(par Élodie Messéant dans IREF du
Un débat organisé à l’Assemblée nationale a soumis à des personnalités issues de divers horizons la question suivante : « Faut-il décroître pour survivre ? ». Parmi les invités figuraient l’économiste Timothée Parrique, le philosophe Gaspard Koenig, la militante écologiste Camille Étienne et le réalisateur Cyril Dion. Aucun d’entre eux ne s’est opposé frontalement à la décroissance. La discussion s’est principalement articulée autour des modalités ou des variantes du concept plutôt que sur son bien-fondé. Tous se sont accordés sur un point essentiel : une transformation profonde de notre modèle sociétal est inévitable, mais la voie à emprunter est incertaine. Examinons leurs arguments.
La croissance : des coûts supérieurs aux bénéfices ?
Pour Timothée Parrique, la consommation actuelle engendre des coûts sociaux et environnementaux supérieurs aux bénéfices. La décroissance serait donc une réponse logique pour réduire ces coûts et préserver les ressources naturelles. L’économiste ne prend toutefois pas la peine d’étayer son propos et ne donne aucune information sur la méthode employée pour évaluer ces fameux coûts. L’argument paraît d’autant plus fragile que ce sont précisément les pays développés qui sont le plus à même de gérer les « coûts sociaux et environnementaux », comme la pollution, grâce aux évolutions technologiques (traitement des effluents industriels, purificateurs d’air, techniques de dépollution des sols, etc.).C’est notamment pour cette raison que les pays émergents ont besoin de croître pour développer des technologies bas carbone et pour s’affranchir progressivement des énergies fossiles.
La croissance : une notion dépassée ?
Camille Étienne considère que ce qui importe aux Français, ce n’est pas nécessairement de progresser sur le plan économique, mais de pouvoir « croître en bonheur, en éducation et en salaire ». Cela revient à dire, à demi-mot, qu’il vaudrait mieux utiliser des indicateurs alternatifs à la croissance, comme la qualité de vie ou le « bien-être ». Il est évident que la plupart des Français ne se lèvent pas le matin en réfléchissant à des indicateurs en apparence éloignés de leurs préoccupations du quotidien. Pour autant, la croissance est plus qu’un simple outil pour évaluer l’activité économique. Dans l’écrasante majorité des cas, une croissance plus rapide s’accompagne d’une diminution du nombre absolu de personnes vivant dans la pauvreté, d’une baisse de la mortalité infantile et d’un meilleur accès aux soins et à l’éducation. Troquer le PIB ou la croissance contre la qualité de vie ou le « bien-être » est une chimère : ces indicateurs sont subjectifs, propres à chaque individu, et donc difficiles, voire impossibles, à mesurer.
Par ailleurs, les partisans de la décroissance sont-ils conscients que leur modèle de société signifierait la fin, à très bref délai, de notre « modèle social » si cher aux yeux des Français ? Sans création de richesse, l’État français n’aurait jamais pu se montrer aussi redistributif, offrir la gratuité (très illusoire) des soins et verser autant d’aides sociales. Aucun des participants n’est capable de répondre sérieusement à cette question autrement que par moult contorsions intellectuelles ou solutions irréalistes, comme le paiement des impôts en monnaie-temps.
La décroissance peut-elle être volontaire ?
Gaspard Koenig a suggéré que la décroissance pourrait être choisie au travers d’une sobriété volontaire, en triant entre l’essentiel et le superflu, tout en préservant le progrès économique. Il est peu probable que ce soit possible à grande échelle, sauf à imposer aux individus une vision uniforme et contraignante de ce qui est « essentiel » et de ce qui ne l’est pas, de ce qui est « superflu » et de ce qui ne l’est pas. Cette approche serait d’autant plus complexe qu’elle soulèverait des enjeux démocratiques et de libertés individuelles. Qui serait le plus à même de décider ? La majorité ? Au nom de quoi ? La « crise climatique » ? Érigée en objectif commun, la décroissance exigerait sans aucun doute une gestion autoritaire.
Un concept sans base scientifique solide
Les intervenants se sont bien gardés de préciser que la plupart des études sur la décroissance, toujours plus nombreuses depuis une quinzaine d’années, n’ont aucune base scientifique solide et reposent rarement sur des modèles ou sur des données (moins d’une sur cinq les meilleures années).
Les rares études quantitatives et qualitatives se concentrent sur de petits échantillons sans la moindre représentativité, ce qui empêche de tirer des conclusions sur les impacts systémiques de la décroissance. Nous pouvons citer, par exemple, l’étude « Communauté, biens communs et décroissance à l’écovillage de Dancing Rabbit » qui s’intéresse à l’expérience d’un écovillage d’environ 35 personnes dans le Missouri, aux État-Unis ; l’étude « La production partagée basée sur les biens communs au service de la décroissance ? », qui s’appuie sur 7 entretiens avec les membres d’une association en faveur du développement des éoliennes en milieu rural ; ou encore l’étude « L’expérience des squats ruraux à Collserola, Barcelone » qui suggère qu’il est possible de bien vivre dans une économie à faible intensité… après avoir analysé le fonctionnement de deux squats en Espagne.
Conclusion
Ce débat de plus de deux heures à l’Assemblée nationale a illustré la loi de Brandolini ou le principe d’asymétrie des baratins : il est toujours plus fastidieux de déconstruire des erreurs que d’en diffuser. On peut s’étonner que l’Assemblée nationale ait organisé avec autant de légèreté une discussion sur une idée dont les répercussions seraient potentiellement d’une extrême gravité si elle était mise en œuvre. On peut aussi regretter que le panel des intervenants n’ait pas été plus riche, plus divers, davantage axé sur la réalité économique et sur l’état des connaissances scientifiques. Comment peut-on prétendre contribuer à un débat démocratique sain en ne laissant aucune place au moindre point de vue critique dès le départ ? La seule décroissance souhaitable serait plutôt celle des militants hors sol, des citadins privilégiés et d’une partie de la classe politique qui prétendent dicter à la terre entière comment vivre ou produire.
3 réponses
L’ARCOM n’est pas intervenue.
Selon le premier argument avance, il faut immédiatement arrêter la production d’énergie verte.
Dans une économie en décroissance, comment rembourser une dette souveraine de 3,3 TRILLIONS (3,6 en fin d’année) à laquelle il faudra rajouter quelques trillions de plus pour le Net Zéro Carbone, alors qu’actuellement en phase de croissance (faible) le pays en est incapable ???
Personne parmi les utopistes décroissants n’a la réponse. Sauf celle du trait de plume rageur sur ces chiffres insolents.