Vers un “Plan B” pour le changement climatique

(Article publié par Judith Curry dans le dernier numéro d’International Affairs Forum du 2 Avril 2022)

Le thème de ce numéro est le changement climatique et l’énergie. L’article de Judith Curry est l’un des vingt articles publiés. Toute une série de sujets sont abordés. Son article est le moins alarmant d’entre eux. 

En voici la traduction :

Un “plan B” pour faire face au changement climatique et à la transition énergétique

Le changement climatique est de plus en plus souvent qualifié de crise, d’urgence, de menace existentielle et, plus récemment, de “code rouge”. Le changement climatique est devenu un grand récit dans lequel le réchauffement climatique d’origine humaine est considéré comme la cause principale des problèmes sociétaux. Tout ce qui va mal renforce la conviction qu’il n’y a qu’une seule chose que nous pouvons faire pour prévenir les problèmes sociétaux : arrêter de brûler des combustibles fossiles. Ce grand récit nous amène à penser que si nous arrêtons de toute urgence de brûler des combustibles fossiles, ces autres problèmes seront également résolus. Ce sentiment d’urgence réduit les points de vue et les options politiques que nous sommes prêts à envisager pour traiter non seulement de nos systèmes d’énergie et de transport, mais aussi de questions complexes telles que la santé publique, les ressources en eau, les catastrophes climatiques et la sécurité nationale.

Alors, qu’est-ce qui ne va pas exactement avec ce grand récit du changement climatique ? En un mot, nous avons simplifié à l’extrême le problème du changement climatique et ses solutions. La complexité, l’incertitude et l’ambiguïté des connaissances actuelles sur le changement climatique ne sont pas prises en compte dans les débats politiques et publics. Les dangers du changement climatique d’origine humaine ont été confondus avec la variabilité naturelle du temps et du climat. Les solutions qui ont été proposées pour éliminer rapidement les combustibles fossiles sont technologiquement et politiquement irréalisables à l’échelle mondiale.

Comment en sommes-nous arrivés au point où l’on prétend que nous sommes confrontés à une crise future, alors que la principale solution, à savoir une réduction rapide des émissions mondiales, est jugée pratiquement impossible ? La source de cette énigme réside dans le fait que nous avons décrit à tort le changement climatique comme un problème inoffensif, avec une solution simple. Le changement climatique est mieux caractérisé comme un problème complexe. Il s’agit d’un problème complexe dont les dimensions sont difficiles à définir et qui évolue avec le temps. Un désordre est caractérisé par une résistance au changement et des solutions contradictoires et sous-optimales qui créent des problèmes supplémentaires. Traiter un problème complexe comme s’il s’agissait d’un problème mineur peut aboutir à une situation où le remède est non seulement inefficace, mais pire que la maladie présumée.

En ce qui concerne spécifiquement la science du climat, il y a quelques bonnes nouvelles. Des analyses récentes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) indiquent que les risques extrêmes liés au réchauffement de la planète, associés à des émissions très élevées et à une sensibilité climatique élevée, ont diminué et sont désormais considérés comme improbables, voire invraisemblables.

En outre, les projections climatiques du GIEC négligent les scénarios plausibles de variabilité naturelle du climat, dont on sait qu’elle domine la variabilité climatique régionale sur des échelles de temps interannuelles à pluridécennales. Abstraction faite de l’importance relative de la variabilité naturelle du climat, les réductions d’émissions ne contribueront guère à améliorer le climat du 21e siècle – si l’on en croit les modèles climatiques, la plupart des effets des réductions d’émissions se feront sentir au 22e siècle et au-delà.

Quelle est l’urgence d’une transition énergétique ?

Sous les auspices de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le monde s’efforce d’atteindre un taux d’émissions de carbone nul d’ici à 2050. C’est ce que j’appelle le plan A. En vertu du principe de précaution, le plan A part du principe qu’il est essentiel de réduire rapidement les émissions de CO2 pour éviter un réchauffement dangereux du climat.

Malgré les nombreux traités et accords des Nations unies visant à réduire les émissions au cours des deux dernières décennies, la concentration de CO2 dans l’atmosphère continue inexorablement à augmenter. D’ici 2050, les émissions mondiales seront dominées par ce que la Chine et l’Inde auront fait, ou n’auront pas fait. La feuille de route de l’AIE pour l’objectif “zéro émission” (IEA Roadmap to Netzero) estime qu’il existe une voie possible, mais très étroite, pour atteindre l’objectif “zéro émission” d’ici 2050, à condition que l’innovation énergétique fasse un bond en avant et que des efforts considérables soient déployés pour construire de nouvelles infrastructures. D’autres estiment que l’atteinte de l’objectif “zéro émission” d’ici 2050 est une impossibilité sociale et technologique.

