« les batteries restant limitées à des équilibrages de charge de court terme et les centrales gaz restant encore pour longtemps indispensables à la compensation de l’intermittence« .
Batteries : un coût d’investissement stratosphérique
L’Allemagne compte 41 millions de foyers, soit 136 fois plus que les 300 000 ménages alimentables par Pillswood. Le calcul de la durée du stockage long est un peu plus compliquée, car les périodes de Dunkelflaute ne sont pas 100% calmes. Il s’agit de périodes presque sans soleil et sans vent entrecoupées de trop brefs épisodes de vent et soleil moyens ne permettant qu’une recharge très partielle des batteries. Des chercheurs (https://www.econstor.eu/bitstream/10419/236723/1/Ruhnau-and-Qvist-2021-Storage-requirements-in-a-100-renewable-electricity-system-EconStor.pdf) ont remonté 35 ans d’archive météo allemande et ont déterminé que la pire période de Dunkelflaute avait duré 61 jours, avec quelques périodes de recharge partielle intermittentes, nécessitant au moins 18 jours de stockage pour combler les trous.
Mais comme un stockage n’est jamais rempli à 100%, ni vidé à 100%, et que peut être, en remontant plus longtemps dans le temps, des Dunkelflaute encore plus longs auraient pu être détectés, 20 jours parait une estimation raisonnable du stockage nécessaire, soit 240 fois la durée de vie du déstockage de Pillswood. Mais évidemment, le déstockage doit alimenter non seulement les ménages, mais aussi tout le reste : industrie, tertiaire, agriculture, etc.
En Allemagne, les ménages représentent 34% de la consommation, il faut donc multiplier par 3 le stockage pour alimenter toute l’économie. Une grille allemande 100% « intermittentes + batteries » nécessiterait donc 136x240x3 stockages comme ceux de Pillswood pour se garantir contre un Dunkelflaute record. Soit quasiment 98 000 fois. Pour être exact, l’hydroélectricité allemande (11 GW installée) pourrait fournir 1/6 de la demande moyenne du pays en automne-hiver. Le potentiel hydroélectrique Allemand est bien exploité, donc ce pourcentage évoluera peu. Le chiffre ci dessus peut donc être diminué de 17%.
Il ne faudrait donc « que » 82 000 Pillswood pour garantir l’Allemagne contre un dunkelflaute record. Soit un investissement de… 7 000 milliards d’Euros. Soit presque 2 fois le PIB annuel de l’Allemagne (±4100 milliards en 2022).
Une charge insupportable par l’économie
La durée de vie de ces batteries serait au mieux de 15 ans, selon le NREL américain, (laboratoire national des énergies renouvelables), et la performance du système de batteries serait légèrement dégradée, même avec une maintenance régulière du parc. L’Allemagne devrait donc investir… 12% de son PIB chaque année pour stocker de l’électricité produite par ses éoliennes. Et pourtant, elle ne serait pas pour autant garantie contre un blackout, si les records météo du plus long Dunkelflaute devaient être battus. Et encore, ce chiffre est probablement sous-estimé. En 2024, au niveau mondial, les déploiements de batteries « Gridscale BESS » vont atteindre 42 GW de puissance et 108 GWh de stockage (source).
82 000 fois pillswood représentent 16 TWh de stockage. Sur 15 ans, cela représente environ 1TWh/an, soit… 10 fois la production mondiale actuelle de BESS. Pour la seule Allemagne ! En admettant que la population exposée mondialement à ce modèle de fourniture d’électricité atteigne 1 Milliard d’habitants, soit seulement 12% de la population mondiale, mais aussi 12 fois l’Allemagne, c’est à une multiplication de la production par 120 que la filière BESS devrait parvenir.
L’explosion de la demande induite sur les matériaux entrant la composition des batteries ferait nécessairement exploser les prix. Et historiquement, aucune supply chain d’aucun secteur n’a réussi un tel saut en volume dans un tel délai.
