Renationalisation d’EDF : une bonne idée et quelques pièges

Lors de son discours de politique générale ce mercredi, Elisabeth Borne a annoncé que l’Etat souhaitait renationaliser EDF. La Première ministre a confirmé ce mercredi « l’intention de l’Etat de détenir 100% du capital d’EDF ».

Atlantico : Dans sa déclaration de politique générale, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé son intention de renationaliser à 100 % EDF. Quelle vision concrète, la Première ministre a-t-elle en procédant à un tel investissement de l’État ?

Loïk Le Floch-Prigent : EDF est entré en Bourse en 2005 , l’Etat cédant 15% du capital pour 32 euros l’action. EDF est rentré dans le CAC 40 pendant des années. Ces dernières semaines la cote de l’action était aux alentours de 8 euros !

Durant ces 17 années et surtout depuis 2011 ( Présidence Sarkozy) et la création de l’ARENH, EDF est attaquée comme monopole par la Commission Européenne et la France finit par céder en acceptant de créer une concurrence artificielle de « fournisseurs d’électricité » achetant à un prix d’ami l’électricité nucléaire produite pour pouvoir la revendre aux consommateurs en gagnant beaucoup d’argent. A ce mécanisme technocratique parfaitement immoral se rajoute à partir de 2012 (Présidence Hollande) une attaque en règle du nucléaire d’EDF avec l’annonce de fermetures de « vieux réacteurs » et le soutien sans failles à une profusion d’installations éoliennes hors de prix déréglant le réseau EDF. La ruée médiatique contre l’EPR de Flamanville soumis au double problème de la disparition de leur partenaire allemand et à celui du changement de règles après l’accident de Fukushima finit par faire percevoir EDF comme un boulet tandis que la centrale de Fessenheim, jugée une des plus sures de France par les experts de sureté finit par fermer pour des raisons uniquement de politique politicienne. Le rêve politique est alors de plafonner à 50 % (au lieu de 75) l’électricité d’origine nucléaire, avec des énergies « nouvelles », en fait des éoliennes en mer, comme nos voisins allemands, en oubliant qu’outre Rhin on compense les intermittences du vent (éoliennes plafonnant à 30% de la puissance nominale ) grâce à des productions d’électricité à base de gaz et de charbon russes.

Le conflit en Ukraine et les sanctions envisagées contre la Russie ouvrent la boite de Pandore : quand on ne veut pas de nucléaire on dépend du gaz et du charbon …augmentant à la fois la pollution et les émissions de gaz à effet de serre ! Il faut donc revenir à toute vitesse sur l’énergie nucléaire, mais les dégâts sur 17 années sont énormes, il faut que l’Etat refinance une entreprise devenue bancale, et, dans un premier temps, il faut, au moins racheter les 15% d’actions aux mains d’investisseurs variés. C’est le projet défendu par le Gouvernement qui avec ses prédécesseurs a mis 17 ans pour apprendre de ses erreurs ! Ce n’est pas si fréquent et cette initiative laisse au moins une chance à la France de sauver un de ses bijoux, saluons là .

Bien sûr, si le discours de la Première Ministre avait explicité le but de cette démarche on pourrait être rassurés, mais ce n’est pas le cas, il va donc falloir attendre de savoir comment cette histoire complexe peut se dénouer. Si l’on se contente de considérer que l’Etat va pouvoir réinvestir dans le nucléaire dans une entreprise dont il aura la pleine propriété en acceptant le nouveau programme de 6 nouveaux réacteurs , sans indications de montants et de délais, c’est encourageant mais insuffisant. Si, par contre , cette initiative amorce une redéfinition de la politique électrique, au niveau du pays, une refonte du PPE (programme pluriannuel de l’électricité) déjà largement obsolète et un éloignement des diktats énergétiques de la Commission Européenne, notre pays pourrait relever la tète en pouvant dire à ses citoyens qu’il va arrêter de leur vendre une énergie chère et en pénurie alors qu’il en produit à base de nucléaire (et d’hydraulique) abondante et bon marché. La population et son industrie recommenceraient alors à bénéficier de tarifs acceptables et largement compétitifs au moins dix fois inférieurs à ceux que les folies de la Commission Européenne ont fini par leur imposer. Si le mot « souveraineté «  prononcé par la Première Ministre à l’Assemblée Nationale confirmait cette deuxième hypothèse on ne saurait pas trop l’applaudir !

Cette action pourrait-elle régler les problèmes financiers du groupe ? Est-ce une bonne chose pour l’avenir de l’énergéticien français et ses plans futurs ? 

