Cette sentence sans appel a été prononcée ce mardi 31 janvier 2023 par Lionel Jospin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac, devant la commission d’enquête parlementaire « souveraineté et indépendance énergétique de la France ».
Le discours introductif de l’expert par procuration auquel la France doit la mise à mort du surgénérateur Superphénix, prend bien soin de tenir une distance académique avec chiffres et bilans permettant de structurer élégamment une langue de bois faite de poncifs et de généralités éculées. À aucun moment, l’homme ne s’est ensuite départi de sa distinguée rhétorique.
D’emblée, il assène l’affirmation selon laquelle notre pays n’aurait subi aucune perte d’indépendance énergétique sur la période 1997-2002 et aurait même bénéficié du renforcement de cette dernière (minute 30). Depuis quand l’effet de dispositions politiques sur notre indépendance énergétique se mesure par autre chose que par le surcroît ou le défaut de MWh exportés et importés, enregistrés à distance de ce qu’on est censé avoir fait pour la servir ou pour ne pas l’affecter ?!
L’ancien premier secrétaire du PS énonce dans la foulée en quoi cette indépendance aurait été sécurisée par son gouvernement :
- Développement de l’usage du MOX généreusement autorisé par une ministre Dominique Voynet couverte d’éloges (femme rationnelle, intelligente…), réputé être l’alternative à Superphénix ;
- Préparation de l’aval du cycle combustible par le montage du dossier de création du site de stockage des déchets à Bure ;
- Préparation et montage du dossier de création de l’IRSN et de l’ASN qui déboucha en 2006 ;
- Augmentation de 50 % du budget de l’ADEME, en réponse à une brutale augmentation des prix du pétrole en 2000 (minute 47) !
Sauf que le MOX – mixed oxides, mélange constitué d’environ 92 % d’uranium appauvri et de 8 % de plutonium – n’est qu’un pis-aller condamnant EDF à valoriser tant bien que mal le plutonium produit par des réacteurs PWR ne disposant plus de l’exutoire de consommation prévu au départ, le surgénérateur. De plus, les combustibles MOX usés ne se recyclant pas indéfiniment deviennent difficiles à traiter, la présence croissante d’isotopes indésirables du plutonium rendant l’opération industrielle de plus en plus délicate.
Quant à se féliciter de la création de cette ASN indépendante, on invite le lecteur à lire l’article intitulé « La souveraineté absolue de l’Autorité de Sûreté Nucléaire en question » pour se faire une idée de ce que coûte cette indépendance à notre pays, et à lire l’article intitulé « ASN et CNDP : les leurres démocratiques fatals à notre nucléaire » pour savoir comment on a troqué de réelles compétences techniques et industrielles de contrôles pour des compétences notariales et policières de haut niveau universitaire.
Question du président de la commission à l’ancien Premier ministre
Quelle était la préoccupation énergétique immédiate et prospective de votre gouvernement, par quoi s’est-elle concrètement traduite dans la politique énergétique que ce dernier a tracée pour le pays ?
La vacuité du bavardage qui s’ensuit, en guise de réponse, a manifestement pour objet de détourner le regard de l’œuvre en trompe-l’œil de l’historique père des prix durablement et confortablement garantis à l’éolien, l’inénarrable Yves Cochet.
Question du président de la commission à l’ancien Premier ministre
Comment s’accommoder d’une prise de distances avec le nucléaire quand on se préoccupe autant que vous de l’impératif de baisse de CO2 ?
À nouveau évasif l’interrogé se réfugie derrière la considération suivante :
Le climat des idées étaient alors à la baisse de la consommation, à la sortie des énergies carbonées, en même temps qu’à une grande méfiance à l’égard d’un nucléaire auquel Dominique Voynet préférait malgré tout le charbon, à cause des déchets et du risque accidentel…
Quid de l’aventureuse création d’AREVA à laquelle on doit une concurrence suicidaire avec EDF et les fiasco EPR que l’on sait, en Finlande et en France ?
Lionel Jospin invoque la signature par Chirac de la Directive européenne 96/92/CE à laquelle il dut se plier. Pour ce qui est de la nomination d’Anne Lauvergeon à la tête de la nouvelle entreprise et celle de François Roussely à la tête de l’opérateur historique, il invoque le privilège accordé à un chef de gouvernement de savoir choisir ses capitaines d’industries pour leurs compétences. S’agissant de l’hypothèse évoquée de construire un EPR sur le site de Le Carné, en Bretagne, il déclare qu’aucune demande de ce type ne lui fut formulée par le PDG Roussely.
Le plat de résistance de l’audition de l’ancien Premier ministre : le prétendu échec de Superphénix
En substance, Lionel Jospin dit ceci : jamais Superphénix n’a connu de fonctionnement stable et la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR) – surgénérateurs ou pas – dits de quatrième génération n’a pas donné lieu jusqu’ici au moindre développement industriel.