Des termes tels que “crise climatique” et “code rouge pour l’humanité” sont utilisés par les politiciens et les décideurs pour souligner l’urgence d’agir pour arrêter de brûler des combustibles fossiles. Il convient de noter que le GIEC lui-même n’utilise pas les mots “crise”, “catastrophe” ou même “dangereux”, mais plutôt l’expression “raisons de s’inquiéter”. Outre les incertitudes scientifiques, la partie la plus faible de l’argument de l’ONU concernant le réchauffement climatique d’origine humaine est qu’il est dangereux. Le lien le plus visible avec le danger repose sur l’établissement d’un lien entre le réchauffement et l’aggravation des phénomènes météorologiques extrêmes, lien qui est pour le moins ténu.

Toute évaluation du changement climatique dangereux doit se confronter au principe de Boucles d’or. Quel est exactement l’état climatique trop chaud ou trop froid ? Certains répondent à cette question en affirmant que le climat auquel nous sommes adaptés est “juste correct”. Cependant, le GIEC utilise une base de référence préindustrielle, à la fin des années 1700. Il n’est pas évident de comprendre pourquoi on pense qu’il s’agit d’un climat idéal. C’était pendant le petit âge glaciaire, la période la plus froide des millénaires. Aux États-Unis, les États qui connaissent de loin la plus forte croissance démographique sont la Floride et le Texas, qui sont des États chauds et méridionaux. La valeur des propriétés situées le long de la côte, qui sont vulnérables à l’élévation du niveau de la mer et aux ouragans, monte en flèche. Les préférences personnelles et la valeur du marché ne considèrent pas encore le réchauffement climatique comme dangereux. Alors que les politiciens des pays développés affirment que nous devons lutter contre le changement climatique pour le bien des pays en développement, la lutte contre le changement climatique est bien moins importante dans ces pays que le développement de l’accès au réseau électrique.

La planète se réchauffe depuis plus d’un siècle. Jusqu’à présent, le monde a bien réussi à s’adapter à ce changement. Les rendements de nombreuses cultures ont doublé, voire quadruplé, depuis 1960. Au cours du siècle dernier, le nombre de décès par million d’habitants dus à des catastrophes météorologiques et climatiques a diminué de 97 %. Les pertes dues aux catastrophes climatiques mondiales, exprimées en pourcentage du PIB, ont diminué au cours des 30 dernières années.

Pour relever les défis du changement climatique et de la transition énergétique, nous devons nous rappeler que la lutte contre le changement climatique n’est pas une fin en soi et que le changement climatique n’est pas le seul problème auquel le monde est confronté. L’objectif devrait être d’améliorer le bien-être humain au XXIe siècle, tout en protégeant l’environnement autant que possible.

Toutes choses égales par ailleurs, chacun préférerait une énergie propre à une énergie sale. Cependant, toutes les autres choses ne sont pas égales. Nous avons besoin de systèmes énergétiques sûrs, fiables et économiques pour tous les pays du monde. Cela inclut l’Afrique, qui manque actuellement de réseau électrique dans de nombreux pays. Nous avons besoin d’une infrastructure du 21e siècle pour nos systèmes d’électricité et de transport, afin de soutenir une prospérité continue et croissante. L’urgence de mettre en œuvre les technologies renouvelables du 20e siècle risque de gaspiller des ressources dans une infrastructure énergétique inadaptée, d’accroître notre vulnérabilité aux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes et de nuire à notre environnement de nouvelles manières.

La façon dont le climat du XXIe siècle évoluera est un sujet de grande incertitude.

Une fois la variabilité naturelle du climat prise en compte, elle peut s’avérer relativement bénigne. Mais nous pourrions aussi être confrontés à des surprises inattendues. Nous devons accroître notre résilience face à ce que le climat futur nous réserve. Nous nous tirons une balle dans le pied si nous sacrifions la prospérité économique et la résilience globale de la société sur l’autel de la transition urgente vers les technologies d’énergie renouvelable du XXe siècle. L’alarmisme sur le changement climatique nous induit en erreur et la panique nous rend moins enclins à nous attaquer au changement climatique de manière intelligente.

