Interdire la location des « passoires thermiques », une fausse bonne idée

(Vincent Bénard dans Contrepoints du 17 Octobre 2022)

Cette décision semble pétrie de bon sentiments et conforme à la pensée « écologiquement correcte » du moment, mais, comme toute politique restrictive, elle n’ira pas sans effets pervers.

Le gouvernement a annoncé qu’à partir de 2023, les propriétaires ne seraient plus autorisés à louer des appartements ou maisons considérés comme des passoires énergétiques, soit la catégorie G des diagnostics de performance énergétique.

Cette décision semble pétrie de bons sentiments et conforme à la pensée écologiquement correcte du moment, mais comme toute politique restrictive, elle n’ira pas sans effets pervers.

Des bonnes intentions affichées aux effets pervers prévisibles

À ce jour 70 000 logements privés et 20 000 logements publics seraient donc concernés par cette décision. Ce chiffre semble faible puisque 6 % des logements français, soit 1,8 million, sont concernés par ce classement en catégorie G, et plus de 20 % sont loués dans le parc privé (source).

Le raisonnement du gouvernement est simple : ces logements généralement anciens et vétustes sont loués à des familles modestes, qui sont précisément celles n’ayant pas les moyens de payer leur surconsommation énergétique.

De plus, qui dit consommation d’énergie dit au moins en partie émissions de gaz à effets de serre, et le gouvernement s’est fixé des objectifs ambitieux, voire irréalistes, de réduction de ces émissions.

Le gouvernement en déduit donc qu’il faut soit contraindre les propriétaires à entreprendre des travaux de rénovation, soit leur interdire de louer ces logements. Ce simplisme interpelle.

Tout d’abord, selon le CEREN (cf tableau ci-dessous, source), malgré une augmentation notable de la population métropolitaine (+14 %), la consommation énergétique des Français pour leur chauffage a chuté de 23 % en 30 ans, preuve que le cadre législatif actuel, pour imparfait qu’il soit, permet déjà une amélioration de nos consommations énergétiques à un rythme soutenu.

Il n’y a donc pas de « situation de crise de la consommation d’énergie résidentielle » qui justifierait cette soudaine agitation gouvernementale.

En revanche, on ne peut que s’interroger sur les risques d’effets secondaires pervers d’une telle décision.

Avant d’introduire une discussion économique, notons parallèlement que depuis 2012, soit l’arrivée au pouvoir de deux présidents (Hollande puis Macron) ayant augmenté les interventions étatiques et les contraintes sur les bailleurs (Loi ALUR, renforcement du blocage des loyers dans certaines villes, etc.), le nombre de SDF a été multiplié par deux, selon la fondation Abbé Pierre, passant de 160 000 personnes à plus de 300 000.

Bien que corrélation ne soit pas causalité, à l’évidence, en France, les interventions de l’État ne s’accompagnent pas d’une amélioration de la situation du logement des ménages, en tout cas des plus modestes d’entre eux. Il est donc permis de s’interroger sur la pertinence d’en ajouter de nouvelles.

Et, comme le souligne un éminent influenceur sur Twitter, « la rue n’est pas mieux isolée que ces logements ». Ceux-ci  sont peut-être très imparfaits, mais 70 000 logements de moins (grand minimum), sur le marché locatif risquent de manquer cruellement aux plus précaires des ménages, alors qu’ils auraient pu constituer un parc social de secours utile, à défaut d’être économe en énergie.

Pourquoi reste-t-il des passoires thermiques ?

Certes, ces logements cumulent souvent d’autres problèmes de vétusté : plomberie, humidité, etc., et certains particulièrement insalubres devraient disparaître du marché. La question que le gouvernement devrait se poser est de savoir pourquoi ils ne disparaissent pas.

D’une part, les travaux de rénovation énergétique sont chers, et leur rentabilité n’est pas assurée. Selon des sources officielles (DREAL grand est), le coût moyen de ces travaux, permettant de gagner 2 à 3 rangs sur l’échelle de classification des logements, est élevé, soit entre 180 et 300 euros par m2, et des sources de presse indiquent des coûts plus élevés encore pour les logements classés G, la pire catégorie.