Oh, et j’ai oublié de signaler que contrairement à la France, où le chauffage électrique est répandu (38% des logements, dont 8% PAC), celui ci ne représente que 8% des logements allemands, contre 75% de maisons encore chauffées aux énergies fossiles. Le remplacement de ces chauffages par des pompes à chaleur, que le gouvernement allemand appelle de ses vœux, augmenterait la demande d’électricité, et donc de stockage, dans une proportion que je ne calculerai pas ici, je crois que la démonstration de l’impossibilité économique d’un stockage batterie de longue durée à grande échelle, avec les technologies actuelles, est éloquente.
« Oui, mais le coût des batteries va baisser ? »
La baisse des prix des batteries peut elle à terme les rendre envisageables ? Le NREL (National Renewable Energy Laboratory) US estime que la technologie devenant mature, les progrès vont se ralentir, et que le potentiel de baisse de prix entre 2023 et 2050 est compris entre un facteur 1,5 et 3 (source : https://www.nrel.gov/docs/fy23osti/85332.pdf). En supposant, bien sûr, que la demande exponentielle de batteries ne fasse pas exploser le coût des matériaux qui les composent, ce qui parait peu vraisemblable. Mais admettons.
« Oui mais de nouvelles technologies de batterie vont apparaître et vont changer la donne ? »
Je ne suis pas madame soleil, c’est le cas de le dire, mais ces technologies annoncées régulièrement à grand renfort de bruit médiatique, aujourd’hui, sont encore pleines d’inconnues, et les quelques alternatives étudiées pour des BESS (exemple ici, les batteries au Vanadium « Redox Flow », ou VRFB : https://capital10x.com/battery-tech-report-lithium-ion-vs-vrfbs/) opèreront au mieux dans les mêmes ordres de grandeur économiques. Bien sûr, une « invention miracle » peut survenir et changer complètement tous les ordres de grandeur ci dessus énoncés. Mais à ce stade, ladite invention miracle n’est pas encore survenue (en tout cas pas encore sortie d’un laboratoire vers les médias), et rappelons que même la plus brillante des inventions met plusieurs années pour passer du stade de la découverte à celui de l’industrialisation. On rappellera que la batterie Li-ion a été développée en labo de recherche en 1976, que sa première application industrielle dans des appareils de petite taille a attendu 1991, et sa première utilisation dans l’automobile au milieu des années 2000.
Bref, aucune politique énergétique ne peut être conduite en pariant sur un tel « miracle » hautement spéculatif.
« Mais si les batteries sont aussi coûteuses, pourquoi en déploie-t-on ? »
Aujourd’hui, le principal « Back up » des éoliennes et panneaux solaires est fourni par des centrales au gaz, émettrices de GES. De plus, l’introduction d’énergies particulièrement capricieuses en termes de variation de puissance fournie (la puissance éolienne peut passer de 100% à presque zéro en 1 à 2 heures quand le vent s’arrête) rend le travail de ces centrales de backup compliqué.
Aussi les batteries telles que celles de Pillswood servent elles principalement à répondre aux pics de demande du matin et du soir lorsqu’ils coïncident avec une baisse des ENRi. Elles font d’ores et déjà très bien ce travail, mais à un prix très supérieur à celui des centrales au gaz, sauf quand le prix du gaz connait un pic haussier à la suite d’un choc externe comme la guerre en Ukraine.
Les fermes de BESS répondent donc à un prix tout à fait prohibitif, à des problématiques qui n’existeraient pas si on n’avait pas introduit d’ENRi dans nos grilles.
