequel il explique pourquoi les journalistes qui offrent une tribune aux personnes remettant le réchauffement climatique en question sont irresponsables.
Extraits:
« Lorsque vous (les journalistes, ndlr.) invoquez le droit au débat ou à l’information pour relayer sans vous poser plus de questions que cela des Allègre et consorts, vous vous trompez : ce que vous réclamez, c’est le droit à l’imposture. Votre comportement n’est pas plus légitime que si vous demandiez à ce que, après chaque cours dispensé au collège, les élèves aient, au nom de ce droit (au débat), un cours leur exposant exactement l’inverse de ce qu’ils viennent d’entendre. Vous pourriez ajouter que c’est avec la diversité des opinions que les élèves pourront se forger la meilleure conclusion. Vous seriez d’accord pour votre propre rejeton ? Le prof de physique explique que la lumière va en ligne droite? Vite, donnons de l’espace à un prof différent – à qui on se gardera bien de justifier comment il a pu parvenir à cette conclusion – expliquant qu’elle fait des zigzags, à preuve les éclairs d’orage ne sont pas rectilignes (pour ceux qui n’auraient pas saisi la nuance, un éclair est un courant électrique, pas un rayonnement lumineux!). »
(Re)lire notre interview avec Jean-Marc Jancovici: «Le Covid a été une sorte de répétition générale»
« La base de votre imposture, c’est qu’en invitant des «contestataires» à l’égal des experts techniques légitimes, vous laissez croire que vous avez la capacité de vous poser en arbitre – ou en juge du fond – des débats scientifiques, alors que vous n’avez ni la compétence, ni les connaissances préalables, ni le temps pour faire cela. »
Est-ce que tout ce qui précède signifie que la presse n’aurait pas le droit de rapporter des débats en matière de science? Évidemment que si, mais… en se limitant aux débats mis en avant par la communauté scientifique elle-même, qui est la mieux placée pour savoir de quoi il retourne, et qui, contrairement à une idée implicite qui circule parfois, possède des forces de rappel très importantes contre la création de complots. L’une d’elles est toute simple: le scientifique qui parvient à prouver, dans les règles de l’art, que ce qui semblait acquis auparavant est en fait invalide dans certaines circonstances devient un candidat sérieux pour le Nobel si sa conclusion remet en cause une cascade de conséquences. »
Une vision des choses et du débat qui ne convainc pas Isabelle Alexandrine Bourgeois, l’une des organisatrices du colloque climatique, qui a pris le temps de lire le pamphlet jancovicien :
«Pourquoi ne se questionne-t-il pas de savoir si la science peut être instrumentalisée par les jeux de pouvoir ou par le devoir de rentabilité de certaines entreprises comme l’industrie pharmaceutique qui finance des laboratoires de recherche ou qui pratique le greenwashing, en particulier dans le domaine de l’environnement ?, s’interroge l’infatigable journaliste. Ce n’est pas très compliqué de comprendre que les puissants aujourd’hui financent une bonne partie de la science et des universités.
Jean-Marc Jancovici défend une vérité absolue à laquelle tout le monde devrait se soumettre. Et on sait où mènent les vérités absolues… En fin de compte, qui se pose en arbitre de la vérité, les journalistes qui invitent des «outsiders» à nourrir le feu de la réflexion par le partage des opinions ou Jean-Marc Jancovici qui veut nous imposer une idéologie unique ?»
Cette dernière est d’autant plus concernée par les attaques, que l’une de ses conférences vient d’être annulée par la commune d’Aubonne, qui a considéré qu’elle ne pouvait décemment pas laisser s’exprimer un orateur sous pseudonyme.
Mais si Aubonne flanche, Nyon ne rompt pas et le colloque climatique aura bien lieu le 1er décembre, dans la salle communale (plus d’info ci-dessous). Ce sera cependant le dernier rassemblent organisé par Planetpositive, qui a annoncé la fin de ses activités hier.
Une fois de plus, les détracteurs d’un rassemblement «controversé» n’ont réussi qu’à attirer les regards vers l’événement qu’ils dénoncent, avec le concours de ceux qui tentent de façonner l’actualité à l’image de leur idéologie.
Les plus farouches défenseurs de la pensée unique ne sont décidément pas les couteaux les plus aiguisés du tiroir. Peut-être feraient-ils mieux d’accepter qu’il y aura toujours des avis divergents et que, loin d’être dangereux pour la démocratie, comme ils aiment à les qualifier sous une poussée d’inversion accusatoire, c’est ce qui fait la beauté et surtout l’intérêt d’une vie en société.