L’Arctique, le gaz naturel et les vraies banques : un trio d’avenir

(Article initialement paru dans Contrepoints du 7 décembre 21)

La France — mais aussi l’Union européenne — continue de croire qu’elle est au centre du monde de l’énergie. L’objectif illusoire d’une décarbonation rapide de l’économie du « continent européen » aveugle jusqu’aux banques et les médias.

Dans une logique dont on ne sait si elle frise l’orgueil ou l’aveuglement, les médias européens et français ont titré que la France refuse le soutien au projet gazier Arctic LNG2, alors que Reuters titre plus sobrement « Le projet russe Arctic LNG2 obtient des prêts d’un montant de 9,5 milliards d’euros ». Libération précise que la décision française est saluée par les ONG écologistes. Tremblez, producteurs de gaz, la France qui n’en produit pas ne vous financera pas !

Des banques croient à l’avenir des énergies fossiles

Pourtant ce qui a déclenché cette joie incompréhensible est exactement l’inverse du message communiqué de presse de Novatek, puisque ce projet annonce avoir bouclé son financement le 30 novembre 2021, grâce à des banques russes et internationales, notamment la China Development Bank et l’Export-Import Bank of China. Un crédit pour un montant total de 2,5 milliards d’euros pour une durée maximale de 15 ans a été accordé à ce projet de production, liquéfaction et transport par méthanier de gaz naturel. Des banques de pays de l’OCDE dont la Japan Bank for International Cooperation apporteront 2,5 milliards d’euros ; on mentionne également SACE (société italienne d’assurance-financement spécialisée dans le soutien aux entreprises) que nous allons mentionner ci-après. Le reste du financement sera apporté par des banques russes.

Les ONG écologistes se réjouissent que Bpifrance, la banque publique d’investissement française, n’ait pas accordé de crédit à l’exportation à TotalEnergies, partenaire du projet Arctic LNG2. Ils pensent que cela découle de l’engagement du président Macron pris lors de la COP26 de ne plus financer les projets d’énergies fossiles à l’étranger. Bien entendu, cela n’a pas arrêté le projet.

Les hommes politiques ont du mal à apprendre du passé. Emmanuel Macron avait convoqué le 12 décembre 2017, à Paris, une conférence pour les donateurs de la promesse de fonds de Cancún et répétée à Paris lors de la COP21. Le « One Planet Summit » avait réuni les délégations de 130 pays, quatre mille dirigeants mondiaux, cadres d’entreprises, maires, ONG, associations caritatives et même des stars de cinéma comme Sean Penn ou Marion Cotillard. À cette occasion, Jim Yong Kim, le président de la Banque mondiale avait déclaré que pour atteindre les objectifs de Paris la Banque mondiale cesserait de financer les projets pétroliers et gaziers après 2019.

Greenpeace avait déclaré avec joie que « la Banque mondiale a envoyé un vote de défiance accablant pour l’avenir de l’industrie des combustibles fossiles ». Le lendemain, à Milan, le géant italien des hydrocarbures ENI annonçait la finalisation de la vente à ExxonMobil d’une participation de 25 % dans le projet gazier de Rovuma au Mozambique pour 2,8 milliards de dollars.

Pour réunir ce montant, il avait fallu faire appel à un consortium de 15 banques internationales (Natixis, Société Générale, Crédit Agricole, Abn-Amro, BNP Paribas, Bank of China, etc.) et cinq agences de crédit à l’exportation (la Sace italienne, la Coface française, la Sinosure chinoise, et K-Sure et K-Exim coréennes). Il est piquant de noter que l’actionnaire de référence d’ENI est le gouvernement italien, dont le ministre de l’Environnement, Gian Luca Galletti, participait au One Planet Summit.

Arctic LNG2, un succès russe comme le projet Yamal

Lorsque Vladimir Poutine a compris que le transport du gaz liquide par méthanier avait déjà changé en profondeur le marché mondial, afin que la Russie reste un acteur mondial il fallait s’investir avec détermination dans le développement du gaz naturel liquide ( GNL, LNG en anglais d’où le nom Arctic LNG2).