Vendre à des concurrents une électricité à tarif très bas, et devoir la racheter dix fois plus cher pour la revendre sans marge aux consommateurs n’aide pas à équilibrer les comptes : on a voulu la mort d’EDF, on l’a organisée, et donc l’ébauche de solution proposée à l’Assemblée Nationale est porteuse d’espoir ! Mais les contribuables vont devoir refinancer une institution quasi moribonde. Redresser les comptes d’une entreprise très endettée nécessite un apport important de fonds propres et la dette publique du pays est déjà très importante. La nationalisation d’EDF ne règle rien , ce sont les mesures qui vont suivre qui vont déterminer son avenir. L’entreprise a encore en son sein des personnels très compétents , à la pointe mondiale, mais surtout dans la gestion quotidienne des centrales nucléaires. On nous envie de par le monde nos Directeurs de Centrales Nucléaires ,et nos entreprises nucléaires,  à juste titre. Rien n’est donc acquis, mais c’est un premier pas qui rend possible les autres.

Est-ce l’unique solution pour réussir la transition écologique ainsi que d’assurer la souveraineté énergétique de la France ? N’y avait-il pas d’autres alternatives ?

Les objectifs annoncés par la Première Ministre d’un pays, le nôtre,  atteignant rapidement une absence de consommation d’énergies fossiles sont déraisonnables , tout le monde le sait. Par contre si l’on veut la souveraineté énergétique cela ne peut venir que d’un grand programme de renouveau nucléaire en incluant les nouveaux générateurs, à neutrons rapides (anciens programmes français SuperPhénix et Astrid) et petits réacteurs (SMR) comme EPR deuxième génération. Pour cela nous avons besoin d’un EDF fort et de sociétés nucléaires compétentes. Il faudra cependant abandonner le mirage d’une solution de fermes gigantesques d’éoliennes en mer , mirage allemand qui mène au désastre économique et politique, mais aussi catastrophique pour la balance des paiements, aucun matériel n’ayant une origine nationale. L’Allemagne , par rigidité anti nucléaire , s’enfonce dans la consommation de charbon et de gaz, il en sera de même pour tous les pays qui n’accepteront pas  un mix énergétique incluant une grande part de nucléaire et d’hydraulique. Les compétences sont encore là, dans notre compagnie nationale EDF, chez Orano, Framatome et une centaine de sous-traitants, c’est le moment d’en profiter en faisant revenir un grand nombre de jeunes retraités qui ne demandent qu’à participer à un renouveau de l’ambition énergétique nationale. Espérons ne pas gâcher cette occasion.

 

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2 réponses

  1. Nucléaire, il n’est pas trop tard.
     
    Il n’est jamais trop tard pour bien faire et viser un retour de notre savoir-faire dans l’industrie nucléaire. Si on prolonge la durée de vie de nos centrales existantes (c’est possible en remplaçant les composants y compris certains gros composants comme les générateurs de vapeur ou les couvercles de cuves) on a le temps de former de nouveaux soudeurs-tuyauteurs et de construire de nouveaux EPR. Qui plus est, il faut sans tarder relancer ASTRID pour préparer la relève avec les réacteurs de quatrième génération, y compris des surgénérateurs-incinérateurs. N’oublions jamais qu’avec nos réserves en uranium appauvri nous avons un millénaire d’électricité devant nous grâce aux surgénérateurs, avec à la clé de quoi largement alimenter un parc de voitures électriques. Cette filière avancée (génération IV) nécessite l’exploitation d’usines de retraitement poussé permettant une réduction des déchets résiduels à vie longue, au détriment de doses accrues pour les opérateurs. Sur ce point on en sortira facilement avec le développement des opérations à distance et des automatismes. Un avantage pour l’exportation.
    Il n’y a pas de problème de stockage de déchets ultimes, au demeurant fort réduits avec les réacteurs de génération IV. Le stockage en couche géologique profonde est une très bonne solution technique, il ne pose qu’un problème d’acceptation du public. Les seuls incidents à redouter sont à considérer pendant les 100 ou 150 ans d’exploitation du stockage (introduction des déchets), mais sont parfaitement maîtrisables car assimilables à ceux d’une installation nucléaire classique en exploitation (incendie, inondation, ventilation, etc.). Après la fermeture du stockage en couche profonde, les premières sorties d’activité à l’exutoire arriveront dans 200 000 ans à doses très faibles. Serons-nous encore là ? Arroserons-nous encore des salades avec l’eau de la source concernée ? Rappelons que notre civilisation (Cro-Magnon) n’a que 50 000 ans et que celle qui nous a précédés (Néandertal) a duré 250 000 ans.
    Le démantèlement des installations nucléaires n’en est encore qu’à ses débuts, donc prudent et cher. On sait déjà que cette activité ne pose pas de problème technique. En la développant nous serons aptes à exporter notre savoir-faire car le nucléaire est appelé à se développer dans le monde. Ce n’est d’ailleurs pas un problème pour les centrales qui, sauf accident, n’affichent que des radioéléments à vie courte, mais plutôt pour les labos de recherche ou usines de retraitement qui manipulent des radioéléments à vie longue. Mais là aussi on sait faire et, au total, on sait juger des bonnes dispositions relatives aux doses radiologiques prises par les intervenants et aux caractéristiques des déchets radioactifs produits.
     

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