Hydrogène vert, un siècle et toujours du vent

Ce 4 février, il y a un siècle jour pour jour que l’idée de produire de l’hydrogène vert a été proposée. Les milliards d’euros déversés par l’Union européenne ne peuvent pas changer la science, qui, depuis 100 ans, a empêché d’en produire.

En 1865, le Britannique William Stanley Jevons dans « La Question du charbon » (The Coal Question) était préoccupé parce que le succès de la machine à vapeur perfectionnée par James Watt qui consommait moins d’énergie allait favoriser sa multiplication et ainsi occasionner une demande croissante de charbon, ce qui allait conduire à l’épuisement des réserves de charbon britannique (paradoxe dit de Jevons).

Un siècle de quête de la production d’hydrogène à partir du vent

58 ans plus tard, le 4 février 1923, John Haldane, généticien et biologiste britannique, prononça un discours à la Heretics Society, un club d’intellectuels de l’université de Cambridge, intitulé « Daedalus or, Science and the Future » [i]. Dans cette communication, Haldane, sans toutefois nommer la théorie de Jevons, n’acceptait pas que l’annonce de l’épuisement des mines de charbon annoncé en Grande-Bretagne puisse entraîner l’effondrement de sa civilisation industrielle. Bien que biologiste, il voulut proposer des idées que l’on qualifierait aujourd’hui de politique énergétique afin de contrer la catastrophe annoncée à laquelle il semble que tout le monde avait succombé. Comme aujourd’hui en sorte.

Il imagina la création d’un réseau d’éoliennes pour produire de l’électricité qui allait générer de l’hydrogène par l’électrolyse de l’eau. C’était la première proposition concrète d’une économie basée sur la combinaison des énergies renouvelables et de l’hydrogène. Un siècle plus tard, il est intéressant d’observer que les problèmes avaient déjà été bien cernés par Haldane, car les difficultés intrinsèques de la filière hydrogène sont bien connues et sont bien antérieures à la fois à la crise pétrolière des années 1970 et du cadre de la lutte contre le changement climatique.

Haldane l’enthousiaste réaliste

Haldane pensait que l’énergie hydraulique n’était pas un substitut valable au charbon en raison de son faible potentiel dans le Royaume-Uni, de sa fluctuation saisonnière et de sa distribution sporadique. Il envisageait mieux l’exploitation du vent qui est inépuisable bien qu’il le qualifiât déjà d’énergie intermittente. Il pensa que la question de l’électricité en Angleterre pourra être résolue grâce à l’exploitation du vent en couvrant le pays «  de rangées d’éoliennes métalliques actionnant des moteurs électriques qui, à leur tour, fourniront du courant à très haute tension à de grands réseaux électriques. »

Comme les Allemands d’aujourd’hui qui doivent gérer leur surplus d’électricité par temps trop venteux, le professeur de Cambridge cherchait donc un moyen de stocker leur énergie « sous une forme aussi pratique que le charbon ou le pétroleSi un moulin à vent dans son jardin pouvait produire quotidiennement un quintal de charbon, nos mines de charbon seraient fermées demain ». Il pensait que le stockage allait peut-être pouvoir se faire grâce à des batteries de stockage bon marché « ce qui nous permettra de transformer l’énergie intermittente du vent en énergie électrique continue ». Comme aujourd’hui.

Mais Haldane était plus convaincu par le stockage sous forme d’hydrogène que dans des batteries. Il proposa d’installer des installations d’électrolytiques de l’eau afin de produire de l’hydrogène et de l’oxygène, qui « liquéfiés seraient stockés dans de vastes réservoirs à enveloppe sous vide, probablement enfouis dans le sol ». Il est aussi le concepteur de l’oxycombustion redevenue pour un temps vers 2010 à la mode afin que le CO2 généré par la combustion d’une énergie fossile ne soit pas dilué dans l’azote de l’air et ainsi capter plus facilement le CO2 pour le stocker. Précurseur, Haldane savait que sir William Grove avait inventé en 1838 la pile à combustible et a pensé à l’utiliser pour produire de l’électricité à partir de l’hydrogène. Ce fut trop tôt, car il a fallu attendre 1932 pour que Francis Thomas Bacon construise la première pile à hydrogène.

Haldane était aussi conscient du défi de la densité énergétique de l’hydrogène, énorme à l’état liquide et faible à l’état gazeux. Il a donc réfléchi à son stockage dans des réservoirs afin de pouvoir l’utiliser sous une forme appropriée. Il termine la présentation de sa vision futuriste de l’hydrogène en rappelant «  qu’aucune fumée ou cendre ne sera produite  ». C’est bien ce qu’on nous vend aujourd’hui comme avantage.

L’hydrogène, l’énergie du futur

Il y a un siècle, il n’y avait pas de médias sociaux, mais les idées circulaient. Les nazis ont étudié le concept futuriste de Haldane. Le livre « Technologie et économie dans le troisième Reich »[ii] du Dr Franz Lawaczeck publié en 1933 présente le concept de la production d’hydrogène à partir d’énergie éolienne, mais l’écarte, car brûler de l’hydrogène c’est un contresens chimique, industriel et économique. En 1933, le prix de l’hydrogène utopique, qu’on n’appelait pas encore vert, était prohibitif par rapport à celui produit industriellement avec du charbon, le combustible fossile qui était la matière première de la chimie. Hier comme aujourd’hui, brûler de l’hydrogène, c’est comme brûler un sac à main Louis Vuitton pour produire de la chaleur.

Dès le développement extraordinaire de l’électronucléaire, dans les années 1960, la Commission européenne a entrepris des recherches dans le cadre du traité Euratom dans son nouveau Centre commun de recherche d’Ispra. Le fonctionnaire européen Cesare Marchetti, brillant fondateur de la recherche moderne sur l’hydrogène, a vite compris avec quelques calculs élémentaires que l’électrolyse consomme beaucoup trop d’énergie pour dissocier la molécule d’eau. Cette voie est sans issue. Lawaczeck explique même que l’électrolyse à haute température que l’on présente aujourd’hui comme une possible voie pour pallier les inconvénients de cette méthode de dissociation de l’eau est tout aussi illusoire.

Le changement climatique n’a pas soudainement rendu les ingénieurs intelligents ; c’est même insultant de prétendre que les générations précédentes étaient des idiots. Les lois de la physique et de la chimie sont immuables.

Les milliards d’euros que déverse la Commission européenne pour produire de l’hydrogène vert ne les changeront pas, l’hydrogène vert c’est du vent. Les sympathiques idées de John Haldane le sont toujours après un siècle, de sorte que l’hydrogène restera toujours l’énergie du futur.

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(*) Pour un approfondissement, voir le livre de Samuel Furfari, « L’utopie hydrogène ».

[i] DAEDALUS or Science and the Future, A paper read to the Heretics, Cambridge, on February 4th, 1923 by J. B. S. Haldane, Transcribed by Cosma Rohilla Shalizi, Berkeley, California, 10 April 1993.

[ii] Lawaczeck Franz, Technik und Wirtschaft im Dritten Reich, 1933.

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