Le président de la Russie a commencé par enlever le monopole d’exportation de gaz à l’entreprise étatique Gazprom, ne lui laissant, si on peut dire, que le néanmoins important monopole d’exportation par gazoduc. L’entreprise privée russe Novatek et TotalEnergies (alors Total) ont lancé le vaste projet de Yamal LNG du nom de la péninsule au nord-ouest de la Sibérie à l’ouest entre la mer de Kara et le golfe de l’Ob. Yamal qui signifie en langue nenets fin du monde porte bien son nom, puisqu’à part le froid et la très longue nuit une grande partie de l’année il n’y a rien… sauf du méthane.

L’installation d’extraction et de liquéfaction du gaz de Yamal est implantée près du port de Sabeta d’où partent les méthaniers chargés de GNL. Elle a été inaugurée en grande pompe par Vladimir Poutine le 5 décembre 2017. Vu que pour sortir du golfe de l’Ob en hiver — période de l’année où on a le plus besoin de gaz — il faut affronter les glaces qui le bloquent, le projet a été complété par la construction de treize méthaniers brise-glace, une première mondiale.

Puisqu’en hiver le passage maritime du Nord est bloqué, ces méthaniers brise-glace vont décharger leur cargaison dans les terminaux gaziers en France, Belgique ou Angleterre et de là le méthane sera transféré dans des méthaniers classiques pour alimenter la Chine, la Corée du Sud et le Japon en passant par le Golfe de Suez et l’Océan indien. Impressionné par le gigantisme et la réussite de la réalisation, comprenant aussi la portée géopolitique de cette stratégie, quelques jours après l’inauguration, à l’occasion de son message au peuple russe pour la Noël 2017, le président russe a donné instruction à son gouvernement de faire de la Russie le leader mondial non seulement de la production de GNL, mais aussi de toute la filière industrielle.

C’est pourquoi le projet Arctic LNG situé sur la rive est du golfe de l’Ob, est une pièce maitresse de la stratégie de la nouvelle géopolitique de l’énergie, celle du gaz naturel. Cela explique aussi en partie pourquoi Poutine n’a pas fait le déplacement à Glasgow. Il n’est pas, comme les Japonais qui à Glasgow ont fait semblant d’adhérer à toute la propagande de la décarbonation, mais qui sont loin d’abandonner les énergies fossiles.

Selon Bloomberg, des responsables gouvernementaux ont discrètement incité les maisons de commerce, les raffineurs et les services publics à ralentir leur abandon des combustibles fossiles, et ont même encouragé de nouveaux investissements dans des projets pétroliers et gaziers.

Seules l’idéologie verte ou la jalousie industrielle peuvent stimuler les banques à refuser de participer à ce projet au prétexte qu’il va produire de l’énergie fossile. Il a bouclé son plan de financement et sera un succès autant que celui de Yamal. D’ailleurs, les principales entreprises qui ont porté le projet Yamal ont été rejointes par d’autres, tout aussi importantes. Les actionnaires d’Arctic LNG2 sont : NOVATEK, TotalEnergies, les deux entreprises chinoises CNPC et CNOOC, et le consortium japonais Mitsui-Jogmec.

Les actionnaires et les promoteurs politiques du mégaprojet projet Arctic LNG2 n’ont que faire des états d’âme de la banque publique française et encore moins des ONG écologistes françaises. Il se fera, car — COP26 ou même COP99 — le monde a et aura un besoin croissant d’énergie, l’énergie — la même notion physique que le travail — étant indispensable pour permettre à une population mondiale en croissance de travailler et de vivre dignement en se libérant de la décroissance et de l’esclavage de l’énergie musculaire prônée par les écologistes. Puisque, après près de 50 ans de recherche et développement et de réglementations diverses et après avoir dépensé entre 2000 et 2020 plus de mille milliards d’euros, l’UE est parvenue à atteindre seulement 2,9 % de son bilan en énergie primaire avec des éoliennes et des panneaux solaires, le monde ne fait pas confiance à l’UE pour assurer son avenir vital en énergie. Ce 2 décembre, la même Novatek et PetroVietnam Power ont signé un accord de coopération sur les projets de GNL et d’électricité au Vietnam.

