Article de David Stadelmann initialement paru dans IREF du 8 Décembre 21
Selon le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la température a augmentée de 1,1°C entre 1850 et 2010. Plusieurs pays dans le monde ont connu des augmentations des températures moyennes proches de 2°C. De 1820 à 2016, le produit intérieur brut (PIB) par habitant a été multiplié par 25 environ dans la plupart des pays occidentaux et par 13,5 dans les pays non occidentaux. Cette croissance économique a été associée à d’énormes améliorations de différents indicateurs du bien-être humain, tels qu’une espérance de vie plus élevée, une mortalité infantile plus faible et une malnutrition moins importante.
Le GIEC prévoit que les températures moyennes seront jusqu’à 3°C plus élevées au cours de la période 2041-2060 par rapport à la période 1850-1900. Les conséquences de ces hausses de température, telles que l’élévation du niveau des mers, la fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes et la modification des habitats végétaux, auraient un impact négatif sur la nature. Un réchauffement de la planète pourrait également avoir un impact négatif sur les vies humaines, par exemple en mettant en péril la sécurité alimentaire ou en contribuant à la propagation de maladies, notamment dans les régions les plus vulnérables du monde. Dans quelle mesure le changement climatique pourrait-t-il affecter le bien-être humain ? Un article récemment publié dans Economic Policy et un récent document de travail de l’IREF examinent de près le lien entre l’augmentation de la température d’une part et la croissance économique d’autre part.
Croissance économique et température
La performance économique d’un pays est fonction de ses facteurs de production et de l’efficacité de leur utilisation. Les facteurs de production comprennent généralement la terre, le capital physique (par exemple, les machines) et le capital humain (par exemple, une main-d’œuvre qualifiée). Des températures plus élevées peuvent nuire au développement économique en réduisant la disponibilité et la productivité de ces facteurs, de multiples manières : un risque accru de sécheresse affaiblirait les cultures, un changement climatique pourrait exacerber les conflits liés aux ressources, notamment les terres arables, réduisant donc les investissements et par conséquent la croissance…Cependant, dans certains pays et secteurs, des impacts positifs peuvent être envisagés.
Plusieurs recherches empiriques, au niveau transnational, confirment qu’il existe une relation entre température et développement économique. En général, les pays les plus chauds sont les plus pauvres. Se fondant en partie sur ces études, le GIEC prévient que le changement climatique pourrait constituer une menace pour le développement économique mondial futur et, par conséquent, pour le niveau de vie humain. Dans sa conférence du prix Nobel, William D. Nordhaus aborde également les liens entre le changement climatique et les impacts économiques ainsi que les conséquences des politiques climatiques sur la croissance économique.
De nombreux travaux de recherche qui examinent, au niveau surtout national, la relation entre la température moyenne d’un pays et le revenu par habitant, constatent que, de nombreux autres facteurs diffèrent et changent la donne d’un pays à l’autre. En Afrique par exemple, beaucoup de pays souffrent d’un mauvais état de droit, d’un manque de libertés économiques ou de conflits ethniques causés, entre autres, par la délimitation arbitraire des frontières par les anciens dirigeants coloniaux. Il est raisonnable de supposer que ces conditions politiques et sociologiques ont plus profondément affecté le développement économique que les conditions naturelles en général ou la température en particulier. Elles ne sont pas nécessairement prises en compte de manière adéquate dans les études comparatives par pays, même si des techniques économétriques plus sophistiquées sont utilisées. Cela soulève le risque d’un biais pertinent lors de l’analyse de tout impact potentiel de la température sur la prospérité.
Du niveau national au niveau régional
L’utilisation de données régionales (c’est-à-dire infranationales) sur les conditions climatiques et économiques peut enrichir les analyses existantes au niveau national. Leur analyse montre qu’il existe des différences considérables dans les conditions climatiques au sein des pays, il suffit de penser aux régions de Russie (la République de Sakha par rapport à la région de Krasnodar) ou des États-Unis (l’Alaska par rapport à l’Arizona). Des variations similaires sont observables en ce qui concerne le développement économique régional : certaines régions d’un même pays sont relativement pauvres, d’autres relativement riches. Un examen spécifique des entités infranationales dans un pays permet, grâce à des techniques d’estimation économétrique, d’exclure tous les facteurs de confusion potentiels qui influencent le développement économique au fil du temps. C’est précisément l’approche méthodologique adoptée dans deux études récentes référencées ci-dessus dans Economic Policy et sur le site de l’IREF.
La première étude (celle d’Economic Policy), tente de déterminer si les régions les plus chaudes d’une nation sont nécessairement les plus pauvres. Pour un ensemble de données d’environ 1 500 régions dans 83 pays, il n’existe pas de relation statistiquement robuste entre la température et le revenu par habitant au niveau infranational. Ce résultat suggère que la relation mise en évidence en partie au niveau national par la littérature existante ne se reflète pas de la même manière au niveau infranational, et qu’elle néglige peut-être d’autres facteurs liés à la croissance et au développement qui diffèrent au sein des pays.
Cependant, l’étude ne permet pas de tirer des conclusions définitives. Par ailleurs, les effets climatiques peuvent être contrés par la croissance elle-même. Le document de travail de l’IREF analyse, lui, l’effet à plus long terme de la hausse des températures sur le développement économique régional et recherche les facteurs spécifiques aux pays qui peuvent faciliter l’adaptation des régions à la hausse des températures.
L’étude montre qu’à court terme, il n’y a pas de corrélation entre la hausse des températures et la croissance économique, même en tenant compte d’autres variables régionales.. La hausse peut en revanche avoir un impact négatif sur la prospérité à plus long terme, et les seules régions alors touchées semblent situées dans des pays qui n’offrent pas de possibilités d’adaptation suffisantes, possibilités fortement liées à un niveau de revenus élevés, une démocratie forte et un état de droit solide. Un environnement économique et institutionnel favorable est généralement considéré comme fondamental pour la croissance économique, beaucoup plus déterminant que les conditions climatiques.
En résumé, en ce qui concerne les études comparatives entre pays, si l’opinion dominante estime que des températures élevées et en hausse peuvent réduire la croissance et les revenus, l’examen du niveau infranational permet d’obtenir une image plus nuancée et de nouvelles perspectives. Premièrement, les régions les plus chaudes ne sont pas nécessairement les plus pauvres. Deuxièmement, les dommages économiques potentiels liés à des températures plus élevées surviendraient plutôt à plus long terme, ce qui laisse le temps de s’adapter. Troisièmement, les résultats suggèrent que les facteurs économiques et institutionnels peuvent être renforcés afin de réduire ou d’éviter les impacts économiques potentiels des températures plus élevées et de favoriser la croissance économique dans le même temps. Ainsi, le climat ne détermine pas nécessairement le destin économique.