Vers un “plan B”

Même sans le mandat associé au réchauffement de la planète et à d’autres problèmes environnementaux, on pourrait s’attendre à une transition naturelle vers l’abandon des combustibles fossiles au cours du 21e siècle, à mesure que leur extraction devient plus coûteuse et qu’ils continuent de contribuer à l’instabilité géopolitique.

Le problème réside dans l’urgence de la transition vers l’abandon des combustibles fossiles, motivée par les craintes liées au réchauffement de la planète. En passant rapidement à cette économie dite “propre”, fondée sur les énergies renouvelables, nous faisons un grand pas en arrière en matière de développement humain et de prospérité. Les pays doivent faire face à leur dépendance croissante à l’égard des énergies éolienne et solaire. Les craintes de ne pas pouvoir répondre aux besoins en électricité cet hiver entraînent une dépendance à court terme au charbon en Europe et en Asie. Et nous ignorons les impacts environnementaux de l’exploitation minière et des déchets toxiques des panneaux solaires et des batteries, ainsi que la destruction des rapaces par les éoliennes et des habitats par les fermes solaires à grande échelle.

Les opposants au plan A rejettent l’urgence de réduire les émissions. Ils affirment que nous risquons d’aggraver la situation générale avec la solution simpliste consistant à remplacer d’urgence les combustibles fossiles par l’éolien et le solaire, ce qui aura un impact à peine perceptible sur le climat du XXIe siècle.

Les opposants au Plan A soutiennent qu’il est préférable de se concentrer sur le maintien d’économies fortes et de s’assurer que tout le monde a accès à l’énergie. Et enfin, l’argument est qu’il existe d’autres problèmes plus urgents que le changement climatique qui doivent être abordés avec les ressources disponibles.

Tout cela signifie-t-il que nous ne devons rien faire à court terme pour lutter contre le changement climatique ? Non. Mais étant donné les problèmes du plan A, nous avons clairement besoin d’un plan B qui élargisse l’enveloppe de la politique climatique. En considérant le changement climatique comme une catastrophe, on peut le recadrer comme une situation difficile où il faut activement réimaginer la vie humaine. Un tel récit peut élargir notre capacité d’imagination et animer l’action politique tout en gérant les pertes sociales.

Nous devons nous efforcer de minimiser notre impact sur la planète, ce qui n’est pas simple pour une planète de 8 milliards d’habitants. Nous devons nous efforcer de réduire la pollution de l’air et de l’eau. Depuis toujours, l’homme s’est adapté au changement climatique. Que nous parvenions ou non à réduire radicalement nos émissions de dioxyde de carbone au cours des prochaines décennies, nous devons réduire notre vulnérabilité aux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes.

Voici un cadre de référence pour la mise en place d’un plan B. Une approche plus pragmatique du changement climatique laisse de côté les échéances et les objectifs d’émissions, au profit d’une accélération de l’innovation énergétique. Que nous parvenions ou non à réduire radicalement nos émissions de dioxyde de carbone au cours des prochaines décennies, nous devons réduire notre vulnérabilité aux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes.

Pour prospérer au XXIe siècle, le monde aura besoin de beaucoup plus d’énergie. Bien sûr, nous préférons que notre énergie soit propre, ainsi que bon marché. Pour y parvenir, nous avons besoin de nouvelles technologies. La plus prometteuse à l’heure actuelle est celle des petits réacteurs nucléaires modulaires. Mais il y a aussi des avancées passionnantes dans la géothermie, l’hydrogène et autres. Et le paysage technologique sera différent dans dix ans.

Les pays en développement ne veulent pas seulement survivre, ils veulent prospérer. Nous avons besoin de beaucoup plus d’électricité, pas moins. Il est hors de question de se mettre à la diète énergétique comme nous l’avons fait dans les années 1970. Nous avons besoin de plus d’électricité pour soutenir l’innovation et la prospérité au XXIe siècle. La consommation et la croissance continueront d’augmenter tout au long du 21e siècle. Nous devons accepter cette prémisse, puis trouver comment gérer cette croissance tout en protégeant notre environnement.