Le développement de la route maritime du Nord

On notera au passage qu’Euronews — la voix de la Commission européenne — en profite pour reparler du changement climatique en donnant une fausse information :

« La Russie a profité du blocage du canal de Suez en mars dernier et de la fonte des glaces, une conséquence du réchauffement climatique, pour promouvoir sa route maritime dans l’Arctique. Elle permet aux navires de réduire de 15 jours le trajet vers les ports asiatiques par rapport au canal de Suez ».

D’abord, il ne s’agit pas de « la Russie », mais du consortium d’entreprises autour de Novatek. De plus, ce groupe a toujours fait naviguer ses méthaniers par la mer de Sibérie orientale dès que le blocage annuel par les glaces disparait. La route maritime du Nord, qui relie l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Russie (anciennement appelée passage du Nord-Est), n’est pas ouverte en été à cause du changement climatique comme le dit Euronews.

Après les explorateurs (Barent, Amudsen, …) qui l’ont traversée, son exploitation commerciale débuta en 1935. L’URSS a même créé l’agence Glavsevmorpout pour la gérer. Bien entendu, ce passage relève une importance stratégique grandissante tellement le commerce avec la Chine va se développer et pas seulement dans le domaine de l’énergie. La Russie est tenaillée entre sa vision historique définie par le droit russe comme « une voie de communication nationale de transport historiquement établie » et ses nouvelles obligations découlant de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) d’ouvrir cette route maritime du Nord.

Dans son « Plan de développement des infrastructures de la route maritime du Nord pour la période allant jusqu’en 2035 », la Fédération de Russie encourage l’augmentation des transports internationaux entre les pays d’Europe. Changement climatique ou pas, la route maritime du Nord a de beaux jours devant elle, d’autant plus qu’une nouveauté pointe reliant énergie, émissions de CO2 et route maritime du Nord.

En 1958 le sous-marin américain Nautilus fut le premier navire à propulsion nucléaire à naviguer sous la banquise du pôle Nord ; en 1959 le brise-glace soviétique Lénine fut le premier navire de surface à propulsion nucléaire à franchir route maritime du Nord.

Depuis, les progrès sont impressionnants et notamment Rosatom prépare l’utilisation de réacteur nucléaire de petite taille pour la navigation commerciale ; l’entreprise danoise Seaborg et cette britannique de Core Power également. Préparons-nous à avoir davantage de propulsion nucléaire et pourquoi pas pour transporter plus de gaz naturel de l’Arctique, qu’Euronews se passionne pour le changement climatique ou pas et que les banques françaises les financent ou pas.

Le verdissement de la finance

De plus en plus de banques des pays de l’OCDE refusent de financer les projets d’énergies fossiles dont le monde a grandement besoin. Lors de la COP26 a été créé la « Glasgow Financial Alliance for Net Zero » (GFANZ) par 450 entreprises financières dans 45 pays. Politiquement correcte, elle entend utiliser la réglementation et les subventions gouvernementales en faveur de la décarbonation pour en retirer des bénéfices garantis et sans risque, quitte à mettre en faillite celles du secteur qui ont créé notre monde de prospérité.

L’ivresse de l’illusion de la décarbonation est préoccupante, au point que Saule Omarova, nominée par l’administration Biden pour la direction de la régulation bancaire des États-Unis a ouvertement déclaré que « nous voulons que [les entreprises pétrolières et gazières] fassent faillite » et que « la façon dont nous nous débarrassons de ces financiers du carbone est de les priver de leur source de capital » (vidéo ici — elle a déclaré regretter cette phrase lors de son audition au Sénat américain, mais qui peut la croire ?).

La politique climatique et non pas le changement climatique vont les couper du monde en progrès et elles se cantonneront à une économie étatiste (que les dupes qualifient d’ultralibérale) faite de subsides et de prix garantis aux antipodes de leur métier qui implique la prise de risque. Ce seront les banques de Russie et des pays asiatiques qui vont assurer le progrès vers l’énergie abondante et bon marché et ainsi renforcer leur contrôle sur la géopolitique du monde au détriment des pays de l’OCDE.

L’UE est à la base de cette politique de décarbonation et donc de la crise qui pointe. Dommage, nous étions si bien partis pendant un demi-siècle en œuvrant pour disposer d’énergie abondante et bon marché !

 

Le dernier ouvrage de Samuele Furfari est Écologisme. Assaut contre la société occidentale (Éditions VA)

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