Pour preuve que cette filière n’a pas d’avenir, l’abandon du surgénérateur Monju par les Japonais, l’exploitation des déjà anciens BN600 et BN800 russes et le développement du China Fast Reacto 600 n’étant que publicité largement fabriquée par les offices d’information d’État de deux pays notoirement non-démocratiques.
Sur ces bases, l’ancien Premier ministre prétend que sa décision de fermer Superphénix fut davantage fondée sur des considérations techniques et industrielles que sur des considérations politiciennes, voire clientélistes. À aucun moment il ne précise ces considérations, se réfugiant derrière l’argument selon lequel il était solidement conseillé par un groupe d’experts. On en attend encore d’autant plus les noms que lui est rappelé en séance la confidence de beaucoup de socialistes historiques – dont certains de ses proches – reconnaissant aujourd’hui que fermer le surgénérateur fut une erreur.
À ce propos, on ne peut pas ne pas mentionner ici que la qualité d’expert a été dénié à quelqu’un comme Yves Bréchet par Julie Laernoes, députée EELV, au profit de celle de lobbyiste nucléaire accusé d’avoir inspiré la commission parlementaire.
Si le lecteur ne doit se référer qu’à une seule des pièces auxquelles cet article renvoie, c’est sans conteste à la pièce suivante intitulée « Le sabordage de l’outil électronucléaire décrété par Matignon en juin 1992 » . Il y découvrira que Lionel Jospin et ses comparses jetèrent 16 milliards d’euros (en monnaie constante) – 13 pour un développement considéré comme abouti et trois en dédommagements – l’année où Superphénix resta couplé au réseau 250 jours d’affilée, en dépit d’un arrêt programmé de longue date pour réaliser un programme d’essais sur les barres de commande, affichant sur l’année un taux de disponibilité voisin de 96 %, le meilleur de l’ensemble du parc, avec une production de 3,7 milliards de kWh. Ceci est opportunément souligné par le député RN Jean-Philippe Tanguy.
Ajoutons que, avant de prononcer péremptoirement le non-avenir de la filière RNR, un ancien Premier ministre de la France aurait dû avoir la prudente modestie de se souvenir qu’un surgénérateur français du nom de Phénix, refroidi au sodium et d’une puissance thermique de 563 mégawatts, a consciencieusement délivré au réseau français tout ou partie de ses 250 mégawatts électriques, de 1973 à 2010, tout en étant le siège d’études sur la transmutation des déchets radioactifs.
Ce même Premier ministre aurait dû faire preuve de la plus élémentaire précaution consistant à s’assurer que la fermeture du réacteur Monju était ou non le signe de la désaffection définitive du Japon pour la filière RNR, lui ayant permis de découvrir qu’il ne l’était pas et surtout que Monjou avait été développé de concert avec Superphénix, France et Japon partageant largement leurs recherche et développement sur la technologie concernée.
En définitive, il y a quelque chose de pathétique et d’inquiétant à entendre cet ancien Premier ministre n’ayant manifestement rien appris déclarer que :
« D’après ce qu’on lui a dit, le nucléaire étant inapte au suivi de charge – y compris en pointe – on regrette (à demi-mot) que le programme « renouvelables » engagé sous son mandat soit aujourd’hui si peu avancé…
À la fin des années 2000, le remplacement et la construction de nouvelles centrales ne « semblaient » pas s’imposer à son gouvernement…
La création de l’ASN et de l’IRSN fut justifiée par le manque de transparence dans les décisions prises au plus haut niveau sur les questions nucléaires ; l’arrivée des écologistes dans un gouvernement ayant été une bonne chose de ce point de vue… »
L’inquiétude de constater lucidement ce qui suit doit être partagée par le plus grand nombre possible de Français et surtout les amener à réagir sans délai pour éviter de préparer à leur pays des lendemains bien sombres : on réalise que depuis 20 ans les mêmes sont toujours peu ou prou aux manettes de la politique énergétique nationale, ou l’influent efficacement dans la presse mainstream, à savoir ceux qui à peu de choses près organisent l’épuisement de nos quelques 16 millions de tonnes d’uranium planétaires, de concert avec celui des réserves pétrolières et gazières pour la fin du siècle, comme recommandé ici par Lionel Jospin.
Or, nos compatriotes ne voient pas qu’on confie aux amateurs hors sol émergeant de cette mouvance l’insurmontable gageure de doter le pays de réacteurs EPR hors de prix, à l’aide d’un complexe techno- industriel hors d’état et corseté par la gendarmerie ASN, avec des moyens financiers que le pays n’a plus, y compris pour renflouer un opérateur historique endetté jusqu’à la ligne de flottaison.
Gageons que la vague de froid annoncée pour les prochains jours aide un maximum de Français à méditer le confort spartiate qui pourrait devenir le quotidien de leurs enfants…