En abordant le problème du changement climatique, nous devons nous rappeler que le climat n’est pas une fin en soi et que le changement climatique n’est pas le seul problème auquel le monde est confronté. L’objectif doit être d’améliorer le bien-être humain au XXIe siècle, tout en protégeant l’environnement autant que possible. Un processus décisionnel éclairé par le climat et axé sur l’alimentation, l’énergie, l’eau et les écosystèmes favorisera le bien-être humain au cours des prochaines décennies.

Alors, à quoi ressemble un plan B ? Plutôt que des solutions descendantes imposées par l’ONU, le plan B se concentre sur des solutions locales qui garantissent l’intérêt commun, évitant ainsi les blocages politiques. Outre la refonte des systèmes d’électricité et de transport du XXIe siècle, des progrès peuvent être réalisés sur un certain nombre de fronts liés à l’utilisation des sols, à la gestion des forêts, à l’agriculture, à la gestion des ressources en eau et à la gestion des déchets, entre autres. Le bien-être humain sera amélioré grâce à ces efforts, que le changement climatique s’avère ou non être un énorme problème et que nous parvenions ou non à réduire radicalement nos émissions. Les pays et les États individuels peuvent servir de laboratoires pour trouver des solutions à leurs problèmes environnementaux locaux et aux risques liés au climat.

Conclusions

C’est un énorme défi que de minimiser l’impact environnemental sur la planète de 8 milliards de personnes. Je ne doute pas que l’ingéniosité humaine soit à la hauteur pour mieux répondre aux besoins et aux désirs des habitants de la Terre, tout en soutenant les habitats et la diversité des espèces. Mais cette question constitue le défi majeur du prochain millénaire. Il s’agit d’un défi complexe qui va bien au-delà de la compréhension du système terrestre et du développement de nouvelles technologies – il inclut également la gouvernance et les valeurs sociales.

Pour progresser dans ce domaine, nous devons cesser de croire que nous pouvons contrôler le climat de la Terre et éviter les phénomènes météorologiques extrêmes. L’urgence de passer des combustibles fossiles à l’énergie éolienne et solaire sous les auspices des accords des Nations unies a aspiré tout l’oxygène de la pièce. Il n’y a plus de place pour imaginer à quoi pourrait ressembler l’infrastructure du XXIe siècle, avec de nouvelles technologies et une plus grande résilience aux phénomènes météorologiques extrêmes, ni même pour traiter les problèmes environnementaux traditionnels.

Les humains ont effectivement la capacité de résoudre les crises futures de ce type. Cependant, ils ont aussi la capacité d’aggraver les choses en simplifiant à l’excès des questions environnementales complexes et en politisant la science, ce qui peut conduire à une mauvaise adaptation et à de mauvais choix politiques. Dans 50 ans, nous pourrions considérer les politiques climatiques des Nations unies et cette soi-disant économie verte comme une chimiothérapie destinée à soigner un rhume de cerveau, tout en ignorant des maladies plus graves. En d’autres termes, le récit de la crise climatique fait obstacle à de véritables solutions à nos problèmes sociétaux et environnementaux.

Le changement climatique n’est qu’une des nombreuses menaces potentielles auxquelles notre monde est confronté aujourd’hui, comme l’a clairement montré la pandémie de Covid-19. Pourquoi le changement climatique devrait-il être prioritaire par rapport aux autres menaces ? Il existe un large éventail de menaces auxquelles nous pourrions être confrontés au XXIe siècle : des tempêtes électromagnétiques solaires qui détruiraient tous les appareils électroniques basés dans l’espace, y compris les GPS et les lignes de transport d’électricité ; de futures pandémies ; un effondrement financier mondial ; une méga-éruption volcanique ; une cascade d’erreurs qui déclencherait une guerre thermonucléaire, biochimique ou cybernétique ; la montée du terrorisme.

Nous pouvons nous attendre à être surpris par des menaces que nous n’avons même pas encore imaginées. Les sommes considérables dépensées pour tenter de prévenir le changement climatique proviennent des mêmes fonds qui détiennent effectivement notre assurance contre toutes les menaces ; par conséquent, cette focalisation sur le changement climatique pourrait globalement accroître notre vulnérabilité à d’autres menaces. La meilleure assurance contre toutes ces menaces est d’essayer de les comprendre, tout en augmentant la résilience globale de nos sociétés. La prospérité est le meilleur indicateur de la résilience. Les sociétés résilientes qui tirent les leçons des menaces précédentes sont les mieux préparées à être anti-fragiles et à répondre aux menaces que l’avenir leur réserve.

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