(Michel Négynas dans Contrepoints du 23/01/23)
Le gouvernement débat actuellement sur un texte visant à accélérer le programme nucléaire par simplification des procédures.
Le Sénat a apporté un amendement visant à pointer du doigt l’incohérence qu’il y a à vouloir accélérer le programme de nouvelles centrales tout en prévoyant une réduction du nucléaire de 75 à 50 % de l’énergie produite et l’arrêt de 14 réacteurs de 900 MW d’ici 2035, identifiés et proposés par EDF à la demande de l’État.
Quel est le programme du nucléaire dans le mix prévu par les textes ?
Franchement, on n’en sait rien. Y a-t-il (ou y avait-il) une corrélation entre les 50 % et les 14 réacteurs, y compris Fessenheim ? Avant l’arrêt de Fessenheim et en tenant compte de l’EPR (1600 MW) on avait 64 GW. En fermer 13 GW représente une baisse de 20 % de la puissance installée.
On peut alors faire le calcul autrement.
On a, avec l’EPR et Fessenheim, 54 réacteurs. En fermer 14 représente une baisse de 25,9 %. DE 75 à 25% ? …Bon, c’est une blague, ça n’a aucun sens… encore que, dans la tête d’un sciences-po ENA, qui n’a pas vu une règle de trois depuis sa classe de seconde…
On en conclut que cette baisse de 75% à 50% est probablement calculée en énergie, en kWh, et pas en kW. Pourquoi, dans ces conditions, arrêter des centrales nucléaires ? Il suffit de bourrer la France d’éoliennes et de panneaux solaires, cela collerait avec une baisse de 75% à 25% du nucléaire en énergie produite, il suffirait que les centrales nucléaires produisent moins sans être arrêtées.
D’autant plus que nous aurons besoin de toute leur puissance (les kW) pour passer les pointes de consommation les nuits d’hiver sans vent.
En réalité, c’est encore maintenant le chaos total dans le programme de production d’électricité malgré une loi, une Programmation pluriannuelle et trois consultations publiques.
Alors, le gouvernement actuel a enfin compris que nous avons besoin du nucléaire et réagit vigoureusement : on en arrête 14, on va en construire 14. D’ailleurs, cela tendrait à confirmer qu’on raisonne en nombres de réacteurs et donc ni en puissance, ni en énergie… Ce n’était donc pas une blague ?
On comprend les sénateurs qui pensent nécessaire de clarifier tout ça avant de « simplifier » les procédures de constructions de réacteurs.
Examinons les programmes réalistes
Nous disposons actuellement de 61 GW de nucléaire.
Attribuons lui un taux de disponibilité en hiver de 90 %, ce qui est ambitieux compte tenu du grand carénage. Cela fait 54 GW. On peut aligner au maximum 10 GW de gaz, 17 GW d’hydraulique, 2GW de biomasse. On arrêtera définitivement le charbon et le fioul. Tout ça fait 83 GW. C’est insuffisant pour passer une pointe à 90 GW fréquemment atteinte ces dernières années par grand froid anticyclonique, donc sans vent. Il ne reste plus qu’à espérer que les Allemands développent leur lignite.
Mais quid du futur ?
On peut supposer qu’on va abandonner l’idiotie de fermer douze centrales supplémentaires et essayer de les prolonger à 60 ans, ce qui est courant aux USA, mais pas assuré en France avec la propension à trouver des fissures partout.
Ci-dessous, la courbe d’évolution en puissance du nucléaire selon différentes hypothèses. Le scénario de prolongement à 60 ans a été revu par EDF (pointillés) pour tenir compte des contraintes industrielles. En effet, notre problème est paradoxalement la performance incroyable des constructeurs des années 1980 qui ont connecté tout le parc en un temps record. Cela nous oblige maintenant à anticiper et étaler les actions de remplacement quelles qu’elles soient.
De l’avis général, en lançant un programme dès maintenant, le premier nouveau réacteur serait couplé vers 2035/2037. Or EDF prévoit d’arrêter déjà plus de 10 GW à cette date (pour raison technique sauf si on découvre qu’on peut monter jusqu’à 80 ans, ce qui n’est pas exclu aux USA).
Non seulement la situation ne sera pas améliorée au fil du temps mais elle sera encore de plus en plus critique.
Et l’échéancier d’EDF montre que ce ne sont pas 14 réacteurs qu’il faut programmer dès maintenant mais 45.
En admettant qu’on arrive à coupler deux réacteurs par an, on aura fini en 2057/2059.
Conclusion
Malgré des hypothèses très volontaristes (construire 2 réacteurs par an dès maintenant et pendant plus de 30 ans), on n’arrive pas à la sécurité d’approvisionnement complète avant 2050/2060…et encore, sans prévoir d’augmentation de la consommation.