Dans les villes où les loyers sont faibles, les propriétaires auront du mal à répercuter ces investissements sur les loyers. Dans celles où ils sont élevés, une augmentation de 1 euro/m2 des loyers mensuels est envisageable (300 euros à 4 % annuels bruts), mais un nombre croissant de grandes métropoles envisage de plafonner arbitrairement les loyers -Paris et Lille l’ont déjà fait-, ce qui n’encouragera guère les propriétaires concernés à se lancer dans des travaux lourds.

Ce manque d’appétit pour l’investissement de rénovation est renforcé par le risque de rencontrer un mauvais payeur, risque d’autant plus important que la clientèle de ces logements se trouve généralement chez les familles modestes.

D’autre part, une construction neuve suffisante permettrait d’offrir à des loyers raisonnables des logements récents, les ménages les plus aisés abandonnant des logements de qualité moyenne mais suffisante à des ménages plus modestes, permettant d’assainir progressivement le marché des offres les plus scabreuses.

Hélas, notre politique foncière malthusienne rend le terrain hors de prix et limite la construction neuve qui est insuffisante dans les métropoles dynamiques pour faire face à la fois à l’accroissement du nombre de ménages, aux migrations intérieures et extérieures, et à la nécessité de renouveler la part la plus vétuste du parc de logements.

De surcroît, un foncier cher conduit les promoteurs à privilégier une offre luxueuse, et la loi SRU les oblige à vendre à perte 25 à 30 % de leur production à des bailleurs sociaux, ce qui augmente encore le prix de vente des logements neufs construits pour le secteur privé. Le résultat est que l’offre destinée aux familles modestes, mais pas suffisamment pour accéder prioritairement au logement social, est insuffisante. Ces ménages se rabattent donc sur le locatif privé d’entrée de gamme, où figurent entre autres la plupart des passoires thermiques.

Logement : début d’un désastre annoncé ?

Restreindre la possibilité de louer ces logements sans par ailleurs libéraliser la possibilité d’en construire des neufs, ou sans donner aux propriétaires l’assurance législative qu’ils pourront rentrer dans leurs frais de rénovation, conduira à restreindre encore un peu plus l’offre locative, ce qui au final plongera encore plus de ménages dans l’extrême précarité.

Malheureusement, pas plus que les précédents, ce gouvernement ne semble se rendre compte de l’impasse vers laquelle il dirige les ménages français. En effet, la ministre Emmanuelle Wargon a annoncé que d’ici 2028, tous les logements classés F et G, soit 4,8 millions (dont 30 % actuellement loués, soit près d’un million et demi) seront concernés par l’interdiction, si le projet de loi préparé en ce sens venait à être adopté.

Dans le même temps, le président de la République a déclaré vouloir renforcer la politique de malthusianisme foncier en promouvant des concepts à la mode, et scientifiquement très discutables, tels que le zéro artificialisation nette, au nom de la sauvegarde de la biodiversité.

Si l’on ajoute à cela l’engouement de nombreux maires pour le blocage des loyers, et l’absence de réponse satisfaisante des pouvoirs publics au problème des locataires mauvais payeurs, alors il est à craindre qu’un effondrement sans précédent de l’offre locative ne se produise dans les dix prochaines années.

Laisser ces logements sur le marché, en informant correctement les candidats loueurs de leur condition énergétique moyenne, permettrait à ces derniers de négocier de fortes baisses de loyer, si par ailleurs une offre suffisante de renouvellement du parc de logement pouvait voir le jour.

En matière de logement comme ailleurs, laisser l’offre et la demande jouer pleinement leur rôle serait bien plus bénéfique aux ménages que l’accumulation de réglementations incohérentes dont les effets cumulés promettent un véritable désastre économique et social à moyen terme.

Un article publié initialement le 6 janvier 2021.

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