« Oui mais les STEP ? et l’Hydrogène ? »
Nous avons vu qu’un pays comme l’Allemagne avait déjà bien exploité son potentiel hydroélectrique, et il en va de même pour la France. Ajoutons que la création de barrages ou même de simples bassines n’y est guère populaire, et que la politique de l’Europe est plutôt à l’effacement de barrages pour restaurer la biodiversité des cours d’eau. En France, les exploitants d’hydroélectricité estiment que son potentiel peut être augmenté de 20%. Pas négligeable, mais loin des niveaux requis. Et même si les STEP coûtent nettement moins cher que les batteries, elles n’en sont pas moins d’une rentabilité plus que douteuse, comme l’exemple de l’île espagnole d’el Hierro, que j’ai développé dans deux anciens threads (n°1, n°2) l’a amplement démontré.
Quant à l’hydrogène, le rendement de la chaine de conversion vent => production d’hydrogène => électricité est désastreux, autour de 25%. les stockages calculés précédemment devraient être augmentés en conséquence (les universitaires allemands dont j’ai cité l’étude précédemment parlent de 36 TWh au lieu de 20), mais également le nombre d’éoliennes ou de panneaux capable d’alimenter ces stockages devrait être bien plus élevé. Enfin, l’hydrogène est un matériau difficile à stocker et à transporter à cause des risques de fuite et de corrosion, ce qui induit des coûts d’infrastructure tellement stratosphériques que personne n’a jugé utile d’en estimer le coût précis à grande échelle, tant ceux ci sont irréalistes.
Conclusion Les chiffres sont formels :
Les batteries ne sont pas du tout envisageables ni aujourd’hui, ni en 2050, pour palier de longues périodes de paresse des vents et du soleil telles que nous venons d’en vivre fin octobre et début novembre.
Et les autres technologies de stockage sont une vue de l’esprit à court et moyen terme.
Voilà pourquoi les énergies renouvelables intermittentes, pour ne pas dire aléatoires ou chaotiques, auront donc besoin encore longtemps d’usines de production électrique au gaz pour assurer leur backup.
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Pour approfondir: « Energy Storage Systems: Understanding the Duration and Limitations of Energy Storage Capacity »: https://qmerit.com/blog/energy-storage-systems-understanding-the-duration-and-limitations-of-energy-storage-capacity/
« Battery university »: https://batteryuniversity.com/articles
Quelques vieux threads ou articles sur le sujet: Energie, l’anti modèle allemand provoque une hécatombe industrielle: https://x.com/vbenard/status/1854444320209699284
La centrale éolienne d’El Hierro et sa STEP, un projet idéal sur le papier, et au final : un ratage monumental et une méga-pompe à subventions.
La ferme de batteries de Pillswood, un thread : https://x.com/vbenard/status/1669587160268410881
3 réponses
Dieu soit loué, il reste l’interconnexion avec les voisins, surtout ceux qui disposent de centrales nucléaires.
Tout le monde sait que le meilleur stockage de l’énergie est constitué par les carburants synthétiques ou d’origine fossile. Leur densité énergétique massique et leur densité énergétique volumique sont imbattables!
Mais il faut une énergie autre pour les obtenir! Le nucléaire est le bon candidat pour cela.
« »Voilà pourquoi les énergies renouvelables intermittentes, pour ne pas dire aléatoires ou chaotiques, auront donc besoin encore longtemps d’usines de production électrique au gaz pour assurer leur backup. » »
Oui, car les ENRi aléatoires ne sont pas ce que prétendent leurs promoteurs individuels, mais seulement, quand le combustible est cher, une économie sur le combustible des centrales pilotables Principales ! RIEN QUE. (et donc absurdes en France face au combustible nucléaire, mais bien utiles pour les allemands et économiser charbon et gaz grâce au vent français et à l’argent des clients et contribuables français qui subventionnent les ENRia prioritaires ).
Ceci étant dans les pays ensoleillés, c’est déjà rentable d’utiliser des batteries pour stocker l’électricité de l’après-midi, (déjà excédentaire en France) et alimenter la pointe du soir. Ya déjà des MW installés de par le monde, notamment dans les régions où le prix n’est pas régulé ni les ENRi dotés de priorité d’injection.